Cette approche pudique de l'amitié entre jeunes gens, fondée aussi bien sur le charme réciproque, n'est pas absente non plus de cet ouvrage de Jacques de Lacretelle, Silbermann, dont je vous recommande les charmes précis2ment faisandés. Les garçons vont donc pouvoir s'aimer d'amour tendre, sans aucune sensualité, ou du moins, de bon ton. Il est bien connu chez les hideux polémistes de la fin du XIXe siècle que “les juifs sont une race sensuelle”, ah que pouah bien entendu. Il faudra donc que vous fassiez toutes les corrections nécessaires, dont je vous ai indiqué quelques-unes. À la semaine prochaine.

Voici bien longtemps que nous n'étions pas retournés à nos anciennes amours : Du Bellay, depuis 2042 exactement. Nous avions parlé alors des Antiquités de Rome. Cette fois-ci, j'ai sous les yeux un recueil de poésies, ainsi intitulé, Poésies, contenant outre Les antiquités les Regrets et la Défense et illustration de la langue française. Livre de poche n° 2229, au temps où cette collection ne se contentait pas de publier n'importe quoi qui eût dépassé les 30 000 exemplaires. Du Bellay donc, premières amours, expliquons-nous : chacun de ceux qui ont poussé tant soit peu leurs études ont rencontré tôt ou tard au détour de leur itinéraire les poésies de Du Bellay, surtout les Regrets.
Ils ont ânonné Heureux qui comme Ulysse..., au moins, même en cinquième des professeurs zélés ne reculent pas devant ce poème obligatoire. Notre professeur de seconde s'appelait Capoulade. Il dictait ses cours, et se trouvait universellement détesté. Il prononçait “Joachein”, il paraît qu'ainsi prononçait-on dans le temps. Mais je fus sans rancune : je me retrouvai toujours avec plaisir dans ce grand frère, Du Bellay, mort avant 40 ans un premier janvier à sa table de travail d'une crise cardiaque. Tant il avait subi d'avanies, tant il avait vécu intensément, non pas dans l'agitation externe, encore qu'il fût secrétaire à Rome, mais dans sa tête en feu. Il croyait passionément en la poésie : très tôt il avait composé L'Olive, où maints exégètes ont cru retrouver telle ou telle femme, alors qu'il s'agit vraisemblablement d'exercices de rhétorique amoureuse adressés à une Muse, à une femme idéale.
Puis il est parti dans les bagages de son illustre parent, le cardinal Du Bellay, afin de remplir au Vatican les fonctions de secrétaire d'ambassade, grâce à sa bonne connaissance de l'italien et du latin. Or il détestait cela : les manières de cour, les hypocrisies, les devises du genre de Machiavel : “Hais comme devant un jour aimer, aime comme devant un jour haïr”. Tout cela répugnait à sa nature droite, ainsi que les comptes à tenir, les largesses à distribuer au nom de son maître afin de corrompre, les soucis d'intendance à endosser : le poète souffait mille martyres. Et surtout, il endurait les peines de l'exil. Doré ou non, il ne lui apportait que soupirs et lamentations. Il préférait son “petit Liré”, qui est un village à l'est de Nantes, au “Mont Palatin”.
Et pendant son absence, des cousins procéduriers tentaient de lui arracher par des procès son petit domaine. Les Regrets exposent donc cette douloureuse situation, mais aussi décrivent avec une bonne verve satirique les mœurs de ces Monsignori, plus préoccupés de richesses, d'intrigues et de femmes légères que de religion.