Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Dis : "Deux rots !"

Cela commence par des adieux. Ce sont de tendres protestations, à une maîtresse croit-on jamais nul n'en fut sûr, et "mon amie" en disait bien plus à l'époque. Mal m'en a pris de refuser l'amitié ainsi enendue, même en mon siècle... Il est vrai que l'amitié, sexuée ou non, s'accommodait de très longues absences, bien qu'on ne fut guère plus éloignés que d'un poitn de banlieue actuelle à l'autre. Ici, 260 lieues tout de même, à moins qu'il ne s'agisse d'une exagération, car nous serions menés jusqu'au Maroc pour le moins. Or jamais Diderot ne passa les colonnes d'Hercule. Ce sont donc des protestations d'esclavage, alors que Denis, "Dennis" comme disait un cancre à l'oral, exprime le désir chez la femme comme une soumission une servilité, une honte. "Je vous aime comme vous voulez, comme vous méritez d'être aimée" : c'est là flatter la vanité, tendre le bâton pour la dégelée : quelle prétention de se refuser en effet d'aimer pour la raison qu'on ne l'est pas assez, tel est pourtant le reproche que me fit une étourdie imbue de sa personne.

Or je n'entends pas qu'on soit plus imbu de soi que moi. "...et c'est pour toujours", nous n'en doutons pas, vieux coureur. Il a face à lui, et qui liront ses lettres, une mère, une soeur, un tribunal de femmes, "un petit mot bien doux, bien doux à notre bien-aimée". Ces mièvrerires se retrouvent jusque sur les tabatières, car "n'est pas Boucher qui veut". Les mignardises finales ("comme tout cela va vous faire causer ! je voudrais bien être à, seulement pour vous entendre." Une femme, à plus forte raison plusieurs, ne saurait faire autre chose que de babiller sur les mots d'un grand homme. Combien plus expressive est la narration qu'il a faite plus haut, sur un couple qui ne s'aime plus, mais qui entrave, chacun de son côté, l'amitié envahissante d'un tiers !

Bouée, touriste et tour dga.JPG

Nous sommes là en pleine "Nouvelle Héloïse", toute en délicatesse de sentiments, ou dans "Le vie de Marianne", quoique celle-ci soit bien entichée de sa noblesse supposée. Dès qu'il ne s'agissait plus de femmes, Diderot cessait de papillonner. Il s'isolait même, trouvait au travail intensif et prolongé de vrais charmes qui le détournaient bien de ceux des jupons. Il nous parlait tantôt des grands artistes, que l' "Encyclopédie" omettait de citer. Il raillait cette prétention de vouloir se faire connaître, un peu comme Gidons Krëmer. Or, "quelques plaisanteries du sculpteur Falconet m'ont fait" dit-il "entreprendre très sérieusement la défense du sentiment de l'immortalité et du respect de la postérité".

 

L' Encyclopédie comportait-elle donc des articles réservés aux noms propres ? non. Diderot a-t-il dû rectifier certains écrits ironiques ? Il avait le sens de l'immortalité, qui s'est perdu de nos jours, où le cerveau décomposé de Diderot et tant d'autres ne saurait éprouver quoi que ce soit sans susciter l'incrédulité la plus avilissante. Et la postérité ne s'occupe plus à présent que de "sauver la planète", en attendant la prochaine mode. L'amant de Sophie retourne donc à sa "corvée" littéraire et philosophique, prolongée par nous ne savons quelle correspondance, nous ne savons quel opuscule. Quoi qu'il en soit, dit le ver, les galanteries se poursuivent au sein même des épanchements affectifs, et de la façon cette fois la plus haute : car l'actitivé intellectuelle de notre épistolier se voit stimulée par ce qui pourrait faire "tressaillir de joie la soeur bien-aimé" : Diderot lui aussi aimait l'intelligence de sa du Châtelet, n'écrivait que pour la compétence des dames : "Vingt fois, en (...) érivant [ce morceau], je croyais vous parler ; vingt fois je croyais m'adresser à elle".

Diderot ne sépare pas les deux soeurs, qui s'aimaient plus qu'il ne convient à des soeurs si vous comprenez ce que je veux dire. Il naît de là de multiples points d'interrogation : les compliments faits à l'une s'adressent-ils à l'autre ? Sophie goûte "des choses justes justes, sensées, réfléchies", sa soeur "des choses douces, hautes, pathétiques, pleines de verve, de sentiment et d'enthousiasme". Et pourtant ce serait l'"intellectuelle" qu'il préférait ? Si Diderot ne touchait pas la plus sensuelle des deux, celle que ses inclinations portaient nettment à l'intérieur de sa propre famille, comment pouvait-il baiser la plus philosophique et la plus réfléchie, Sophie, justement ?

Etait-il donc aussi médiocre au lit que Mme du Châtelet le disait aussi de Voltaire ? A-t-il dû ses succès charnels à des raisonnements poussés ? L'autre, la pure lesbienne, lui semblait-elle trop fantasque, trop débridée, trop (lâchons le mot) nymphomane (trop "nymphe à femmes") pour pourvoir être aimée, baisée, admirative, chevauchée ? Commentaires bien traîtres, puisqu'ils me trahissent, et trahissent mes propos, ce qui signifient les explicitent du plus sincèrement qu'ils peuvent. Trahir signifie don aussi son contraire : mot per lui-même bien traître en effet. Diderot lui-même ne sait plus trop "où il en est", comme il le disait de ces deux ou trois amants des deux sexes à la fin de sa lettre précédente.

Mieux vaut donc en effet rompre et bifurquer (à la ligne) au profit de son "goût pour la solitude" qui "s'accroît de moment en moment". Diderot laisse croître sa barbe "tant qu'il (...) plaît" à cette dernière. Il sort "en robe de chambre et en bonnet de nuit, pour aller dîner chez Damilaville" - porte en face espérons-le. Damilaville était celui qui souvent transmettait les lettres de la campagne à Paris et réciproquement...

Les commentaires sont fermés.