Clavel Hurricana
Nous vous présentons Hurricana de Bernard Clavel, premier volume de la saga intitulée Le royaume du Nord, consacrée à l'installation au début du XXe siècle des familles canadiennes dans les contrées avoisinant la baie d'Hudson. Bon livre pour enfants et adolescents sachant lire et pour adultes, les premiers recevant, les derniers reconnaissant les ineffables effluves glacés et salubres des ouvrages nordiques, j'ai nommé Jack London mais aussi l'oublié James Oliver Curwood. Il me fallait cela, à moi : les moiteurs de la jungle ou les glaces arctiques. De la navigation, ici sur les torrents du Haut-Québec en direction de l'Abitibi. Des jambes gelées, ici les jambes d'Alban Robillard, définitivement gelées pour s'être gelées dans un trou d'eau sous la glace.
Des veillées autour du poêle sous le toit de bois craquant par cinquante degrés sous zéro, avec la mère, le chaudron de soupe et les enfants blottis et chamailleurs, ici ladite famille Robillard avant son départ. Voilà comment cela se passe, et la référence à Maria Chapdelaine est inévitable, même si l'auteur à juste titre doit s'en montrer agacé – ne nous a-t-il pas dit d'ailleurs qu'il avait horreur qu'on parle de ses bouquins, et de juger ceux des autres : une famille de bûcheurs, entendez de défricheurs – d'abord abattre les arbres, puis dessoucher – en tirant sur les souches – puis labourer, semer, attendre que la neige fonde après avoir protégé la graine, enfin récolter. Après quelques années, notre pionnier en a assez de voir s'installer autour de lui des voisins, nouveaux venus attirés eux aussi par la fertilité de cette terre froide, et décide de gagner plus au nord, afin de tout refaire.
Alban Robillard, encore valide, a déjà nous dit-on plusieurs échecs derrière lui. Cependant, convaincu par son beau-frère le coureux de bois, il se lance une fois encore à la recherche des latitudes boréales. Comment l'on déménage, fourneau sur la tête, balluchons dans le canot, sans oublier les matelas roulés en cylindres, comment l'on se reçoit les intempéries sur le front, comment les enfants manquent périr de fatigue, comment l'on parvient à bout de forces à quelques hectomètres du premier campement de la nouvelle ville, consacrée à la construction du train Transcanadien, voilà ce que l'on apprend, et fines bouches de remarquer qu'il n'y a là aucune espèce de surprise,”nous avons déjà lu cela” disent-ils.
Mais il y a la minutie amoureuse avec laquelle Bernard Clavel campe et dépeint ses personnages, suivant la mère de famille, une forte femme, dans le moindre de ses gestes, car il n'est pas jusqu'aux moindres mouvements de cuillère qui n'appartienne à ce substrat culturel paysan et surtout canadien qui n'est pas si éloigné que nous n'en éprouvions encore et toujours la nostalgie. Et cette exactitude-là, passée de mode chez certains intellectuels, nous fait tout bonnement revivre avec ces gens-là si proches. Et lorsque le petit Georges est sur le point de mourir, et que l'on envoie à trois jours de marche aller-retour l'oncle coureux de bois pour aller chercher le médecin le plus proche, même si nous nous attendons à la rencontre avec le sorcier indien (Algonquin plus précisément), à la tempête en forêt, aux émotions de la mère, du père, qui prient tout de même moins à tout propos que ces bigots de Louis Hémon, nous entrons de plain-pied dans le domaine de ces émotions-là, parce qu'elles sont les émotions du roman populaire si décrié.
Décrié ? Voire : car où puisons-nous le ressourcement le plus exact avec nos émotions d'amateurs d'histoires que dans ces grandes épopées populaires que nous retrouvons avec autant d'émerveillement dans nos feuilletons télévisés ? Je parle de Sans Famille par exemple, de Romain Kalbris d' Hector Malot, du Tour de France par deux enfants – tous romans d'enfances enfantines mais éternellement gravés dans nos âmes de petits lecteurs d'avant l'ère du rap et du ska pouah.