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Le Singe Vert - Page 15

  • La jeune et le vieux

     

    Claire-Alice et Georges peu à peu inséparables en dépit du Règlement Intérieur. À titre d'avertissement (administratif) pour ce vieux con : visite, ensemble, de 5 domiciles – pourquoi rester ici à présent que votre femme – Myriam, Myriam - vous a quitté (…) - Venez avec moi, Georges, venez tenter votre Avenir, voyez si vous pouvez continuer de vivre – Je ne sais pas, je ne sais pas… Dans le premier appartement vivait une vieille fille usée par le doigt, parcheminée, hâve, fardée, voix de fausset sonnant faux. Elles ont quelque chose à cacher. Cela se voit. Georges, ne jugez pas les femmes.

    Vous habiteriez sous les toits, dans un petit deux pièces rue des Juives – Je vivais heureuse dit la femme, la peinture blanche, c'était moi, les plinthes à l 'adhésif, encore moi, les meubles portugais vernis, la bibliothèque de Ferreira (Eço de Queirós, Castelo Branco)- c'est la circulation, monsieur, qui me gêne, j'y suis presque faite, déjà l'été, j'avais moins de camions, je laissais la fenêtre ouverte » - j'avais aussi fleuri la terrasse sur cour… - Eh bien ? - J'y suis retournée seule, six mois d'impayés, la vieille est virée, vous emménagez quand vous voulez, la propriétaire est venue chez elle, les yeux dans les yeux, son gendre au chômage, sa fille aux études c'est bon a dit la vieille c'est bon, obter o inferno je f… le camp » - Intimação para desocupar – Vous parlez portugais Georges à présent ?

    Il hausse les épaules. La vieille à la rue. Fin de l'ankylose. Chambre entière garnie d'un vieux lit, d'une table et de sa chaise – une coiffeuse à lampes nues, latérales. Et les toilettes au fond. « Je vais vous les montrer – Non merci. » Claire-Alice et Georges Aux Anciens de Valhaubert. « Il ne s'agit pas de spoliation, Georges ; tout juste l'application d'une loi. Tout juste ça. Deux années d'impayés. »

    C'est le premier avertissement.

    Arbre dga.JPGCe que dit Claire-Alice, Georges le croit : elle n'a que 23 ans, ses pommettes hautes et écartées, très blonde. Que pèse en face une vieille Portugaise, 36 rue des Juives ? Dès le lendemain, Claire-Alice dit à Georges : « Vous n'aimez pas les femmes seules... » Il répond indistinctement. Claire-Alice a compris jamais seules et je me comprends. Elle a peur de comprendre. Elle conseille de tenir sa porte bien fermée à clé. Elle hésite entre tu et vous. Georges a reçu l'assurance de bientôt quitter Les Anciens de Valhubert. La lettre est signée Waldfeld, Directeur. Claire-Alice la lui rend à bout de bras. Il la suit aveuglément, il croit tout ce qu'elle dit : « Deuxième avertissement : Chez Léger. » Leurs voix à travers la porte trahissent leur âge : qui est-ce ? nous ns pouvons pas loger une personne de plus. Claire-Alice invente une enquête, un service social. Henriette et Peaul ouvrent la porte en deux fois, d'abord on ferme sec pour débloquer la chaine de sûreté, puis ou rouvre d'un coup, côte à côte dans l'ouverture.

  • Bruxellois et chats blanc

    Les Hackenberg de Bruxelles occupent cette fois la chambre sur cour – ils s'en vont dès le lendemain  - « dégâts des eaux sur la Côte, résidence inhabitable, Hermann nous a téléphoné à minuit quinze » – plaignons leur malheur – au troisième été mon Arielle a perdu son poids : « mais vous avez fondu !» - soixante-trois livres – progrès enfin des conversations : ils n'aiment pas les Hollandais, nos hôtes ; l'épouse belge répète : « Les Koukaas..» (« fromages de vache »). C'est le surpoids d'Arielle qui l'asphyxie, encore pour un an. Tous les matins j'explore la campagne, seul sous le soleil, supportable jusqu'à dix heures, où je reviens m'abriter à l'ombre ou dans la lumière selon la chambre de l'année, repose mon épouse. Même avec vue sur le puits où l'on ne boit pas mais d'où sortent les casiers grinçants de bouteilles bien fraîches.

    Torpeur. Catalepsie. Et moi aussi j'ai refusé le moindre effort. Lequel d'entre eux jadis m'a-t-il rapporté le moindre avantage ? aucun. Que dalle - tous les matins elle sommeille. Après son opération tout comme avant ; trop froid, trop chaud, trop pluvieux. Autorité, persuasion, caresses ? Harcèlement ? Rien n'y fait. Alors, puisque après tout c'est les vacances, et que nous payons notre location, je sors me promener seul, en voiture et à pied, avant le plein midi de l'Hérault. Je fais le tour des églises perchées, cadenassées, désertes. Très vite c'est le plein soleil. Un bas de pente envahi de goudron cuit et de superbes goudronniers torse nu, gorgés de vapeurs sur le gravier puant, cuisant, eux-mêmes juvéniles, torse nu, pompant le carbone à pleins poumons, rigolos mais bonnes bites.

    Montée brute direct en première, virages en épingle. Chaleur suffocante, lacets à voie unique – enfin j'atteins de longs bâtiments propres, ocres et désertés. Je vois de mes yeux ici même, en pleine garrigue, une cloche à bascule suspendue à ras de sol avec le joug de suspension sous sa poulie de métal. Pour peu que j'eusse actionné le palan à travers la grille, tiré sur la corde lovée dans la gorge, une cloche semblable, là-bas, sur la pente symétrique, m'eût répondu. Tout le vallon du Brach se fût précipité, tous auraient su qui j'étais (les goudronniers m'auraient dénoncé) - scandale public, internement d'office. Il se tient donc ici chaque été, sur les deux versants, des pèlerinages, retraites et dévotions, avec scouts, curés, colonies de vacances, odeur des pieds, aménité chrétienne et vulgarité.

    Puis tout retombe en abandon. Il faut absolument, voyez-vous, que ces lieux-là servent à quelque chose, s'utilisent,se réglementent, réfectoires, dortoirs – passée la fête, adieu le saint – qui diable peut prier ici ? - dum a turba corrumpimur. : l'autre désignait le Diable, mais à présent, c'est l'autre qu'on révère – les aboyeurs télévisés prêchant la plus fraternelle promiscuité. A travers les vitres dga.JPG

     

    Aujourd'hui, cerveau qui cuit sous le soleil. Buissons poudreux, un sol montant et rocailleux. Des chats faméliques me suivent en ordre dispersé, dérobés sitôt qu'effleurés. Flairent mes doigts vides puis s'esquivent. Leurs cris me poursuivent. J'ai demandé plus tard le sens de ce manège. « C'est qu'ils crèvent de faim » me dit-on.

  • Zone aride

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    Nous parvenons dans des zones arides. Une conclusion d'abord : la langage ne sert pas à “nommer” les choses, ni à exprimer le monde, mais à communiquer entre les hommes, à rétablir dans le fantasme commun l'absence de la présence. Nous pouvons transformer cela en présence de la présence, par la coïncidence des représentations mentales résultant d'un langage commun. Autre chose comprise ou à peu près : Saussure, pourtant richement doté en paternités physiques (lignée de savants) et intellectuelles (antériorité d'éminents théoriciens) veut générer par lui-même sa descendance. Ensuite, Claudia Mejía-Quijano entreprend de remettre en question les comptes rendus des conférences de Saussure, actuellement disponibles dans les librairies, mais dans un ordre paraît-il absurde.

    Elle tient compte des notes sur les cours des années universitaires entre 1884 et 1891, où s'observe une évolution pédagogique : la matière est la même, en gros, initiation à la langue gothique présente chez Ulfila (“Petit Loup”), et comparaison avec le vieux haut-allemand et le moyen haut-allemand. Or la plupart des étudiants genevois de Saussure n'ont qu'une vague connaissance de l'allemand moderne. Il enseigna aussi à Paris, cette fois sur le latin et le grec, mieux connus des français. Dans ces deux séries de cours, le professeur s'attache de plus en plus au niveau réel de ses élèves, leur fait rédiger de petits exercices écrits. Psichari, gendre de Renan, illustre helléniste, assista à certains de ses cours.

    A travers d'autres vitres dga.JPG

    Revenons à la linguistique : ses notions de linguistiques obéissent à une phraséologie toujours à la lisière de notre compréhension. Synchronie et diachronie, soit. Mais il a fallu poursuivre. Nous en sommes à une feuille analysée par l'érudite Cristina Vallini, aux orgasmes mystérieux, laquelle feuille présente des notes du grand Saussure au dos d'un faire-part de mai 1888. Les notes ne peuvent donc avoir été prises qu'après mai 1888 ; on appelle cela un terminus post quem. “Après lequel”. Quatre lignes d'une prolixité extrême (“Or, nombreux sont les faire-part et autres papiers...”) - nous suggèrent que Saussure faisait exprès de procéder ainsi, afin de bien dater ses écrits (c'est de l'avarice, que je partage ; en effet, rien n'empêche de noter la date du jour, même pour de petites notations).

    Nous avons connu le professeur Fournier qui nous lisait ses notes : sans rapport entre elles, sans le moindre esprit de synthèse, qu'il tirait de ses dossiers ou presque de ses poches sans se soucier qu'elles traitassent du vieux latin ou du grec d'Homère, mais d'une précision, d'une érudition telles que chacun de nous les notait fébrilement à mesure qu'elles sortaient de ses lèvres. Nous nous trouvons ici en pleine archéologie documentaire... Nous suivons la piste d'une recherche ; Saussure laisse des indices : “Le sujet ne comportant guère d'exercices pratiques de la part des élèves, cette conférence a pris entièrement le caractère d'un cours, consacré le mercredi à la Morphologie, le samedi à la Phonétique.” Ce serait donc un cours de morphologie : conjugaison, déclinaison, par exemple. “Mais il y a notamment cette affirmation qui apporte un indice assuré : 1° L'ancien point de vue du guna. Qu'ès aco ? Chant lituanien ?

    Mot signifiant “la femme” ? Désignation d'un accent, d'une intonation ? Comme je maudis le jour où je suis né ! Surchargement de sciences ! Choses obligatoires ! Cours de faculté, où se complaisent tant d'individus supérieurs jusque dans leurs conversations les plus courantes ! Fâcheux engouement d'une Colombienne pour un Suisse, qu'elle tient pour un génie, à l'égal de Freud ! Avec la différence cependant que Sigmund influença le monde occidental entier jusque dans ses comportements, ses réflexions, ses pensées, tandis que Saussure ? Franchement ? Qui va mêler Saussure à sa vie quotidienne, à ses façons de parler, à ses investigations psychologiques personnelles ?

    Personne. Nadie. Ce n'est que depuis une dizaine d'année, <tout au plus>, que la vieille théorie du guna a été définitivement ruinée. Bon. C'était une théorie linguistique. C'est à ces petites choses que se passe la vie d'un philologue, disait aussi Noah Kramer, grand sumérologue. Nous en restons tout pensifs. Oui, cela sert à quelque chose. À dater une réflexion sur un cours. À entrer chez Saussure, dans son encéphale. A pointer le bout de son crayon, sur une feuille, vite, avant que l' “idée” ne s'échappe. Un homme qui vivait toute sa vie pour son cours, sa réflexion, son œuvre. Dont toute la vie était un cours de fac. Disons, un homme qui superposait et entremêlait à sa vie sentimentale, familiale, émotionnelle, une vie d'universitaire passionné, dans un gigantesque pétage de joint de culasse, tantôt séparant l'huile de l'eau, tantôt pataugeant dans le mélange.

    Et non pas de ces hommes qui cherchent à échapper à leurs professions, en les subvertissant, en évitant de les exercer, en trichant, considérant tout de haut, invoquant sans cesse le deuxième, le troisième, le quatrième degré. Ce qui permet de ne pas vivre, de ne pas risquer. Ce faisant, dit la pintade, on risque quand même. On ne vit pas, certes, on ne risque apparemment rien, mais on a payé, en donnant de sa vérité, en détruisant son âme par la confusion du vrai et du faux. Saussure, lui, vit tout, tout au premier degré. Seule Mejía-Quijano se hasarde entre les circonvolutions cérébrales de son chouchou génie, qui ne s'en rendit pas compte, et au nom de Freud ! “Confirmation prise auprès d'un indoeuropéaniste,” (Claudia ne croit pas en l'indoeuropéanisme, je crois), il est clair que Saussure parle ici de son Mémoire en le datant du moment où il l'a présenté, à savoir l'été 1878”.

  • Dis : "Deux rots !"

    Cela commence par des adieux. Ce sont de tendres protestations, à une maîtresse croit-on jamais nul n'en fut sûr, et "mon amie" en disait bien plus à l'époque. Mal m'en a pris de refuser l'amitié ainsi enendue, même en mon siècle... Il est vrai que l'amitié, sexuée ou non, s'accommodait de très longues absences, bien qu'on ne fut guère plus éloignés que d'un poitn de banlieue actuelle à l'autre. Ici, 260 lieues tout de même, à moins qu'il ne s'agisse d'une exagération, car nous serions menés jusqu'au Maroc pour le moins. Or jamais Diderot ne passa les colonnes d'Hercule. Ce sont donc des protestations d'esclavage, alors que Denis, "Dennis" comme disait un cancre à l'oral, exprime le désir chez la femme comme une soumission une servilité, une honte. "Je vous aime comme vous voulez, comme vous méritez d'être aimée" : c'est là flatter la vanité, tendre le bâton pour la dégelée : quelle prétention de se refuser en effet d'aimer pour la raison qu'on ne l'est pas assez, tel est pourtant le reproche que me fit une étourdie imbue de sa personne.

    Or je n'entends pas qu'on soit plus imbu de soi que moi. "...et c'est pour toujours", nous n'en doutons pas, vieux coureur. Il a face à lui, et qui liront ses lettres, une mère, une soeur, un tribunal de femmes, "un petit mot bien doux, bien doux à notre bien-aimée". Ces mièvrerires se retrouvent jusque sur les tabatières, car "n'est pas Boucher qui veut". Les mignardises finales ("comme tout cela va vous faire causer ! je voudrais bien être à, seulement pour vous entendre." Une femme, à plus forte raison plusieurs, ne saurait faire autre chose que de babiller sur les mots d'un grand homme. Combien plus expressive est la narration qu'il a faite plus haut, sur un couple qui ne s'aime plus, mais qui entrave, chacun de son côté, l'amitié envahissante d'un tiers !

    Bouée, touriste et tour dga.JPG

    Nous sommes là en pleine "Nouvelle Héloïse", toute en délicatesse de sentiments, ou dans "Le vie de Marianne", quoique celle-ci soit bien entichée de sa noblesse supposée. Dès qu'il ne s'agissait plus de femmes, Diderot cessait de papillonner. Il s'isolait même, trouvait au travail intensif et prolongé de vrais charmes qui le détournaient bien de ceux des jupons. Il nous parlait tantôt des grands artistes, que l' "Encyclopédie" omettait de citer. Il raillait cette prétention de vouloir se faire connaître, un peu comme Gidons Krëmer. Or, "quelques plaisanteries du sculpteur Falconet m'ont fait" dit-il "entreprendre très sérieusement la défense du sentiment de l'immortalité et du respect de la postérité".

     

    L' Encyclopédie comportait-elle donc des articles réservés aux noms propres ? non. Diderot a-t-il dû rectifier certains écrits ironiques ? Il avait le sens de l'immortalité, qui s'est perdu de nos jours, où le cerveau décomposé de Diderot et tant d'autres ne saurait éprouver quoi que ce soit sans susciter l'incrédulité la plus avilissante. Et la postérité ne s'occupe plus à présent que de "sauver la planète", en attendant la prochaine mode. L'amant de Sophie retourne donc à sa "corvée" littéraire et philosophique, prolongée par nous ne savons quelle correspondance, nous ne savons quel opuscule. Quoi qu'il en soit, dit le ver, les galanteries se poursuivent au sein même des épanchements affectifs, et de la façon cette fois la plus haute : car l'actitivé intellectuelle de notre épistolier se voit stimulée par ce qui pourrait faire "tressaillir de joie la soeur bien-aimé" : Diderot lui aussi aimait l'intelligence de sa du Châtelet, n'écrivait que pour la compétence des dames : "Vingt fois, en (...) érivant [ce morceau], je croyais vous parler ; vingt fois je croyais m'adresser à elle".

    Diderot ne sépare pas les deux soeurs, qui s'aimaient plus qu'il ne convient à des soeurs si vous comprenez ce que je veux dire. Il naît de là de multiples points d'interrogation : les compliments faits à l'une s'adressent-ils à l'autre ? Sophie goûte "des choses justes justes, sensées, réfléchies", sa soeur "des choses douces, hautes, pathétiques, pleines de verve, de sentiment et d'enthousiasme". Et pourtant ce serait l'"intellectuelle" qu'il préférait ? Si Diderot ne touchait pas la plus sensuelle des deux, celle que ses inclinations portaient nettment à l'intérieur de sa propre famille, comment pouvait-il baiser la plus philosophique et la plus réfléchie, Sophie, justement ?

    Etait-il donc aussi médiocre au lit que Mme du Châtelet le disait aussi de Voltaire ? A-t-il dû ses succès charnels à des raisonnements poussés ? L'autre, la pure lesbienne, lui semblait-elle trop fantasque, trop débridée, trop (lâchons le mot) nymphomane (trop "nymphe à femmes") pour pourvoir être aimée, baisée, admirative, chevauchée ? Commentaires bien traîtres, puisqu'ils me trahissent, et trahissent mes propos, ce qui signifient les explicitent du plus sincèrement qu'ils peuvent. Trahir signifie don aussi son contraire : mot per lui-même bien traître en effet. Diderot lui-même ne sait plus trop "où il en est", comme il le disait de ces deux ou trois amants des deux sexes à la fin de sa lettre précédente.

    Mieux vaut donc en effet rompre et bifurquer (à la ligne) au profit de son "goût pour la solitude" qui "s'accroît de moment en moment". Diderot laisse croître sa barbe "tant qu'il (...) plaît" à cette dernière. Il sort "en robe de chambre et en bonnet de nuit, pour aller dîner chez Damilaville" - porte en face espérons-le. Damilaville était celui qui souvent transmettait les lettres de la campagne à Paris et réciproquement...

  • Boris et sa Zazie

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    A peine Marianne et sa tignasse ont-elles tourné le coin du palier que Boris dévisse la minuterie. Panne. « Merde » dit l'enfant. Boris se faufile en chaussons derrière elle dans l'escalier. Juste la lumière du puits de cour. Il dérape sur les marches. La rampe est encaustiquée. Devant lui, Marianne s'arrête dans le noir, relève la tête. Au premier, elle réussit à renclencher la minuterie. Boris la suit toujours. Au rez-de-chaussée, la loge forme l'angle dans la cour. Les vitres laissent tout voir. Boris, dans la cour profonde, se colle contre un mur entre deux poubelles. Comme dans un film. Dans les couples, ce que Boris déteste, c'est le mari : il n'a rien d'intéressant entre les jambes. Tant de femmes raffinées collées à des butors. Le père de Marianne, c'est pareil. Trop grand, trop fort, la voix désagréablement masculine. Ses gestes sont brusques. Il ressemble à une bite. Tous les hommes ressemblent à des bites.

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    La petite fille pleure, à présent. Même si c'est une teigne Boris se sent bouleversé. Tout le monde s'engueule, le père et le concierge se menacent mais c'est Marianne qui se prend une claque. Boris bondit, arrache presque la porte et se mêle au tas. Le beau-père le prend à partie : « Vous laissez traîner vos pattes sur la petite. Vous faites espionner un appartement privé par l'intermédiaire de cet individu. Vous êtes un fouille merde. Je vous en foutrai des cours de maths. » Tout le monde se quitte pleurant, gueulant, Boris s'en remonte chez lui, brouillé avec Grossmann et sans espoir de fillette à venir.

    A ce moment "Ti sento" se déclenche dans la pièce voisine, et cette fois, on danse.

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    "Chère, Lioubaïa Tcherkhessova !

    "Je souffre à crever parce que le voisin ou la voisine fait gueuler un tube infect en italien, "Ti sento". C'est pire qu'une rage de dents et je ne peux pas m'en passer. Je ne sais toujours pas si c'est un homme ou une femme qui passe le disque, et qui danse. Ce qui chante, c'est féminin, ça crie toujours les mêmes voyelles avec chambre d'écho, mes cours d'arménien vont bien, je m'embrouille encore dans le tatar. "Ti sento" est le meilleur morceau, les autres braillent le rock à la sauce Eighties', je suis sûr qu'on le fait exprès pour m'emmerder, si tu n'habitais pas à l'autre bout de Paris ce serait toi.

    "D'ailleurs j'y suis allé l'autre jour avec le concierge et son passe-partout. Je n'ai rien fouillé, rien dérangé du tout. D'après le père Grossmann ce serait une sorte de chambre de passe, une fois j'ai surpris des baiseurs à travers le mur mais ce n'était pas toi. Le concierge ment. Il y a là quelqu'un. Qui paye son loyer. Qui n'emmerde que moi. Un jour je le coincerai. Le ou la. Si c'est une femme, ça va chier. Terminé les petites astuces : Marianne c'est ta fille, enfin, celle de ton homme, un vrai, un gros porc - pour l'insolence, la morveuse, impeccable. Elle a craché le morceau.

    C'est vous qui me l'envoyez depuis trois mois pour espionner. Il n'y a rien à espionner. Il n'y a pas de femme ici. Pas d'homme. Pas d'argent. Comme un moine. Et je suis en règle avec les services d'immigraiton si tu tiens à le savoir. Et je suis sûr qu'elle cache autre chose, ta Marianne. Elle me cache ma fille. La vraie. Elle sait quelque chose sur l'appartement d'à côté. Elle a pleuré quand elle a su ma visite avec Grossmann. Elle est allée se répandre comme une poubelle à la loge devant ton mari de mes couilles, qui a failli me taper dessus.Elle raconte que je la tripote