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Eddy Bellegueule

 

 

Lorsqu'on interviewait Edouard Louis sur son ouvrage, premier roman édité, c'était toujours pour lui faire en quelque sorte le reproche de n'avoir pas épargné sa classe sociale d'origine, le petit peuple de Picardie : "Vous les faites parler mal" ("C'est pour pas qu'on y va", "Faut pas qu'y soye" ou "qu'y soive", et autres). Les bonnes âmes salvatrices du peuple, toujours brave, toujours bon et con-mais-c'est-pas-sa-faute avec le chômage, l'alcoolisme et la misère culturelle et autres interminables couplets bien-pensants, répètent qu'il ne doit pas être stigmatisé, car il ne faut pas attaquer les cons, ça pourrait les vexer. Or, à force de ne pas clouer au pilori les salopards qui cassent du pédé, on va finir par les mettre au pouvoir.

C'est bien en route, et certains vont s'en mettre plein les fouilles en jouant sur cette connerie épaisse que l'on flatte, que l'on séduit, que l'on flagorne. Parce que voyez-vous, mes braves auditeurs et demi, même un imbécile inculte doit avoir tout de même, à un moment donné, un éclair de conscience, et se rendre compte que cracher sur un petit camarade, lui casser la gueule s'il ne baisse pas les yeux, ça n'est pas bien. Et si je déteste l'ignorance et le poids des préjugés, je déteste aussi ceux qui les subissent, parce qu'ils trahissent l'être humain, qui fait fonctionner sa tête et son coeur. Ils ne sont pas tous comme ça. Eddy Bellegueule se fait assommer au fin fond de la Somme, où l'on pense encore comme au fin fond des années 50, où même Brassens pouvait chanter le crime pédérastique aujourd'hui ne paie plus en déclenchant des applaudissement aussi nourris qu'unanimes, ce qui m'a toujours choqué.

Dans la première partie, le roman d'Eddy Louis constate, et dans la deuxième, il ouvre une perspective d'évasion, par son entrée au lycée d'Amiens, où les fils de bourgeois, parfaitement, les fils de salauds et d'exploiteurs du peuple, tolèrent, comprennent, admettent déjà plus sa différence : il finira dans le théâtre à Paris, où rien n'est plus insignifiant que d'être homosexuel. Mais combien d'autres sont restés à se faire taper sur la gueule en silence. Et ça commence tôt, dès la primaire. Les autres aussi se tripotent dans les coins et "jouent" au pédé, ils enfoncent ce qu'il faut là où il faut, mais le féroce auteur finit par comprendre, dès sa dixième année, que l'important n'est pas de l'être, mais d'en avoir l'air.

D'APRES UNE

PHOTO DE VINCENT PEREZ COMME DANS LE BLOG PRECEDENT

Le grand aigle.JPG

Et surtout de ne pas en parler. Les autres se regardent entre eux mais conservent le secret. Pour le petit con de dix ans qui se fait sauter par son cousin de quinze, "ça se voit". Il est allé chiper les bagues de sa soeur, en plus, pour "avoir l'air d'une fille" avant de se faire mettre. Il n'a jamais pu s'intégrer à un "groupe de garçons". A noter que pas un instituteur n'a jugé bon de remarquer ce qui se passait dans les couloirs. On lui crache dessus et on lui fait lécher les mollards. On le tabasse. Comment voulez-vous ne pas rater l'école le plus possible. Quand des bourreaux déménagent, ils sont remplacés par d'autres. Alors comprenez la rage, la violence de la dénonciation, le manque de recul, une absence totale d'analyse sociologique, la haine d'un milieu où les ivrognes se succèdent de père en fils, où la seule gloire accessible est de se farcir quelques mois de taule.

Et le tout, entre Français de souche, eh oui, chassez les parias, les salauds reviennent au galop, avec un bon accent picard bien de chez nous. A deux, à trois, à cinq contre un, les tabassages, les vexations, les humiliations, les meurtres à petit feu à longueur d'années scolaires. Le crime pédérastique en vérité Brassens ? Tu vois, même lui chante des conneries. Sans oublier "les amis de luxe, les petits Castors et Pollux" "choisis par Montaigne et La Boétie", c'était ça, être populaire, et d'ailleurs, du haut en bas de la société. Encore maintenant, va dire que tu es un professeur homo, tu la sentiras ta grosse douleur. Homme ou femme.

Ne vous en faites pas, la planète ne va pas se dépeupler. Avant donc de sombrer dans la banalité à tout jamais renouvelable (car le monde est si lent à changer) de mes tirades antihomophobiques, passons au texte, dont les rameaux d'espaliers supporteront j'espère de belles poires critiques. L'auteur, après s'être fait mettre avec délices à dix ans, atteint ses douze. "Quand j'ai eu douze ans, les deux garçons ont quitté le collège. Le grand roux a entamé un CAP peinture et le petit au dos voûté a arrêté l'école. Il avait attendu d'avoir seize ans pour ne plus y aller sans prendre le risque de faire perdre les allocations familiales à ses parents. Leur disparition était pour moi l'occasion d'un nouveau départ. Si les injures et les moqueries continuaient, la vie au collège n'était en rien comparable depuis qu'ils n'étaient plus là (une nouvelle obsession ne pas aller dans le lycée auquel j'étais destiné, ne pas les y retrouver)." Donc l'école perpétue l'injustice au lieu d'y remédier.

Donc, et mieux dit encore, l'éducation n'éradique pas les préjugés. Il faut attaquer le mal, m-a-l, à la racine, et faire des cours pour empêcher l'homophobie, ce qui ne veut pas dire "faire de la propagande" comme le disent les braves gens, qui n'aiment pas que, alors que les pédés aiment queue, mais qu'est-ce que j'ai avec Brassens aujourd'hui. On peut aimer les flics sous la forme de macchabées, mais être une tafiole, ça, jamais. Comme c'est bizarre l'âme humaine, nous sommes entre les mains de Dieu décidément, mais Dieu n'a pas de mains, et aujourd'hui non plus. Reprenons: "Je ne devais plus me comporter comme je le faisais et l'avais toujours fait jusque là. Surveiller mes gestes quand je parlais, apprendre à rendre ma voix plus grave, me consacrer à des activités exclusivement masculines. Jouer au football plus souvent, ne plus regarder les mêmes programmes à la télévision, ne plus écouter les mêmes disques. Tous les matins en me préparant dans la salle de bain je me répétais cette phrase sans discontinuer tant de fois qu'elle

finissait par perdre son sens, n'être plus qu'une succession de syllabes, de sons. Je m'arrêtais et je reprenais Aujourd'hui je serai un dur. Je m'en souviens parce que je me répétais exactement cette phrase, comme on peut faire une prière, avec ces mots et précisément ces mots Aujourd'hui je serai un dur (et je pleure alors que j'écris ces lignes ; je pleure parce que je trouve cette phrase ridicule et hideuse, cette phrase qui pendant plusieurs années m'a accompagné et fut en quelue sorte, je ne crois pas que j'exagère, au centre de mon existence)."

Même chose si vous êtes apprenti danseur ("le ballet c'est débile", n'est-ce pas), même chose si vous passez pour un Arabe ("les Arabes pas de problème c'est tous des pédés", vous pouvez me rajouter une couche de connerie s'il vous plaît je ne me sens pas assez lourd, là...)

- c'est toute une destruction, une autodestruction, méthodique, non pas seulement d'une particularité sexuelle ou d'une nuance dans l'épiderme, mais de toute une personnalité, destruction qui plus est intériorisée, rongeante. Oui, tout le monde l'a déjà dit. Nous serons originaux plus tard. Comme disait Péguy ("quoi, ce fasciste ! - ta gueule") "on se plaint de ce que je répète toujours la même chose, mais c'est parce que c'est toujours la même chose".

Oui, Eddy Bellegueule, Edouard Louis, s'apitoie sur lui-même, mais c'est par rage, c'est pour transmettre, pour rompre l'isolement de tous ceux et de toutes celles que l'on persécute. Il s'adresse aux autres, aux bons autres, à ceux qui lui ressemblent, car après tout ses persécuteurs plus âgés que lui, ces grands casseurs de gueule pétris de courage et de bonne conscience, c'étaient aussi des autres, n'est-ce pas, de ceux qu'il aurait fallu acepter, découvrir, adorer ? Vous voyez que ce fameux "amour des autres" dont nous avons les oreilles rebattues par tous les connards de la planète ne mène nulle part et ne veut plus rien dire de rien de rien de rien.

Les autres, oui, mais sans leur poing dans ma gueule, sans leur kalachnikofs dans mon bistrot, O.K. ? Pas TOUS les autres. Les autres CHOISIS. Reprenons :

"Chaque jour était une déchirure ; on ne change pas si facilement. Je n'étais pas le dur que je voulais être. J'avais compris néanmoins que le mensonge était la seule possibilité de faire advenir une vérité nouvelle. Devenir quelqu'un d'autre signifiait me prendre pour quelqu'un d'autre, croire être ce que je n'étais pas pour progressivement, pas à pas, le devenir (les rappels à l'ordre qui viendront plus tard Pour qui il se prend ?).

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