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Livre - Page 12

  • Eddy Bellegueule

     

     

    Lorsqu'on interviewait Edouard Louis sur son ouvrage, premier roman édité, c'était toujours pour lui faire en quelque sorte le reproche de n'avoir pas épargné sa classe sociale d'origine, le petit peuple de Picardie : "Vous les faites parler mal" ("C'est pour pas qu'on y va", "Faut pas qu'y soye" ou "qu'y soive", et autres). Les bonnes âmes salvatrices du peuple, toujours brave, toujours bon et con-mais-c'est-pas-sa-faute avec le chômage, l'alcoolisme et la misère culturelle et autres interminables couplets bien-pensants, répètent qu'il ne doit pas être stigmatisé, car il ne faut pas attaquer les cons, ça pourrait les vexer. Or, à force de ne pas clouer au pilori les salopards qui cassent du pédé, on va finir par les mettre au pouvoir.

    C'est bien en route, et certains vont s'en mettre plein les fouilles en jouant sur cette connerie épaisse que l'on flatte, que l'on séduit, que l'on flagorne. Parce que voyez-vous, mes braves auditeurs et demi, même un imbécile inculte doit avoir tout de même, à un moment donné, un éclair de conscience, et se rendre compte que cracher sur un petit camarade, lui casser la gueule s'il ne baisse pas les yeux, ça n'est pas bien. Et si je déteste l'ignorance et le poids des préjugés, je déteste aussi ceux qui les subissent, parce qu'ils trahissent l'être humain, qui fait fonctionner sa tête et son coeur. Ils ne sont pas tous comme ça. Eddy Bellegueule se fait assommer au fin fond de la Somme, où l'on pense encore comme au fin fond des années 50, où même Brassens pouvait chanter le crime pédérastique aujourd'hui ne paie plus en déclenchant des applaudissement aussi nourris qu'unanimes, ce qui m'a toujours choqué.

    Dans la première partie, le roman d'Eddy Louis constate, et dans la deuxième, il ouvre une perspective d'évasion, par son entrée au lycée d'Amiens, où les fils de bourgeois, parfaitement, les fils de salauds et d'exploiteurs du peuple, tolèrent, comprennent, admettent déjà plus sa différence : il finira dans le théâtre à Paris, où rien n'est plus insignifiant que d'être homosexuel. Mais combien d'autres sont restés à se faire taper sur la gueule en silence. Et ça commence tôt, dès la primaire. Les autres aussi se tripotent dans les coins et "jouent" au pédé, ils enfoncent ce qu'il faut là où il faut, mais le féroce auteur finit par comprendre, dès sa dixième année, que l'important n'est pas de l'être, mais d'en avoir l'air.

    D'APRES UNE

    PHOTO DE VINCENT PEREZ COMME DANS LE BLOG PRECEDENT

    Le grand aigle.JPG

    Et surtout de ne pas en parler. Les autres se regardent entre eux mais conservent le secret. Pour le petit con de dix ans qui se fait sauter par son cousin de quinze, "ça se voit". Il est allé chiper les bagues de sa soeur, en plus, pour "avoir l'air d'une fille" avant de se faire mettre. Il n'a jamais pu s'intégrer à un "groupe de garçons". A noter que pas un instituteur n'a jugé bon de remarquer ce qui se passait dans les couloirs. On lui crache dessus et on lui fait lécher les mollards. On le tabasse. Comment voulez-vous ne pas rater l'école le plus possible. Quand des bourreaux déménagent, ils sont remplacés par d'autres. Alors comprenez la rage, la violence de la dénonciation, le manque de recul, une absence totale d'analyse sociologique, la haine d'un milieu où les ivrognes se succèdent de père en fils, où la seule gloire accessible est de se farcir quelques mois de taule.

    Et le tout, entre Français de souche, eh oui, chassez les parias, les salauds reviennent au galop, avec un bon accent picard bien de chez nous. A deux, à trois, à cinq contre un, les tabassages, les vexations, les humiliations, les meurtres à petit feu à longueur d'années scolaires. Le crime pédérastique en vérité Brassens ? Tu vois, même lui chante des conneries. Sans oublier "les amis de luxe, les petits Castors et Pollux" "choisis par Montaigne et La Boétie", c'était ça, être populaire, et d'ailleurs, du haut en bas de la société. Encore maintenant, va dire que tu es un professeur homo, tu la sentiras ta grosse douleur. Homme ou femme.

    Ne vous en faites pas, la planète ne va pas se dépeupler. Avant donc de sombrer dans la banalité à tout jamais renouvelable (car le monde est si lent à changer) de mes tirades antihomophobiques, passons au texte, dont les rameaux d'espaliers supporteront j'espère de belles poires critiques. L'auteur, après s'être fait mettre avec délices à dix ans, atteint ses douze. "Quand j'ai eu douze ans, les deux garçons ont quitté le collège. Le grand roux a entamé un CAP peinture et le petit au dos voûté a arrêté l'école. Il avait attendu d'avoir seize ans pour ne plus y aller sans prendre le risque de faire perdre les allocations familiales à ses parents. Leur disparition était pour moi l'occasion d'un nouveau départ. Si les injures et les moqueries continuaient, la vie au collège n'était en rien comparable depuis qu'ils n'étaient plus là (une nouvelle obsession ne pas aller dans le lycée auquel j'étais destiné, ne pas les y retrouver)." Donc l'école perpétue l'injustice au lieu d'y remédier.

    Donc, et mieux dit encore, l'éducation n'éradique pas les préjugés. Il faut attaquer le mal, m-a-l, à la racine, et faire des cours pour empêcher l'homophobie, ce qui ne veut pas dire "faire de la propagande" comme le disent les braves gens, qui n'aiment pas que, alors que les pédés aiment queue, mais qu'est-ce que j'ai avec Brassens aujourd'hui. On peut aimer les flics sous la forme de macchabées, mais être une tafiole, ça, jamais. Comme c'est bizarre l'âme humaine, nous sommes entre les mains de Dieu décidément, mais Dieu n'a pas de mains, et aujourd'hui non plus. Reprenons: "Je ne devais plus me comporter comme je le faisais et l'avais toujours fait jusque là. Surveiller mes gestes quand je parlais, apprendre à rendre ma voix plus grave, me consacrer à des activités exclusivement masculines. Jouer au football plus souvent, ne plus regarder les mêmes programmes à la télévision, ne plus écouter les mêmes disques. Tous les matins en me préparant dans la salle de bain je me répétais cette phrase sans discontinuer tant de fois qu'elle

    finissait par perdre son sens, n'être plus qu'une succession de syllabes, de sons. Je m'arrêtais et je reprenais Aujourd'hui je serai un dur. Je m'en souviens parce que je me répétais exactement cette phrase, comme on peut faire une prière, avec ces mots et précisément ces mots Aujourd'hui je serai un dur (et je pleure alors que j'écris ces lignes ; je pleure parce que je trouve cette phrase ridicule et hideuse, cette phrase qui pendant plusieurs années m'a accompagné et fut en quelue sorte, je ne crois pas que j'exagère, au centre de mon existence)."

    Même chose si vous êtes apprenti danseur ("le ballet c'est débile", n'est-ce pas), même chose si vous passez pour un Arabe ("les Arabes pas de problème c'est tous des pédés", vous pouvez me rajouter une couche de connerie s'il vous plaît je ne me sens pas assez lourd, là...)

    - c'est toute une destruction, une autodestruction, méthodique, non pas seulement d'une particularité sexuelle ou d'une nuance dans l'épiderme, mais de toute une personnalité, destruction qui plus est intériorisée, rongeante. Oui, tout le monde l'a déjà dit. Nous serons originaux plus tard. Comme disait Péguy ("quoi, ce fasciste ! - ta gueule") "on se plaint de ce que je répète toujours la même chose, mais c'est parce que c'est toujours la même chose".

    Oui, Eddy Bellegueule, Edouard Louis, s'apitoie sur lui-même, mais c'est par rage, c'est pour transmettre, pour rompre l'isolement de tous ceux et de toutes celles que l'on persécute. Il s'adresse aux autres, aux bons autres, à ceux qui lui ressemblent, car après tout ses persécuteurs plus âgés que lui, ces grands casseurs de gueule pétris de courage et de bonne conscience, c'étaient aussi des autres, n'est-ce pas, de ceux qu'il aurait fallu acepter, découvrir, adorer ? Vous voyez que ce fameux "amour des autres" dont nous avons les oreilles rebattues par tous les connards de la planète ne mène nulle part et ne veut plus rien dire de rien de rien de rien.

    Les autres, oui, mais sans leur poing dans ma gueule, sans leur kalachnikofs dans mon bistrot, O.K. ? Pas TOUS les autres. Les autres CHOISIS. Reprenons :

    "Chaque jour était une déchirure ; on ne change pas si facilement. Je n'étais pas le dur que je voulais être. J'avais compris néanmoins que le mensonge était la seule possibilité de faire advenir une vérité nouvelle. Devenir quelqu'un d'autre signifiait me prendre pour quelqu'un d'autre, croire être ce que je n'étais pas pour progressivement, pas à pas, le devenir (les rappels à l'ordre qui viendront plus tard Pour qui il se prend ?).

  • Celle du baigneur

    Disons-le tout net, Belle du Seigneur, d'Albert Cohen, se transforme aisément, par contrepet du premier type, en Celle du baigneur, de même que Zorba le Grec en Zorbec le Gras. Voilà, c'est dit, ce ne sera pas répété, ça désacralise un peu, tout le roman (pus de mille pages tout de même) n'étant qu'une entreprise de désacralisation. Tout y est caricatural, second degré, faux second degré ce qui est le troisième, nous n'allons pas refaire la géniale classification de Gotlib, autre juif. C'est l'histoire d'un juif qui assassine les autres juifs en les présentant comme des pantins hilarants. C'est l'histoire de nouveaux riches des années 3, qui se croient cultivés et distingués, mais qui ne sont que snobs, ignares et suprêmement vulgaires.

    C'est l'histoire d'un amour, au premier degré, infini, éternel, entre deux êtres merveilleusement beaux, riches, débordant de sentiments bien exprimés, qui s'aiment de façon démesurée sans rien se refuser. Martial Solal, juif, et Arielle Deume, Ils s'habillent, se parent et se pomponnent pour se voir au mieux de leur forme et de leurs scintillements, et leur amour, dépourvu de toute action, de tout projet, de tout travail et de tout ce qu'une vie commune peut avoir de commu,n, se doit d'illuminer leurs regards et toute leur existence, afin d'être exemplaire et d'atteindre les sommets du divin ou à défaut de l'absolu. Un tel amour devient vite irrespirable, sans projet, sans rien d'autre qu'une adoration perpétuelle et mutuelle, et se voir rongé par l'ennui, l'inutile, l'absurde.

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    Il faut dire que l'on s'aime, s'efforcer de sourire puis s'y forcer, ne jamais laisser écchapper une plainte ni une crampe, et maintenir le niveau de la haute création alors que chacun sait parfaitement que l'autre se fait sombrement chier, autant que soi. Chemin direct vers la dépression, l'alcool, la drogue et le suicide, mais personne ne meurt. Le tout exprimé avec une tendre ironié, une complicité de l'auteur et du lecteur. Une ironie forcément féroce, une justesse forcément impitoyable dans la peinture de ces amours mortes indéfiniment prolongées que nous avons parfois connues, et surtout, cette quadruple exclamation instantanée sitôt que j'exprimai entre amis l'intention de m'atteler à ce vaste ouvrage : "Nom de Dieu ce que c'est chiant !" Alors, l'est-ce ?

    Oui et non. Non parce que les caricatures surabondent, des frères juifs de Grèce bouffés de tics religieux et vestimentaires (l'un d'eux repris d'une autre oeuvre d'Albert Cohen, Mangeclous (1938) (Belle du Seigneur ayant obtenu le grand prix de l'Académie française en 1968), des nouveaux riches chrétiens dont nous avons déjà parlé, des amoureux sublimement niais et niaisement sublimes, et qu'on ne parle pas d'ouvriers ni de travailleurs de quelque niveau que ce soit. Les travailleurs n'ont pas d'histoires d'amour : ils bossent. Ce ne sont dans ce livre que des éclats de rire, des pouffages frénétiques, des ébahissements aussi (sautes de registre !) devant la connaissance de l'âme humaine. Et des bizarreries qui frappent étonnamment leur coeur de cible : comment, par exemple, votre bien-aimée, ou toute femme de goût, peut-elle introduire dans son corps immaculé une immonde bite de moustachu ?

    ...Comment peuvent-elles s'amouracher d'un corps aussi hideux que celui d'un homme, avec "cette horrible chose qu' [ils ont] là", pour paraphraser la comtesse de Chimay ? il est vrai que je me suis souvent posé la question, et que le mystère de l'homme, disait Montherlant, c'est qu'une femme puisse les aimer. Rien ne manque dans ce long roman, le ton est maintenu, rien n'est jamais pris au sérieux ni au mystique, mais au tragique, au boursouflé, au dérisoire, au désespéré. Musset raillent le romantisme alors qu'il est le plus romantique de tous, Nerval excepté. Seulement, à la fin, bien trop avant la fin, cette ironie nous lasse autant que leur propre amour épuise le coupe protagoniste.

    Ensuite, certains veulent se lancer, à leur tour, dans leur roman d'amour extraordinaire. Alors même qu'Albert Cohen vient de démontrer plutôt quatre ou cinq fois qu'une qu'il est impossible à tout jamais de venir à bout d'une situation de départ aussi dépassée, aussi ressassée, aussi frelatée. Ce serait comme l'envers de la "Recherche du temps perdu, insurpassable ; une confirmation surappuyée du roman de Benjamin Constant, Adolphe, insurpassable dans le thème de la passion usée jusqu'à la corde, où l'on croit épargner l'autre par gentillesse et par pitié, tout en le torturant encore plus. Ne parlons pas de Manon Lescaut ni de Roméo et Hardy, où les obstacles entretiennent la fournaise.

    Dans Belle du Seigneur, nappé du sentimentalisme juif, biblique et américain le plus gluant, c'est l'excès même d'amour, de chantilly et de crêpe de Chine ou de crêpe Georgette qui étouffe l'amour, le manque d'obstacle à l'occidentale : tout se dégrade et devient odieux. Pas de satire, ou tellement lourde qu'elle devient une charge, et même de cavalerie. Pas d'antisémitisme non plus que de philosémitisme, car trop, c'est trop.

  • Citations sur divers sujets

    Georges BATAILLE

    1. L'enfance vit dans la foi. Mais si “l'enfant grandit, dépasse les parents de la tête, et regarde par-dessus leur épaule”, il lui est loisible de voir que “derrière eux, il n'y a rien”.

    La littérature et le mal – Baudelaire – L'homme ne peut s'aimer jusqu'au bout s'il ne se condamne – Citant Jean-Paul Sartre Baudelaire Gallimard Ed. 1946 page 60.

     

    1. Aussi gênant soit-il, Hitler ne modifie en rien mon opinion sur les Allemands.

    Depuis ma plus tendre enfance, j'ai aimé et estimé ce peuple : si par exemple une affection de toujours me liait à un ami et qu'il devînt syphilitique, serait-ce une raison suffisante pour lui retirer mon amitié ? De tout mon cœur et par tous les moyens, j'essaierais de lui rendre la santé.

    Jean RENOIR

    Présentation de son film La grande ilusion au public américain en 1938

     

    1. Un peu facile pourtant, le métier de moraliste qui se veut en marge de son époque : on ne sait jamais si c'est parce qu'il la domine ou parce qu'il est à côté.

    Dominique PELEGRIN

    Je suis un attardé qui croit au péché originel

    Article consacré à Gustave Thibon dans le Télérama n° 1287 du 11 09 1974

     

    1. Il y a dans Les Fleurs du Mal de quoi justifier l'interprétation de Sartre, selon laquelle Baudelaire fut soucieux de n'être qu'un passé “inaltérable et imperfectible”, et choisit de “considérer sa vie du point de vue de la mort, comme si une fin prématurée l'avait déjà figée.” Il se peut que la plénitude de sa poésie soit liée à l'image immobilisée de bête prise au piège, qu'il a donnée de lui, qui l'obsède et dont il reprend sans fin l'évocation. De la même façon, une nation s'obstine à ne pas manquer à l'idée qu'elle se donne d'elle-même une fois, et, plutôt que d'avoir à la dépasser, admet de disparaître. La création s'arrête, qui reçoit ses limites du passé et, parce qu'elle a le sens de l'insatisfaction, ne peut se détacher et se satisfait d'un état d'immuable insatisfaction. Cette jouissance morose, prolongée d'un échec, cette crainte d'être satisfait changent la liberté en son contraire.

    Georges BATAILLE

    La littérature et le Mal – Baudelaire - “Baudelaire et la statue de l'impossible”

    citant Sartre dans “Baudelaire”

     

    COLLIGNON « HARDT » VANDEKEEN

    CITATIONS VII 10

     

     

     

    Octobre 1974

     

    1. - De même que tous les hommes ont la même force extérieure, de même (et avec la même variété infinie) ils sont tous semblables par le Génie Poétique.

    Georges BATAILLE

    La littérature et le Mal - « Baudelaire » - « Baudelaire et la statue de l'impossible » citant William BLAKE (« All religions are one »)

  • Adieux à Daniel-Rops

    "Ainsi, elle s'enfonçait, volontairement, sur une route dont elle aurait pu dire elle-même qu'elle n'avait aucune issue. Le sentiment d'être en danger et déchirée au fond de son être lui donnait une rigueur désespérée. Dans les trop brefs instants où elle pouvait rencontrer Jean, il fallait qu'elle épuisât l'éternité de leur passion, et son visage avait pris un éclat étrange, comme si le feu intérieur transparaissait sous la peau. En six mois, son amour avait atteint à une telle intensité qu'on eût malaisément imaginé qu'il pût monter encore. Le soir même du jou où elle avait rendu visite à l'abbé Pérouze, elle avait rejoint Jean - les jours plus longs étaient peu favorables à laur amour, les tristes jours d'hiver les dissimulaient mieux - encore bouleversée, et elle lui avait dit :

    " - M'aimeras-tu toujours ?" Oui, cela sonne étrangement, un peu roman-photo ; mais les rapports d'homme à femme ne ressemblaient pas du tout à ceux ce maintenant, ils étaient très "roman photo" justement. "Non, tais-toi, ne réponds pas... Ce ne sont pas des mots qui peuvent répondre.

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    ARTISTE, CONTACTE-MOI SANS ME FOUTRE DE PROCES AU CUL. MERCI.

    " Il lui caressa doucement le visage, sans parler.

    " - Pardonne-moi, ajouta-t-elle aussitôt. Je suis folle. Pardonne-moi." Après tout, peut-être que les amoureux disent auttant de conneries de nos jours qu'autrefois. "Je ne te demande rien, Jean, tu sais bien, que la permission de t'aimer.

    " Et elle se blottit contre lui, enfantine, plus calme.

    " Elle ne savait pas ce qu'il pensait. Il la jugeait excessive, mais l'aimait telle. Elle avait raison, cela ne pouvait durer. Mais quoi ? Mathilde ?" Eh oui, la femme légitime, toujours malade, jamais crevée ! "Une ombre passait sur son front et, dans ses yeux, un dur reflet. Cela ne pouvait plus durer, mais cela ne pouvait pas changer non plus. Lui aussi jugeait que la route était barrée, et il ne voulait point penser plus avant.

     

    ¤

     

    Souvent, à l'instant où, renonçant à choisir, l'être s'abandonne au hasard, il semble qu'une force inconnue se substitue à sa volonté et le contraigne. Un incident, qu'elle percevait depuis longtemps, allait livrer Laure au destin qui la menaçait." Tatatah...

    "Un jour de juin, les deux seurs Salperrat parlaient dans un coin du préau avec Mlle Louvetin. Laure, qui s'approchait d'elle à leur insu, entendit un fragment de conversation. - "Elle va tout le temps sur la route des marais, après la gare. Mlle de Vastris, vous savez, qui habite à Très-Bras, m'a dit qu'elle la voyait passer souvent. - Il ne faut pas juger sur les simples apparences, répondit Mlle Louvetin. (Tiens, pensa Laure, elle est meilleure que je ne croyais). - Mais je vous dis qu"on la vue, et pas seule..." reprit l'aînée des Salperrat, la vieille fille aux cheveux jaunes. Elle se mit à rire. Les autres lui firent écho.

    - C'est vrai que c'est le gendre du sénateur ?"

    Bref, ragots et caquets. Un roman prenant, suranné, mais si vous y plongez, il vous hantera, et même vous obsèdera. Mort, où est ta victoire ?" de Daniel-Rops. Sans curailleries.

    (compter 33 lignes et ce sera la page 80) (62 08 04)

  • La barbe et les corniauds

    Vous aimez bien votre animal, le plus souvent corniaud pure race -eh merde... - mais de là aux aboiements nocturnes et à l'industrialisation mondaine en quelque sorte de votre existence entière, il y a une marge. Ces objets de luxe bichonnés, tatoués, vaccinés, enrubannés, ne semblent pas, pour un profane, les plus appropriés à communiquer une émotion bien profonde.

    Il faut se détromper : leurs croisements impliquent justement une extrême délicatesse, une grande fragilité physique et affective. Ils ont des affections, voire des dépressions, comme les humains, il faut les aimer individuellement malgré leur multiplication, personnaliser les contacts, surveiller les truffes et les selles, allier les satisfactions vaniteuses et mondaines de propriétaires aux petits soins avec le sens de la bête et de l'affection, aimer son élevage. Et si vous aimez toutes les bêtes de votre élevage, pourquoi n'y adjoindriez-vous pas l'amour de votre mari, qui revient la queue basse mais pas trop après une brève escapade sans même une aventure féminine ? On s'habitue à sa femme, à ses lubies, on s'aperçoit qu'on n'a jamais cessé de l'aimer, que les bêtes n'ont pas été un obstacle à l'amour ni le second terme d'une alternative exclusive.

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    Celui qui fut élevé dans l'admiration d'un père et l'acceptation de ses préceptes jusqu'à l'âge adulte ne peut que finir dans l'adulation d'une épouse et de son jargon, et se couler dans le moule à chienchiens. Ils furent heureux et eurent beaucoup de chiots mâles et femelles (chiot n'a pas de féminin), ils supportèrent les parfums de sueur chiennique, hymne olfactif de leur amour, et voyez-vous, lorsqu'on n'a pas eu la volonté de se créer un destin par soi-même, la sagesse consiste à accepter celui qui vous est tombé sur le paletot. Bienheureux les passifs, surtout chez les riches, et vive les passions insolites. Notre héros est passé d'un moule à l'autre. Il voyagera d'expositions en expositions, parlera croisement, pelage et angles de pattes, mènera une existence oisive et inutile selon les critères du socialisme, et on mettra un chien sur sa tombe. L'ennui de tout cela est que la leçon reste bien mince, les personnages bien schématiques, la réflexion bien superficielle, la niche de lecteurs au sens commercial du terme bien étroite, l'ouvrage éminemment dispensable, le milieu très étroit, très spécialisé, le volume suprêmement intéressant pour les membres animalistes, fort peu pour les profanes, qui préfèreront assurément, pour s'initier, compulser d'abondants ouvrages illustrés. Que nos bourgeois soient pourtant ici remerciés pour avoir ajouté de la beauté au monde, et quelque peu d'humanité parmi les brutes. Le passage qui sera soumis à votre appréciation portera sur les prémisses de l'union conjugale : il n'est question que de noces et reproduction humaines.

    "Au petit jour, Alix m'apprit qu'elle avait un "retard" et qu'il se pourrait bien qu'elle fût enceinte. Ce n'était pas la première fois qu'elle éprouvait ce genre d'alertes intimes. Généralement, elles étaient vite dissipées. Mais là elle evait eu la faiblesse d'en parler à sa mère. Sans doute celle-ci s'était-elle empressée d'en faire état devant mon père lors de leur conciliabule. Et tous deux avaient envisagé cette éventualité comme une bonne raison de hâter le mariage." Tout se passe dans le plus pur cadre bourgeois du seizième, et nous avons ici les indices de cette rage d'élevage qui saisira plus tard cette maman frustrée. "Alix se félicitait d'une circonstance qui, fût-elle fortuite et encore incertaine, avait emporté la décision. Quant à moi, je ne savais ce qui me réjouissait le plus : l'idée du mariage avec Alix ou celle de la naissance de notre premier enfant.

    "Pendant la courte période qui précéda la cérémonie nuptiale, je voyais chaque jour mon père au bureau et il s'amusait de mon impatience. Cela ne nous empêchait pas de déjeuner entre hommes, comme d'habitude, le dimanche, à La Terrine du Chef. Lors de notre dernier repas de célibataires, mon père me transperça d'un regard en vrille et me dit à voix basse :

    - C'est après-demain que tu te maries ! Alors, laisse-moi te donner le conseil d'un vieux briscard des luttes sentimentales. Si tu aimes vraiment ton Alix, il ne faut pas que ce jour-là soit, pour elle, pareil aux autres." La bourgeoisie bat son plein. Et méfiez-vous des femmes : le père a toujours, bien que marié, couru à droite et à gauche, pour enfoncer sa bite. "Elle mérite mieux que le retour banal à la maison, le dodo de la veille, les caresses de la veille, l'homme de la veille... Tu te dois de lui réserver une surprise extraordinaire, énorme, inoubliable ! Si tu as la chance de l'étonner à cette occasion, elle t'en sera reconnaissante jusqu'à la fin de ses jours ! Ce sera son véritable cadeau de noces ! Un cadeau de noces que toi seul peux lui offrir !

    "Comme j'arrondissais les yeux, il se pencha au-dessus de son assiette où refroidissait un classique tournedos béarnaise et proféra en détachant chaque mot :

    " - Tu devrais te couper la barbe !

    Je tressaillis :

    " - Tu ne parles pas sérieusement papa !"

    Du mariage aux expositions de chiens, de la robe de la mariée aux voitures de luxe, c'est ici en effet le roman des apparences, qui tiennent aussi bien lieu de vie n'est-ce pas... puisque la vie n'est qu'une apparence, rajoutons-en un peu, et supprimons donc cette barbouse qui n'est que le feint attribut d'une virilité aux abonnés absents.

    " - Si !

    " - Mais, souviens-toi... C'est toi-même qui m'as conseillé, il y a quelques années...

    " - J'ai changé d'avis. D'ailleurs, les rares fois où je vous ai vus ensemble, j'ai cru remarquer qu'Alix était contrariée, et même agacée, par ton physique de barbu. Au début, ça l'a amusée." Mais quelle lavette, ce fiston ! si au moins l'auteur en avait fait un drame profond! voyez les faibles chez Dostoïevski ! les anxiétés, les larmes qu'ils vous arrachent ! mais tous les Russes ne s'appellent pas Fédor. "Elle a eu l'impression de coucher avec un autre homme, de te tromper avec toi-même. A présent, je l'observe et je suis sûr qu'elle voudrait te retrouver tel que tu étais quand elle t'a connu : résolument imberbe ! A plusieurs reprises, je l'ai entendue faire des réflexions flatteuses sur tel acteur ou tel chanteur aux joues lisses. Elle n'ose pas t'en parler, mais je parie que cette pensée la travaille et qu'il lui arrive d'en discuter, en cachette, avec sa mère ou avec des amies. Du reste, moi aussi, je trouve que tu étais mieux avant : plus jeune, plus vif, plus moderne..... La barbe vieillit toujours les bonshommes. Elle accentue leur côté pesant, patriarcal, ennuyeux..." - eh bien, ils en ont des soucis, dans la haute..