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empoisonnement

  • Les trois veaux d'Hercule

    Que d'onde a coulé sous les ponts… Édipe est mort et enterré, ses filles vont vers leur destin, Sénèque (est-ce lui) compose d'autres drames, dont l'atroce Thyeste, qui bouffa ses enfants sous forme de grillade, et les ensevelit dans son propre ventre : il ne le savait pas, ses enfants non plus. C'est son frère, son propre frère Atrée, qui lui a fourni ce festin, sans le moindre remords, et l'un des jeunes gens ainsi dévorés s'appelait Tantale, du nom de son grand-père aux Enfers… Le cœur lui remonte à la bouche, il maudit le ciel, la terre, son frère, mais pas Zeus, qui doit tonner partout, et punir ce qui ne peut être suffisamment puni. Tout est brutal, se termine d'un coup, dépasse à peine les onze cent vers. Les vers n'auront pas dévoré les morts : ils ont pour tombeau leur père Thyeste, vivant et hurlant.

    Je crois que je vomirais. Nous croyons que nous vomirions, hors d'haleine, faisant tout pour crever. De chair humaine tu ne mangeras pas. De tes propres enfants ne te nourriras pas. C'est la seule fois que l'on a traité ce sujet-là, le plus horrible. Hercule sur l'Œta en revanche fut une imitation des Trachiniennes de Sophocle, et serait, aux dires des sieurs Hermann et Vessereau, non pas de premier ordre, mais « intéressante ». Pauvres choux. Le récit de la mort d'Hercule semble à ces illustres collaborateurs « trop long », mais le dénouement très ample leur a bien plu. Mais quelle œuvre dites-moi, selon vous, serait « intéressante », comme ça, d'emblée ? Tout l'Antique à ce compte suinte d'ennui.

    Nous devons l'aborder avec lenteur et respect, reconstituer tous leurs attraits pour la contemplation de ces gens-là, qui étaient nos ancêtres, mouraient vite et vivaient contemplants. À l'aube de ce nouveau drame connu de tous, Hercule pase en revue ses exploits. Il ne faut rien attendre en narratif de toutes ces histoires du début : elles représentaient toutes la même chose, et c'est le même verbe qu'on emploie pour un tableau ou pour une œuvre théâtrale. Chaque tableau représente un homme, par exemple ; dira-t-on qu'un autre peintre fait preuve de monotonie sous prétexte qu'il en a représenté un autre ? Nous sommes devenu esclaves du narratif : c'est au point que les éditeurs estiment nécessaire de faire figurer une liste des personnages, entre chevrons couchés, comme s'il s'agissait d'un oubli des Antiques.

    Pis encore dit la chèvre, les voici qui découpent la pièce en scènes, avec liste des assistants, toujours entre chevrons couchés : c'est délibérément confondre Sénèque et Beaumarchais, qui numérote ses scènes l'une après l'autre, même s'il ne s'y trouve qu'un personnage seul, pour une ou deux syllabes à dire. HERCULE donc assure devant Zeus que même sa belle-mère Alcmène a reconnu l'ascendance divine de ce fils colossal : teque… meum / patrem. Pour les ignares c'est-à-dire tous sauf moi précisons que ladite maman, Alcmène, s'est unie à son mari, et à

    Zeus, engendrant des jumeaux : Iphiklès, fils de son époux, et celui du dieu, Héraklès dit Hercule. « Pourquoi alors temporiser et tergiverser ? » Hercule désire l'immortalité, se faire promouvoir Divinité. Il a payé. Il a prouvé, par ses travaux tant de fois énumérés dans la littérature antique, sa valeur surnaturelle. Peut-être, imagine-t-il, son arrivée dans l'Olympe sèmerait-elle la panique parmi les dieux ? Mais il n'est pas violent, il le jure ! Il sera le parfait sage stoïcien ! Il fera bonne figure ! Il ne pèsera pas trop sur l'épaule du géant Atlas ! L'ignare que je suis vérifie ce qui s'est passé : oui, c'est bien Hercule qui a remplacé Atlas pour soulever la terre ; pendant ce temps, le bon géant cueillait les pommes d'or des Hespérides, qui sont des oranges.

    antiquité,exploits,empoisonnementPuis Hercule est reparti avec les pommes d'or, laissant Atlas reporter le ciel sur son épaule. La terre et le ciel, le monde, en somme. Il pourrait lui en vouloir, le géant, qui a donné son nom à la vertèbre porte-crâne. Il pourrait dire : « Quoi ! Il faudrait encore que je portasse et supportasse le poids de ce flemmard, qui m'a laissé choper les fruits, et m'a refilé le globe à reporter ? » Impossible : Atlas, « celui qui porte », est un Titan vaincu. Son châtiment éternel est de soulever le monde entier. Il n'a qu'à la fermer, et à tenir ferme. « Pourquoi la voûte étoilée m'est-elle refusée par toi ? » Car les desseins du géniteur sont impénétrables. Et puis, quoi de mieux que la longueur du propos pour amplifier une plainte ?

    Une tragédie ? Tous ces acteurs et autres chanteurs d'opéras sont bien bavards. Celui-ci mourra très, très longuement, très éloquemment. Un tableau, pas une histoire. « La mort, du moins, m'a rendu à toi » : mais il n'est pas encore mort. Il n'a pas pu mourir. Il a tué tous ses adversaires. À chaque fois, c'est l'ennemi que la mort a pris. C'est donc la mort qui n'a pas voulu d'Hercule, et qui le rend à Zeus-Jupiter : « Je te le rends. Fais-le donc immortel, car il ne peut pas mourir ». Et en avant, harche ! hagne donc ! Remettez-nous les travaux, les exploits d'Hercule ! Car, outre les douze travaux, Héraklès n'a pas chômé ! La liste des monstres était longue, c'est lui aui en a débarrassé les humains ! « j'ai triomphé de tous les fléaux qu'avaient engendrés la terre, la mer, l'air, les enfers » - autant dire les quatre éléments : « Nul lion ne rôde plus à travers les villes d'Arcadie », et je crois bien qu'il n'y en a jamais eu dans le Péloponnèse…