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Le Singe Vert - Page 43

  • Mémoires de Saint-Simon

    Seul dans la salle d'attente, avec, dans la pièce à l'ordi, la Mexicaine. Sa peau si douce et autre chose à foutre. Il faut trouver le trou et puis tu gicles et tu te retrouves comme un con. Avec toutes les complications et la chtouille. L'autre, masculin, féminin – ne m'intéresse pas. Je parle de Saint-Simon, le duc, pas le socialo. Histoires de généalogies, de gynécologie intergénérationnelle : notre noble se roule là-dedans comme ver en fumier. Il monte et redescend les branches, saute comme un atèle amazonien, comme faisait l'autrice de la Princesse de Clèves . « Elle se garda bien de faire son fils catholique : le père l'était, c'était assez » nous dit le Duc. Voilà comme l'on s'étripait sous l'Ancien Régime.
        Cela fait si longtemps que j'ai renoncé à la vie, aux rencontres, au corps et à  l'autre. Mes sourires sont devenus sans effet. Il porta le nom de prince de Tarente, dont aucun ne s'était avisé depuis cette Charlotte d'Aragon comtesse de Laval-Montfort. Elle s'en va : « Ciao, bonne émission » avec un accent néo-aztèque à couper au couteau. Voir un homme s'escrimer sur un cahier n'incite pas à la conversation. Je veux une efficacité immédiate. « S'intéresser à elle » ? Navré. Je ne sais plus si je souffre ou si j'en prends mon parti. Les « moi » seraient donc successifs ? Voyons voir comment les moi sont. Ma cohérence est donc : « Moi, vivre ? Ça va pas non ? Avec tous ces risques ?

    La moto verte.JPG


        Plutôt rester morpion, plutôt toute sa vie, râler contre le monde entier. » - est-on naturellement introverti ? ¿ Mexicana, me quieres ? De l'intérieur de ma voiture, et vitres relevées, je demande cela aux femmes que je croise sur les trottoirs. Et je me réponds en chantonnant sans fin, sur l'air de Papa maman la bonne et moi : « T'es vieux t'es moche t'es con tu pues / Tu crèves t'es vieux t'es moch t'es con... », etc... Donc: j'ai eu peur. Mais : l'ai décontracté surtout, l'air de s'en foutre, consentir à perdre mon temps, à ne pas « faire mes devoirs » pour Papa l'Instite, il me reste  à tourner en troisième personne pour composer le personnage. Sa mère eut ses raisons, et le mit au service d'Hollande, que nous protégions alors ouvertement, dans lequel il devint général de la cavalerie, gouverneur de Bois-le-Duc, et chevalier de la Jarretière. Et voilà comment on fait carrière grâce à un massacre (je n'ai toujours pas compris ce que c'était), un peu comme le Dauphin que sa belle-mère Yolande d'Anjou a toujours soutenu jusqu'à ce qu'il devînt Charles VII... le Victorieux.
        La féodalité, c'était franc. Les guerres privées, soit : en 1432, chacun se battait contre tout le monde, ce n'étaient qu'incessantes escarmouches. Mais ces gens-là ne connaissaient que la guerre depuis octante ans. Je pense aussi aux jeunes Indiennes de bonne famille, à l'autre bout du monde, qui consultant les annonces matrimoniales avec leurs parents, pesant le pour et le contre, comme s'il s'agissait d'acheter un appartement ou une voiture d'occase ; et une Bengalie, invitée sur le plateau de “Ce soir ou jamais”, disait qu'il n'était rien de plus normal, que la  jeune fille agissait ainsi sans plus de questions que pour avaler un verre d'eau.
        Et nos Occidentaux de s'esclaffer : quoi ! ne pas se marier par amour, accepter de régler cela en famille ! J'estime donc que les siècles passés n'ont pas nécessairement été ceux de la plus grande oppression, et que les gens n'y étaient pas forcément plongés dans le malheur le plus noir. Et que ne dira-t-on pas de nous autres, d'ici peu...
                            
                            15 01 2057

        L'éloignement de ces deux dates, cher public, vous montre bien l'histoire d'amour manquée que ce fut entre Saint-Simon et moi. Depuis 1971 je tente mollement d'achever ce Grand-Œuvre, alchimie du Grand Siècle. Toujours le tome II, que rechevauche le Tome III, d'où maints doublons. Mais je m'en fiche. Finir le II, reprendre le III, cela fera deux couches, le temps des superpositions. Où êtes-vous, public ? De quelles limbes incréées vous penchez-vous à présent sur moi ? Reportez vous en l'an 1707, qui sera votre Préhistoire. Figurez qu'« il y en eut deux » ; des lieutenants généraux, voyons, de la marine ! Ces fameux vaisseaux louis-quatorzièmes que vous avez reconstitués dans le musée de Rochefort, à présent sous les eaux ! Le mérite fit Ducasse, la faveur fit d'O – beau raccourci !
        Ducasse de tous les pays, unissez-vous ! A moi Lautréamont ! À moi chef de ma radiodiffusion, si doux, si secret, si distant ! si saint-simonien, du nom du petit-neveu socialiste, si peu prisé par moi ! Marquise d'O, bonjour ! Votre maison existait donc ? Votre château également ? Je crois l'avoir longé deux fois dans ma voiture, si proche de la grand-voie, sans que je le visitasse ! Et Saint-Simon de poursuivre, assassin vipérin : ...qui, de capitaine tout nouveau, et tout au plus lorsqu'ik fut mis auprès du comte de Toulouse, monta à ce grade si rare et si réserrvé dan sla marine sans être sorti de Versailles, ni s'en être absenté qu'avec M. le comte de Toulouse. Ô l'éternel refrain des mérites bafoués ! lointain écho de La Bruyère ! naïf bailli de Chartres, ignorant l'éternité des choses, et la transmission des faiblesses humaines !
        Mais je fais le malin. Je fais « celui qui sait ». Saint-Simon savait sur son siècle, nul ne sait comment. Il perfidait de partout, il traquait les manquements, les querelles à propos des longueurs de traîne, et les moindres usurpations des bâtards. Pendant ce temps-là, à Toulouse, les fanatiques célébraient toujours la Saint-Barthélémy comme un jour de victoire sur l'hérésie, eux-mêmes lointains descendants d'hérésiarques. On a vu qu'il en couta de ne pas donner une seconde bataille sûrement gagnée, et Gibraltar repris malgré la volonté de l'amiral et de toute la flotte, p. 457 – de cette édition sans doute, Pléiade première. Saint-Simon laissait les références en blanc je suppose.

  • Thanatopraxie

    La formation du thanatopracteur s'achève par l'obtention d'un diplôme d'aptitude professionnelle (anatomie, histologie, toxicologie) ; nous concevons aisément qu'une telle fonction, impliquant une fraternité à l'égard des morts, doive également requérir de grandes qualités de cœur, d'esthétisme et de sang-froid.  Si les soins ont lieu à domicile, un tel traitement ne garantit pas toujours cependant les meilleures conditions d'hygiène. D'abord, le praticien vérifie la mort réelle de la personne concernée, ainsi que son identité. Le corps doit reposer sur le dos, pour une meilleure répartition de la masse sanguine. Les parties génitales seront recouvertes.
      

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     La bouche et les narines seront soigneusement désinfectées. On utilisera parfois un moule buccal, plutôt qu'une mentonnière, pour maintenir les mâchoires fermées. Les paupières ne sont jamais cousues mais collées. L'injection du liquide (8 l environ) se fera pour les hommes par deux petites incisions aux jointures des épaules (carotides), pour les femmes dans les fémorales. Un système de drainage permet le remplacement progressif des liquides naturels par l'injection, à l'aide d'une seringue hypodermique emplie au fur et à mesure, d'une solution à base d'antiseptiques, de formaldéhydes, méthanol, éthanol,  parfois légèrement colorés pour être suivis à la trace.   
        Le corps est soigneusement lavé, régulièrement massé, pour diminuer le rigor mortis et faciliter la circulation des liquides injectés,Les organes internes sont vidés par aspiration à l'aide d'un trocard ou longue aiguille creuse. Une poudre de scellement évitera les fuites quand tout sera terminé. Puis il sera procédé au second lavage, enfin au séchage du corps. Après le traitement chirurgical interviennent les soins cosmétiques : rasage sauf pour les barbus, maquillage, onction de crèmes, plaquage des cheveux, coupage des ongles, éventuellement bouchons de couleur chair pour les paupières. Un soin particulier sera apporté aux lèvres, qui, trop serrées, risquent de sembler menaçante ; il faut pour cela régulièrement masser la lèvre inférieure.
        Le corps, soigneusement aseptisé, nettoyé de ses taches éventuelles en particulier dans les cheveux, doit être élégant et reconnaissable. Le plus difficile reste la présentation du corps, la plus naturelle et harmonieuse possible, à l'intérieur du cercueil.

  • Clavel Hurricana

    Courbe.JPGNous vous présentons Hurricana de Bernard Clavel, premier volume de la saga intitulée Le royaume du Nord, consacrée à l'installation au début du XXe siècle des familles canadiennes dans les contrées avoisinant la baie d'Hudson. Bon livre pour enfants et adolescents sachant lire et pour adultes, les premiers recevant, les derniers reconnaissant les ineffables effluves glacés et salubres des ouvrages nordiques, j'ai nommé Jack London mais aussi l'oublié James Oliver Curwood. Il me fallait cela, à moi : les moiteurs de la jungle ou les glaces arctiques. De la navigation, ici sur les torrents du Haut-Québec en direction de l'Abitibi. Des jambes gelées, ici les jambes d'Alban Robillard, définitivement gelées pour s'être gelées dans un trou d'eau sous la glace.
        Des veillées autour du poêle sous le toit de bois craquant par cinquante degrés sous zéro, avec la mère, le chaudron de soupe et les enfants blottis et chamailleurs, ici ladite famille Robillard avant son départ. Voilà comment cela se passe, et la référence à Maria Chapdelaine est inévitable, même si l'auteur à juste titre doit s'en montrer agacé – ne nous a-t-il pas dit d'ailleurs qu'il avait horreur qu'on parle de ses bouquins, et de juger ceux des autres : une famille de bûcheurs, entendez de défricheurs – d'abord abattre les arbres, puis dessoucher – en tirant sur les souches – puis labourer, semer, attendre que la neige fonde après avoir protégé la graine, enfin récolter. Après quelques années, notre pionnier en a assez de voir s'installer autour de lui des voisins, nouveaux venus attirés eux aussi par la fertilité de cette terre froide, et décide de gagner plus au nord, afin de   tout refaire.    
        Alban Robillard, encore valide, a déjà nous dit-on plusieurs échecs derrière lui. Cependant, convaincu par son beau-frère le coureux de bois, il se lance une fois encore à la recherche des latitudes boréales. Comment l'on déménage, fourneau sur la tête, balluchons dans le canot, sans oublier les matelas roulés en cylindres, comment l'on se reçoit les intempéries sur le front, comment les enfants manquent périr de fatigue, comment l'on parvient à bout de forces à quelques hectomètres du premier campement  de la nouvelle ville, consacrée à la construction du train Transcanadien, voilà ce que l'on apprend, et fines bouches de remarquer qu'il n'y a là aucune espèce de surprise,”nous avons déjà lu cela” disent-ils.
        Mais il y a la minutie amoureuse avec laquelle Bernard Clavel campe et dépeint ses personnages, suivant la mère de famille, une forte femme, dans le moindre de ses gestes, car il n'est  pas jusqu'aux moindres mouvements de cuillère qui n'appartienne à ce substrat culturel paysan et surtout canadien qui n'est pas si éloigné que nous n'en éprouvions encore et toujours la nostalgie. Et cette exactitude-là, passée de mode chez certains intellectuels, nous fait tout bonnement revivre avec ces gens-là si proches. Et lorsque le petit Georges est sur le point de mourir, et que l'on envoie à trois jours de marche aller-retour l'oncle coureux de bois pour aller chercher le médecin le plus proche, même si nous nous attendons à la rencontre avec le sorcier indien (Algonquin plus précisément), à la tempête en forêt, aux émotions de la mère, du père, qui prient tout de même moins à tout propos que ces bigots de Louis Hémon, nous entrons de plain-pied dans le domaine de ces émotions-là, parce qu'elles sont les émotions du roman populaire si décrié.
        Décrié ? Voire : car où puisons-nous le ressourcement le plus exact avec nos émotions d'amateurs d'histoires que dans ces grandes épopées populaires que nous retrouvons avec autant d'émerveillement dans nos feuilletons télévisés ? Je parle de Sans Famille par exemple, de Romain Kalbris  d' Hector Malot, du  Tour de France par deux enfants – tous romans d'enfances enfantines mais éternellement gravés dans nos âmes de petits lecteurs d'avant l'ère du rap et du ska pouah.

  • Extrait d'Agnès Martin-Lugand

    " - Arrête. J'ai décidé que je partais en Irlande quelques mois, tu n'as rien à dire.
        " - Ne compte pas sur moi pour t'accompagner."
        " Je me levai et me mis à ranger tout ce qui me tombait sous la main.
        " - Tant mieux, parce que tu n'es pas invité. Je n'en peux plus d'avoir un toutou derrière moi. Tu m'étouffes ! criai-je en le regardant." (la colère, ça occupe bien, aussi) - quelques mois : ne jamais oublier, amis mortels, que le spectacle continue.
        " - Dis-toi bien une chose, je vais très vite recommencer à t'étouffer.
        " Il pouffa de rire et, sans me quitter des yeux, s'alluma tranquillement une cigarette. Buste du Docteur Chammard ancien maire à Tulle.JPG
        " - Tu veux savoir pourquoi ? Parce que je ne te donne pas plus de deux jours. Tu vas revenir toute penaude et tu me suppllieras de t'emmener au soleil." (il en sait aussi des choses, le Fred).
        " - Jamais de la vie. Crois ce que tu veux, mais je fais ça pour guérir.
        " - Tu te trompes de méthode, mais au moins tu es remontée comme une pendule.
        " - Tu n'as pas des copains qui t'attendent ?
        " Je ne supportais plus son regard inquisiteur" - et moi je connais une rime pour "une pendule".
        " Il se leva et s'approcha de moi.
        " - Tu veux que j'aille fêter ta dernière lubie ?
        " Son visage se rembrunit. Il posa ses mains sur mes épaules et planta ses yeux dans les miens.
        " - Tu cherches vraiment à t'en sortir ?
        " - Evidemment.
        " - Donc, tu es d'accord pour que tes valises ne contiennent aucune chemise de Colin, aucune peluche de Clara, pas de parfum à part le tien.
        " Je m'étais fait prendre à mon propre piège" - eh oui, on prétend, et puis... "J'avais mal au ventre, à la tête, à la peau. Impossible de fuir ses yeux noirs comme le charbon, ses doigts broyaient mes épaules.
        " - Bien sûr, je peux aller mieux, je vais me séparer petit à petit de leurs affaires. Tu devrais être content, depuis le temps que tu veux que je le fasse.
        " Pae je ne sais quel miracle, ma voix n'avait pas flanché". Comme disait la gouvernante de mon père, "allez hop, on vire tout ce qu'il y a dans la chambre de votre femme".
        " Félix soupira profondément.  
        " - Tu es irresponsable, tu n'y arriveras jamais. Colin ne t'aurait jamais laissé entreprendre un tel projet. C'est bien, tu as cherché à faire quelque chose pour t'en sortir, mais renonce, s'il te plaît, on va trouver autre chose. J'ai peur que tu t'enfonces." Là, quelques longueurs (oui, bon...) et clichés.
        " - Je n'abandonnerai pas.
        " - Va dormir, on en reparle demain.
        " Il fit une moue désolée, embrassa ma joue et prit la direction de la sortie sans un mot de plus.

        "Au lit, enroulée dans la couette, le doudou de Clara étroitement serré entre mes bras, je tentais de calmer les battements de mon coeur. Félix avait tort, Colin m'aurait laissé partir seule pour l'étranger, à l'unique condition qu'il se soit occupé de l'organisation. Il gérait tout lorsque nous partions en voyage, du billet d'avion à la réservation d'hôtel, en passant par mes papiers d'identité" - indépendance, souffrance. "Jamais il ne m'aurait confié mon passeport ou celui de Clara, il disait que j'étais tête en l'air. Alors aurait-il eu confiance en moi pour mener un tel projet ? Pas sûr, finalement."
        Vous aurez envie de lire Les gens heureux lisent et boivent du café, parce que vous vous y retrouverez : amour de la lecture et du café, recherche d'humour et d'émotion poignants l'un et l'autre, élégance, discrétion. Bonne chance Agnès Martin-Lugand. éditions Michel Lafon, après vieux buzz sur internet : parfois, faire la Croisette a du bon. 

  • Balustres de Tulle

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