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Zone aride

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Nous parvenons dans des zones arides. Une conclusion d'abord : la langage ne sert pas à “nommer” les choses, ni à exprimer le monde, mais à communiquer entre les hommes, à rétablir dans le fantasme commun l'absence de la présence. Nous pouvons transformer cela en présence de la présence, par la coïncidence des représentations mentales résultant d'un langage commun. Autre chose comprise ou à peu près : Saussure, pourtant richement doté en paternités physiques (lignée de savants) et intellectuelles (antériorité d'éminents théoriciens) veut générer par lui-même sa descendance. Ensuite, Claudia Mejía-Quijano entreprend de remettre en question les comptes rendus des conférences de Saussure, actuellement disponibles dans les librairies, mais dans un ordre paraît-il absurde.

Elle tient compte des notes sur les cours des années universitaires entre 1884 et 1891, où s'observe une évolution pédagogique : la matière est la même, en gros, initiation à la langue gothique présente chez Ulfila (“Petit Loup”), et comparaison avec le vieux haut-allemand et le moyen haut-allemand. Or la plupart des étudiants genevois de Saussure n'ont qu'une vague connaissance de l'allemand moderne. Il enseigna aussi à Paris, cette fois sur le latin et le grec, mieux connus des français. Dans ces deux séries de cours, le professeur s'attache de plus en plus au niveau réel de ses élèves, leur fait rédiger de petits exercices écrits. Psichari, gendre de Renan, illustre helléniste, assista à certains de ses cours.

A travers d'autres vitres dga.JPG

Revenons à la linguistique : ses notions de linguistiques obéissent à une phraséologie toujours à la lisière de notre compréhension. Synchronie et diachronie, soit. Mais il a fallu poursuivre. Nous en sommes à une feuille analysée par l'érudite Cristina Vallini, aux orgasmes mystérieux, laquelle feuille présente des notes du grand Saussure au dos d'un faire-part de mai 1888. Les notes ne peuvent donc avoir été prises qu'après mai 1888 ; on appelle cela un terminus post quem. “Après lequel”. Quatre lignes d'une prolixité extrême (“Or, nombreux sont les faire-part et autres papiers...”) - nous suggèrent que Saussure faisait exprès de procéder ainsi, afin de bien dater ses écrits (c'est de l'avarice, que je partage ; en effet, rien n'empêche de noter la date du jour, même pour de petites notations).

Nous avons connu le professeur Fournier qui nous lisait ses notes : sans rapport entre elles, sans le moindre esprit de synthèse, qu'il tirait de ses dossiers ou presque de ses poches sans se soucier qu'elles traitassent du vieux latin ou du grec d'Homère, mais d'une précision, d'une érudition telles que chacun de nous les notait fébrilement à mesure qu'elles sortaient de ses lèvres. Nous nous trouvons ici en pleine archéologie documentaire... Nous suivons la piste d'une recherche ; Saussure laisse des indices : “Le sujet ne comportant guère d'exercices pratiques de la part des élèves, cette conférence a pris entièrement le caractère d'un cours, consacré le mercredi à la Morphologie, le samedi à la Phonétique.” Ce serait donc un cours de morphologie : conjugaison, déclinaison, par exemple. “Mais il y a notamment cette affirmation qui apporte un indice assuré : 1° L'ancien point de vue du guna. Qu'ès aco ? Chant lituanien ?

Mot signifiant “la femme” ? Désignation d'un accent, d'une intonation ? Comme je maudis le jour où je suis né ! Surchargement de sciences ! Choses obligatoires ! Cours de faculté, où se complaisent tant d'individus supérieurs jusque dans leurs conversations les plus courantes ! Fâcheux engouement d'une Colombienne pour un Suisse, qu'elle tient pour un génie, à l'égal de Freud ! Avec la différence cependant que Sigmund influença le monde occidental entier jusque dans ses comportements, ses réflexions, ses pensées, tandis que Saussure ? Franchement ? Qui va mêler Saussure à sa vie quotidienne, à ses façons de parler, à ses investigations psychologiques personnelles ?

Personne. Nadie. Ce n'est que depuis une dizaine d'année, <tout au plus>, que la vieille théorie du guna a été définitivement ruinée. Bon. C'était une théorie linguistique. C'est à ces petites choses que se passe la vie d'un philologue, disait aussi Noah Kramer, grand sumérologue. Nous en restons tout pensifs. Oui, cela sert à quelque chose. À dater une réflexion sur un cours. À entrer chez Saussure, dans son encéphale. A pointer le bout de son crayon, sur une feuille, vite, avant que l' “idée” ne s'échappe. Un homme qui vivait toute sa vie pour son cours, sa réflexion, son œuvre. Dont toute la vie était un cours de fac. Disons, un homme qui superposait et entremêlait à sa vie sentimentale, familiale, émotionnelle, une vie d'universitaire passionné, dans un gigantesque pétage de joint de culasse, tantôt séparant l'huile de l'eau, tantôt pataugeant dans le mélange.

Et non pas de ces hommes qui cherchent à échapper à leurs professions, en les subvertissant, en évitant de les exercer, en trichant, considérant tout de haut, invoquant sans cesse le deuxième, le troisième, le quatrième degré. Ce qui permet de ne pas vivre, de ne pas risquer. Ce faisant, dit la pintade, on risque quand même. On ne vit pas, certes, on ne risque apparemment rien, mais on a payé, en donnant de sa vérité, en détruisant son âme par la confusion du vrai et du faux. Saussure, lui, vit tout, tout au premier degré. Seule Mejía-Quijano se hasarde entre les circonvolutions cérébrales de son chouchou génie, qui ne s'en rendit pas compte, et au nom de Freud ! “Confirmation prise auprès d'un indoeuropéaniste,” (Claudia ne croit pas en l'indoeuropéanisme, je crois), il est clair que Saussure parle ici de son Mémoire en le datant du moment où il l'a présenté, à savoir l'été 1878”.

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