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Le Singe Vert - Page 41

  • Hippopotame et poussière


        Il est perché dans la poussière, jeune, égaré, la tête énorme et pourtant résolue. C'est un hippopotame en cire dure, gris comme il se doit, je ne l'ai pas épousseté depuis des lustres, il me regarde de ces yeux bornés qu'ils ont tous lorsque rien ne vient le déranger. Son visage est rectanguleure, au chanfrein démerurément large, avec deux trous pour les naseaux sur le renflement du mufle, deux seins inversés par le creux de leurs aréoles. Au sommet pointent les oreilles, rejointes par un occiput en forme de joug allongé. le tout trapu comme il se doit. La lumière se marque également au-dessus des narines, et à l'heure qu'il est, le soleil étale sur le gras de la poussière un chemin d'échine ample et large, prolongeant le gros cou par un angle fuyant de 15 à 20°.
        Le fanc gauche seul visible s'arrondit dans l'ombre, sans autres plis que la hanche, à peine, et le garrot, juste indiqués et convergeants sans se toucher vers le bas. Quatre pattes courtes plantées en symétries marquent un territoire étroit, indisputé, sur le carré noir d'un amplificateur. L'ensemble de l'animal est insignifiant, compact, banal, tout petit et passif. Voir de l'âme là-dedans serait spéculation. Cela ferait 8cm, sur 4 de haut. Le socle fut déjà décrit : 15 cm sur 20 peut-être, avec une haute façade d'un cm d'épaisseur, et plus noir. L'angle le plus éloigné se fait manger par la perspective de mon écran, clair et fonctionnel sans plus.
       Mon chien Pataud.JPG C'est un amplificateur, concentrant l'ouverture et la fermeture du son, les aiguës, les graves, et d'autres fonctions obscures aux profanes du tympans. Cinq boutons tournants ou cliquants (les plus petits aux deux bouts du rayon) en attestent. Mon petit-fils a tout réglé, avec mission de "ne plus toucher à rien". Pouirtant certaines émissions que j'ai enregitrées "bousillent", par saturation. J'ai donc touché au bouton des graves, afin de reconnaître et comprendre ma voix trop peu éloignée du micro enregistreur. Pourquoi cet appareil si volumineux ? Je me souviens d'une mode, vers les années 86, où de vastes gaillards colorés trimballaient sur leur épaule de longs parpaings noirs et mélodieux, l'oreille collée à la membrane vibratile : c'était du rap, ou du reggae, à fort volume.
        Parfois le matériel est dilaté, pour garantir une qualité, pour bien montrer qu'on n'a pas négligé, qu'on n'a pas pleuré comme on dit par ici, la matière. D'autres fois, la miniature sera privilégiée. Ce gros parallélépipède (mot qui me ravissait étant gosse) porte à son sommet, dans la poussière donc, ce minuscule hippopotame massif recouvert lui-même de cette gluanteur négligente et négligée, que je nettoierai aussitôt ce travail fini. Entre ses quatre pieds, l'animal recevrait la vibration de cette grande pierre plastique et nore, sorte de Kaâba des sons. Empressons-nous d'être absurde en signaant, sur tout le devant, ce pont de pantalon de marin, tendu sur un cercle, portant en majuscule à son sommet la mention THRUSTMASTER, "maître de confiance", maître en fidélité acoustique ?
        ...Mon anglais m'a trahi ; confusion avec to trust. Il s'agit d'un "pousseur" de son, d'un "booster", pour demeurer sur le sol anglais. "Pousser", "introduire", "fourrer" : le baiseur d'oreilles. Le défonceur de paroi. Ah bon. Avec, sous le rang de boutons, un mignon marque-page montrant la tête d'un panda, grosse peluche aux yeux pochés, sur fond vert. L'hippopotameau n'a pas bougé. Il attend le coup de lingette. Il sera remplacé, car j'en ai d'autres, une petite collection, pour laquelle nous  nous montrons difficiles. Je ne me souviens plus du jour de son achat. "Son œil noir me regarde", il n'a rien d'amoureux, juste une ébauche de conscience, dans une masse impénétrable, compacte, neutre, inexpressive, hébétée.
        

  • Décryptage de Saint-Simon

        Décryptons : pour ce couple, il était agréable d'être à Versailles mais pas à la cour. Il est donc vraisemblable qu'ils appréciaient la proximité du roi et les agréments de Versailles, mais que le cérémonial hypocrite et pesant leur coûtait. A moins qu'il ne soit question, plus vraisemblablement, de Rouvroy et de son épouse, "fille de la sous-gouvernante des filles de Monsieur". Nous voyons mal en effet la Princesse de Conti en personne s'ennuyant de la cour! Suivons donc le sort de cette parentèle aux goûts modeste : "Pour en être" (de la cour), "c'est-à-dire des fêtes et des voyages de Marly, il falloir pouvoir être admise à tabe et dans les carrosses comme les femmes de qualité", ce qu'une simple fille de sous-gouvernante ne pouvait être ; c'est ce qui manquoit à l'agrément solide de sa vie, et c'est ce qui eût été de plain-pied son mari étant de ma maison. Eh oui ! à femme déclassée, mari déclassé ! "Ma maison" !
        Comme il dit cela ! Lui dont la noblesse ne remonte qu'à Louis XIII ! dirait-on pas qu'il parle de son valet de chambre ! ces distinctions étaient de la première importance, autant que de nos jours l'antiracisme ou l'immigration forcenée, dont tous nos descendants feront des histoires drôles. La cour est un jeu d'échecs : j'aime autant ce jeu-là que celui de Poutine en Syrie. Adoncques, l'épouse Rouvroy se voit tenue pour secondaire. Le Rouvroy "se mit donc à me faire la cour dans les galeries, puis à venir quelquefois chez moi les matins, en homme qui me faisoit sa cour comme à un ami de M. de Pontchartrain, pour son avancement dans la marine.
      Marie, le graveur avait un petit coup dans le nez.JPG  Monsieur de Saint-Simon est bien condescendant. Ridicule non pas. Nous avons nous aussi nos rites. Mais nous ne les voyons pas. Comment croyez-vous donc décrocher une conférence au Salon Mollat de Bordeaux ? c'est toute une stratégie, que personne ne m'a dévoilée ! en ce temps-là du moins, le mécanisme était visible : il fallait "faire sa cour". Ensuite le jeu se brouillait, mais les principes étaient bien clairs. A présent, chacun singe la démocratie, mais la féodalité règne partout en maîtresse - ne le répétez pas... La féodalité, système de protection mutuelle, est après tout la formation, le développement naturel de tout groupement humain, de toute société - prenez garde ! ...le déclarer vous classera irrémédiablement parmi les complices de Hitler. "Je le rrecevois civilement" - Rouvroy, pas Hitler ; je lui fis même plaisir utilement, et autant que je pus, néanmoins toujours attentif à ses propos et à ses démarches, dans le souvenir très présent de ce qui s'étoit passé de ses soeurs avec mon père".
        ...Qu'il n'aille surtout pas gaffer, ce con, en remettant sur le tapis les prétentions de ces deux femmes que Saint-Simon le père avait éconduites avec pertes et fracas. Si vous soutenez quelqu'un, prenez bien garde non plus qu'il ne vous double par des prétentions intempestives, ou qu'il ne vous compromette par ses indiscrétions. Faire en sorte que votre protégé reste votre protégé, qu'il vous dépasse s'il veut, mais qu'il vous tire ensuite en haut. Cela ne s'appelait pas encore un renvoi d'ascenseur. Faire un renvoi dans un ascenseur est d'ailleurs un malotruisme majeur vis-à-vis des autres passagers. "Cette conduite dura ainsi quelques années sans aucune mention que d'avancement" - Saint-Simon n'ayant peut-être pas été aussi zélé qu'il le prétend.
        Ou bien son parent n'ayant pas suffisamment de mérite, de naissance, de facteur belle gueule, que sais-je ; "et moi, toujours poli, mais toutefois en garde de l'attirer chez moi". Quelle obscure patience. Quel ténébreux machiavélisme chez ces petites gens qui se croient grandes. Saint-Simon war ein Möchtegern. "Enfin, cette année, sur la fin du carême, piqué de la promotion de marine" (à voile) dont j'ai parlé, il me vint faire ses plaintes avec vivacité, s'applaudit d'avoir tiré son fils de la marine pour le mettre dans le régiment des gardes, et ajouta que, par tout ce qui lui en revenoit du duc de Guiche et de tous les officiers, il espéroit u'il ne me feroit pas déshonneur, ni au nom qu'il portoit." "Le cave se rebiffe !" Lui au moins s'occupe de sa lignée, tandis que notre auteur le regarde avec hauteur, malgré les années qui passent.
        C'est ainsi que nous piétinons tous au pied des escarpements qui nous interdisent l'ascension. Ici, l'escarpement est un grand mât. Saint-Simon reste intraitable. A la moindre allusion à son nom, il avait décidé de se cabrer tout net : psychorigide... "Nous descendions le degré, moi pour aller dîner à Paris, et lui m'accompagnant." Préparons-nous à une belle scène d'humiliation : Saint-Simon  ne voudra pas se montrer inférieur à son père... Mais il s'est contenté de faire la sourde oreille..."Tentative d'un capitaine de vaisseau d'être reconnu de ma maison", tel est le sous-titre...

  • Suite à "Fédora"


    R. 86 :
        Nous avons toujours été des admirateurs masochistes. Les autres voulaient nous améliorer, mais pour notre bien ! "Il suffit de vouloir". Cette fière Amazone m'aimait donc ?

    R. 87 :
        "Tu ne t'es donc jamais rendu compte que je te draguais ?" Je ne note que ce qui me rassure, je pianote du Claude François, "tougoudoup", présentation.

    R. 88 :
    Cet homme déclame "tougoudoup, tougoudoup" – cela veut dire attention à la mort derrière-toi, reste méfiant, et garde-toi de vivre." Les âmes ayant tout renié sombrent par la bonde de l'oubli éternel.

    R. 89, 90, 91 manquantes.
    R. 92 :
        Omer me confie ses textes poétiques.

    R. 93 :
        Une vieille est amoureux de lui. Monsieur fait le dédaigneux, comme moi jadis Gare St-Jean. Qui pardonne les humiliations que j'ai fait subir ? Le vieille ivrognesse du palier des Terres Fermes. Omer deviendra adulte et jouera dans le bac à sable.

    R. 94 :
        Les Bruxellois repartent sur la Côte. Mes explorations tandis qu'Arielle pionce. Les goudronniers en bas de pente, l'ermitage pour l'instant désert, la cloche sous son épais grillage.

    R. 95 :
        Chats faméliques de Grèce, d'Arcueil sous la pluie, de Laroque-lès-Ganges. La Vierge en plein soleil, la boulangère de Sumène, les fêtards en panne d'essence. Exposition de St-Romans.

    R. 96 :
        Photo d'Arielle sous les branches. Avec Te-Anaa nous vivrions dans une petite maison aux volets bleus. Ganges, le petit banc près du transformateur, le "magnon", le glas, les glaces.

    R. 97 :
        Le vieux couple baba cool poignant ; le barbu saluant tout le monde. Le couple mal assorti dans la barque à Villefranche. Le bouquiniste de Ganges propose une exposition, nous voyons celle du peintre aux écailles de poisson.

    R. 98 :
        Je flingue avec désolation le peintre sur son livre d'or. Le peintre de Bergerac qui me traite de connard. Les spectacles qui vous relâchent aussi démunis qu'avant, ma scène après Bakhti sous les murs d'Avignon.

    R. 99 :
        "Ce n'est pas mon ami" à un Noir. Lydie recule sur le gand escalier. Fédora s'imagine faire l'homme en la rudoyant sans cesse. Minuscule appartement rue de la Cavalerie. Elimination des animaux, pour que Lydie surtout n'aille ni s'attacher ni se consoler. "Je veux qu'on me soit reconnaissant"...

    R. 100 :
        Après un si grand crime, je n'ai plus qu'à disparaître. Tous les inconvénients de la ville, tous les inconvénients de la campagne. A Montpelllier, il y a des hommes. Moi je ne vois que ce qu'on veut faire pour moi. N'ai pas acheté "Le secret de grand-mère".

    R. 101 :
        Tombereaux de hargne. "C'est toi la merdeuse". Les enfants "répètent tout comme un perroquet". Dans le Putois j'ai fait connaissance d'une petite fille. Le soutien-gorge sur la tête, le boute-en-train de L'été meurtrier.

    R. 102 :
        Nous avions oublié notre appareil et 600€. Arielle est devenue Miss Buchenwald. Piques aigres-douces et baffe dans la rue. Fédora abandonne la danse et ses yaourts, Olegario bouffe la merde de ses gardiens.

    R. 103 :
        Olegario a expédié le douanier. Chansons âpres aux thèmes traditionnels. Fais un enfant à la fille de sa maîtresse. "Ce livre et cette photo traînent là, mais ce type ne m'est plus de rien." Lydia et Fédora l'ont tout de même mytifié.
    R. 104 :
        Sont allées au Brésil. Mon arrivée à Montpellier, le trimballage de la valise à roulettes. Fédora me raccompagne à l'hôtel et baise avec moi.  « Maman, quand est-ce que je pourrai coucher avec un mec ? » Fédora est « humiliée » par notre saleté chez nous - moi aussi, par la haine qu'elle déverse sur sa petite-fille. Peut-être suis-je resté trop indifférent à la formation de ma fille à moi.

    R. 105 :

    L'escalier au plastique.JPG


        Fédora n'a pas la moindre notion du massacre qu'elle perpètre. J'éclate hors de propos. J'espère en une résilience de Lydie, je suppose un droit de visite d'Olegario. « Arielle n'est pas une vraie amie, elle interrompt toujours les coups de téléphone ». Je ne pense pas que Lydie se précipite au-devant des caméras comme les Noirs sous l'apartheid.

  • La jeune fille

       

    Les trois bras de la Vertu.JPG

    Cette illustration de Testimony, traduit par Une scandaleuse affaire, n'est pas un chef-d'oeuvre. L'illustration se voit barrée d'une tapageuse mention, en lettres blanches, de l'autrice Anita (et, plus gros) Shreve, en plein centre. Dessous, décalée ves la gauche, en jaune et en relief, le titre français particulièrement réducteur et maladroit. Il est précisé, encore en dessous, la mention "roman", et le B des éditions Belfond, précisant un B majuscule stylisé. Quant à l'illustration elle-même, il fallait bien en mettre une : un ancien escalier tout parsemé de feuilles mortes rousses, et sur la forte marche du bas, les pieds recroquevillés vers l'intérieur dans une paire de ballerines bleu gris, une jeune fille dont le profil se voit coupée par le rebord supérieur de la couverture au niveau du sommet de l'oreille, de la paupière droite et de la racine du nez.
        Ce jeune modèle, censé représenter la victime d'un viol, tient l'avant-bras sur ses genoux, dans un pull-over bleu terne cachant la main au bout de sa manche. L'autre bras, replié à la verticale, soutient le menton, l'extrémité de la manche montrant cette fois quatre doigts repliés sur la bouche. Le col, bleu aussi, s'échancre légèrement sur un sous-vêtement violet ; la chemise est rayée bleu foncé sur bleu clair. Le bleu est la couleur de l'équilibre, et de la protection. Tout le haut du corps exprime le repli, le cou dans l'ombre reçoit une mèche châtain clair, l'oreille finement ourlée porte une petite boucle d'oreille. Mâchoire, joue et pommette recueillent une lumière bistre clair, la bouche et l'extrémité d'un nez régulier sont soulignés par deux minces mèches négligées.
        L'oeil de profil se détourne de notre regard, le visage se dérobe, les bras et les mains barrent l'accès au corps, les vêtements sont là pour protéger, ce qui est leur fonction première. Fonctionnel, sobre et même terne, l'habillement tient à ne pas attirer l'attention, ni surtout le désir. La collégienne ainsi photographiée sur un vieux perron rongé de mousses veut préserver sous une apparente négligence ou indifférence l'aspect d'une jeune fille ordinaire, dans une tenue rappelant l'uniforme d'un établissement privé. Même laisser-aller dans les tons noirs cette fois pour la jupe froissée, les genoux cagneux dans des bas de fil gris noir et bien chauds, assortis au bleu vernis des escarpins que rehausses deux boucles en plastique striés de rouge éteint.
        Là où se perd le regard du voyeur, sous le rebord de la jupe, c'est le noir, et la même absence que dans ce demi-regard, qui n'aperçoit rien.

  • Les belles histoires de Bernard Clavel

    Ces romans du courage et de la responsabilité, du risque gratifiant, si différents de ces enchantements de dentelles bourgeoises qu'on oublie sitôt dissipé leur parfum de romans-photos, ce sont eux qui nous ont introduits à la magie de la littérature, par le biais tout simple et toujours imprégnant de la belle histoire. Et celle-ci, dans Harricana – c'est le nom d'une rivière nordique, un nom d'ouragan – n'est pas une de ces histoires invraisemblables nourries de rebondissements puérils, car les enfants ne sont pas puérils. C'est une histoire documentée, pour de vrai : les deux tronçons du Transpacifique se rejoignant sur un pont, l'incendie qui ravage le tout nouveau village en bois, la ruée vers l'or dans le second tome – que je me suis fait offrir – ont eu lieu, séparément, ont été recueillies par une fièvre documentaire scrupuleuse, car Bernard Clavel n'a plus le temps ou le goût de lire ses contemporains : il se passionne pour l'exactitude, où s'insèrent des personnages qu'il fabrique et qu'il aime, ce qui tire définitivement ses écrits du côté de la fiction – mais une fiction où l'on peut vivre.
        Il y vit lui-même, au point de s'être présenté à son épouse sous un masque défait le jour où il termina, dit-il, son grand cycle du Royaume du Nord ; tant il avait vécu, aimé et souffert avec  toute cette famille si éprouvée. Puis il repartit vers de nouvelles aventures littéraires. Voyez-vous, ce que l'on reproche à la littérature populaire, c'est de se vendre, et de se lire. Je pense à ce mot dont l'auteur me reste pour l'instant inconnu, à savoir qu'il y avait la bonne littérature, qui ne se lisait pas, et la mauvaise, qui se :lisait. Bernard Clavel m'a mis une fois les larmes aux yeux dans son roman Harricana. Il m'a fait une fois rire d'allégresse, tout seul, et pousser un “ouaiaiais !” de concert live, tellement c'était entraînant : il s'agit de l'arrivée triomphale du premier train dans les solitudes du Grand Nord. J'ai marché, j'ai couru, j'ai lu à toute vitesse. Alors qu'il y a tant de livres dans ma bibliothèque, affligés d'un marque-page que je déplace péniblement de quatre ou cinq feuillets tous  les trois mois, “parce qu'il faut bien finir ce qui est commencé”. Et je vais même vous dire une chose : c'est moins pompier que Guy Des Cars, cet immondice – voire pas pompier du tout ; ce n'est pas faussement paysan, avec des “cré vain guiou” à toutes les pages ; c'est moins ronflant que Chateaubriand – tenez, c'est mieux écrit que Malraux.
        
        C'est sans manière, sans affèterie, sans lourdeur, avec juste ce qu'il faut d'effets de style pour souligner le récit – sans fioriture pour se faire plaisir. Bernard Clavel, vous le connaissez : il dit ce qu'il y a à dire
    Et quand un producteur lui propose de tourner Harricana en l'agrémentant d'un Indien aveugle qui guide l'expédition, d'une petite fille kidnappée pour faire bon poids, et d'une poursuite de train par la police montée canadienne pour faire bonne mesure, il dit, et je cite, je suis parti d'ailleurs d'un éclat de rire chevalin, “Votre scénario, vous pouvez vous le foutre au cul.” En toutes lettres. Voilà comme j'aime. Vous connaissez donc Bernard Clavel : qui n'a pas lu au moins un des ouvrages suivants : Le tonnerre de Dieu ; L'Espagnol ; Malataverne ; Le voyage du père; L'Hercule sur la place ; Le tambour du bief ; La grande patience. Et je ne parle pas des plus récents.
      

    Les jolies petites casemates.JPG

     Il est plus que vraisemblable que la revue “Le Bord de l'Eau” n° 21, à paraître en octobre, consacrera quelques pages à l'interview que nous avons menée auprès de l'auteur en son   domaine  caché de l'Entre-Deux-Mers. Procurez-vous le, et si vous avez l'embarras du choix concernant l'œuvre de Bernard Clavel à lire en attendant, lisez Harricana, et la suite, L'or des dieux. Lisons :
        “Pan ! Tchic ! Tchic !
        “Donne du mou !”
        La petite voile carrée tendait vers le large son ventre brun tout rond de ce bon vent régulier. L'eau clapotait claire le long de la coque d'écorce.”
    ...
        “Ils discutèrent également des dimensions à donner à leur bâtisse et tombèrent d'accord que vingt-deux pieds sur vingt-six était une bonne mesure. Avant d'abattre, ils durent commencer par débroussailler. Ils s'y mirent tous les trois, menant un bon front qui visait à dégager en direction de belles épinettes que le taillis avait contraintes à filer droit pour chercher la lumière.”

        “L'air sonnait, tintait, crépitait, ferraillait ou crissait sous leurs efforts. Des appels, des coups de trompe ou de sifflait troublaient une existence sereine que seul avait marquée depuis des millénaires le rythme des saisons.
        “A mesure qu'avançait le double serpent de métal luisant, les matériaux arrivaient plus vite et le personnel avec eux.
    ...
        “Grâce à ce passage, une ville naissait. Partagée en deux par le fleuve, elle grandissait, tirant de l'eau et des vastes étendues boisées l'essentiel de ses ressources. On avait tendu des câbles et installé un bac dont le va-et-vient perpétuel permettait de traverser sans trop attendre et sans grimper sur le pont où la marche à pied était dangereuse.”