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Textes publiés - Page 10

  • En ces temps très anciens

    C'est le moment de délaisser l'i-pod ou l'écran tactile pour le monde réel : "Voilà des faits de petite importance" nous dit Sidoine, qui souffle un peu entre deux envolées, tandis que le public se râcle un peu la gorge : Parva loquor. "Il y en a de plus graves", quid quod, le latin relance tandis que le français se repose encore. V, 199, 28 09 13. Majorien effectue ses "enfances", et s'exerce à l'art militaire. "Il vise au contraire à devenir ton rival". Jeu dangereux, car souvent l'élève dépasse le maître : ce dernier ne doit pas trop en révéler : "Il hait tes victoires, et il aime ceux que tu as vaincus". Ma parole, c'est du sérieux. La confiance ne semble pas de mise entre maître et disciple. "Auprès de lui, Alexandre le Grand, "que tourmenta pourtant la gloire de son père", ne fait que sommeiller." Flagornerie assurément.

    Nul n'y voyait ironie. C'était la loi du genre. Alexandre dépassa son père de telle manière qu'on ne parla plus de ce dernier. Plutarque et Quinte-Curce attestent de cette jalousie d'Alexandre. C'est une bonne chose que de vouloir dépasser son père ; celui-ci en était digne. Le garçon suit les traces de son père et le dépasse, la fille au rebours cherche à se différencier de sa mère, mais la dépasse en beauté. Y a-t-il plus de rivalité générationnelle dans l'un ou l'autre sexe ? "Que faire, malheureux que je suis !" Ce n'est pas Sidoine qui s'exclame, mais le personnage qu'il a mis en scène. "Quel royaume procurer à mon fils, puisque j'ai perdu mon droit au trône wisigoth, si Rome m'oublie, si par surcroît mon petit Gaudentius est écrasé par le destin de Majorien ?" Ainsi la situation se trouve-t-elle inversée : le père n'est qu'un incapable, pas même foutu de transmettre un héritage quelconque à son fils, tandis que son élève convoite on ne sait quoi d'immense et de glorieux.

    Sidoine évoque ici le second fils d'Aétius, vainqueur des Huns, tout de même. C'est ce grand homme qui se plaint ici. Est-il à ce point déchu ? Voudrait-il régner sur les Wisigoths, en délégué du Sénat et du peuple romain ? Le destin des peuples dépend-il à ce point de ses dirigeants ? Assurémént non : le bouffon Bouteille avait raison. Mais que nous importe le destin des peuples ? Faut-il abolir l'Histoire individuelle des princes pour y substituer quelque vague sociologie, toujours la même au demeurant ? Faut-il reléguer Attila en bas de page pour le remplacer par de mornes considérations économiques et banales sur la vie quotidienne de l'éternel paysan au Ve siècle ? Et le grand Aétius de poursuivre ses jérémiades : "Ah ! Celui-là ! la Gaule déjà et toute l'Europe chantent ses louanges" – quoi ! Avant même qu'il ait atteint la pleine puissance de l'adulte !

    A travers les roseaux dga.JPGMais c'est "la Gaule" avant l'Europe. Sidoine possédait un fort sentiment d'appartenance à la nation gauloise. Sa famille avait soutenu l'usurpateur Jovien. Peu soucieux de s'appesantir sur ses ancêtres suspects, le poète déroule une de ces interminables énumérations litaniques, de philosophes, ou d'auteurs connus, ou de cours d'eau, pourquoi pas : les petits Romains apprenaient ces listes, pays après pays, sans même savoir les situer sur une carte. Il est vrai que les cartes nous semblent bien s'être réduites à des itinéraires, comme celui de Peutinger, comme certains éditeurs modernes le font déjà, les fous.

  • Fragments

    2022 – 01 – 14

    1. - Dans l'univers des faits," (ici interruption parfaitement stérilisante) "les méchants ne sont pas punis, ni les bons récompensés. Le succès est réservé aux forts, l'échec aux faibles. Et c'est tout.

    Portrait de Dorian GrayA Tino Rossi dgA.JPG

     

    Imaginons qu'il faille disserter. Ce serait cocasse. Cela ne donnerait rien de bon. Tout reviendrait à la question Suis-je faible ? Suis-je fort ? Et si l'on conclut bravement qu'on est mi-fort mi-faible, on glissera bientôt, invariablement à la conclusion que nous sommes tous faibles, bien faibles, pliant devant tous et toutes choses (bourges occidentaux ? ce qui reste à démontrer) pour juste une fois conformer sa vie à ce que l'on croit ses idées.

     

    X

     

    Monsieur,

    Nous avons bien reçu votre catalogue d'aphorismes. Malheureusement, leur forme négligée n'est pas faite pour racheter leur manque d'originalité.

    Veuillez croire, Monsieur...

     

    Réfléchir sur la pertinence de la notion d'originalité.

     

    X

     

    1318.- Vivre se perdre afin de retrouver les hommes.

    ELUARD

    Quel optimisme – avoir noté de l'Eluard ! L'homme aux "charmantes niaiseries", comme le stigmatise Ma Brillante Dissertation de la troisième série ! "N'est-il célèbre que pour être le fils du banquier Grindel ?" Se reporter bien sûr à la cohorte de fils de financiers parfaitement crétins. Devenus comme il se doit garçons bouchers. Pascal des Lieux Communs. Le plus grand des Ordinaires. Les Hommes ne piédestalisent que les grands ; autrement, vous comprenez...

    De même au fond de mon placard dort L'imitation de Jésus-Christ. Je crois qu'il serait temps d'envisager la composition de Thèses – en séries, en Système. Vivre se perde afin de retrouver les hommes – et leurs paroles...

     

     

    16 – 01 – 2022, etc

     

    X

     

    Musique : Stockhausen. Magma, écouté chez les autres, est insignifiant ; chez moi, sublime.. La voix de gorge que je prends ; mêmes notes, mêmes effets. La composition "pour soi" n'est jamais que faute de mieux. Me rappeler Sarreméjean qui m'avait débranché l'orgue électrique : il n'y a pas de limite à la médiocrité.

    J'ai reçu mon élève particulière. C'est une femme de bientôt quarante ans, sèche, en bleu, puritaine - “ascétisme”, dit-elle ; intransigeant. Dans un moment de confiance, il y a lontemps, elle m'a confié que l'acte sexuel, quand elle doit s'y résoudre, n'est qu'un besoin naturel. Depuis ce jour, je la hais, je suis fasciné, obsédé par ses pratiques onanistes - en gros plan - le visage, surtout le visage ; tous ses instants d'inattention attribués sans hésiter à ses rêves doigtés. Elle ne pense qu'à moi, à deux doigts de moi. Fais-le, fais-le pour moi je t'en supplie. Mais si par mégarde, dans le feu des explications, Mollen se laissait aller à la passion de la grammaire, il affleurait de ses doigts, de sa main prématurément parcheminée, ou le frémissement indistinct d'une épaule, un frémissement intérieur, une contraction terminale.

    Ils se congédiaient sans savoir que dire, comblant l'instant où elle se rajustait dans son manteau par des propos anodins et contraints. Parfois, elle amenait sa fille au cours. Une petite de quatre ans, sanglée dans de longs imper bleu marine, le nez déjà pincé, le teint déjà jaune, les yeux craintifs. Il lui donnait à feuilleter des images qu'elle feuilletait d'une main morne. De temps en temps elle se levait, venait vers sa mère enlisée dans le marais des ablatifs absolus, et répétait mécaniquement quand est-ce qu'on s'en va ?

  • Le docteur bigot

    Première vision d'Uzerche dgA.JPG

    Le docteur Pascal Maatz habite chez lui tout clos. Grand
    et chauve, couronne bouclée grisonnante et fêtard,
    nombre de partenaires sexuels imposant, du moins
    pour un homme. Fut également marié, puis divorcé,
    à ses torts : Ludovika née Hirschheimer avait accouché
    la quantité, considérable en Occident, de trois
    enfants – ce matériau fera l'objet d'une autre
    narration. En ayant donc par-dessus le crâne, rendue fébrile
    et vindicative par tant de passades extranuptiales
    (rien de tout cela ne semble présenter la moindre
    vraisemblance : je ne vois que désert sexuel tout
    autour de moi...), Ludovika obtint la garde exclusive
    des trois garçons. Certains pensent qu'elle épousa
    son avocat, grand amateur d'enfants. Ils seraient tous partis dans le Cantal : au bout
    du monde. Le Dr Maatz connaît la route ;
    en remontant vers le nord-est par Fumel et Rouget,
    on gagne vite Aurillac, voire St-Flour. Mais
    à quoi bon. Confiscation donc de descendants âgés
    aujourd'hui de 8 à 14 ans, qui oublient leur père
    corps et bien. Rien dont l'homme se détache aussi
    aisément que des liens de paternité (Pascal Maatz
    ne dispose pas d'une sensibilité exceptionnelle :
    comment supporter, sinon, d'entrer ainsi,
    professionnellement, et par effraction, dans
    le corps des gens ? - exception faite cependant de ses
    émotions pieuses dans son oratoire, trop chaud l'été,
    trop froid l'hiver, juste sous les tuiles du toit, où
    nul ne doit avoir accès). Il en change lui-même les fleurs. S'y livre à
    des ostentations secrètes de piété : acteur et public.
    Enfant déjà il installait, sous ses combles, une chapelle
    à Marie, nourrie de représentations
    saint-sulpiciennes : fades crucifix, chromos
    de madones – sur le sol un Antoine au discret cochon.
    Adulte à présent, Pascal célèbre son culte sur
    un prie-Dieu rapetassé, face à quelques objets larcinés
    sur les tombes (depuis, saisi de contrition,
    il demande pardon aux morts), sans oublier la grande
    Vierge tout en bleu et Thérèse Gobe-Glaires
    (de Lisieux). Il se recueille ainsi entre deux
    consultants, leur faisant croire à des urgences.
    Fâcheux pourtant qu'on le voie redescendre de sa
    soupente en remontant, à la dérobée, sa braguette.
    Il fréquente Bordeaux, 18 rue H., une habitude,
    selon Mauriac in Genitrix : Magda, de la génération
    du baby-boom (45/69) : propre, rangée,
    en gris, pas trop physique, la cinquantaine honnête
    avec un sac à main cabas  ; un peu popote, une
    fois par quinzaine, pour l'hygiène. Le docteur ne veut pas savoir qui passe avant,
    qui passe après - « quatre ou cinq fois par jour
    lui dit-elle, on n'est pas des vaches tout de même » .
    Un jeudi sur deux. Il pourrait aussi bien
    séduire n'importe quelle femme dans un délai
    raisonnable – mais pas que ça à foutre [sic]
  • Fleurs et couronnes

    Après la mort de sa femme, Georges ne fut pas accablé de chagrin. Il demeura auprès du corps, assis au niveau des seins, répétant Ce n'est pas vrai.

    Les haut-parleurs diffusent en sourdine Goodbye stranger.

    Le veuf demande : Qu'y a-t-il autour de moi ?

    Balustres de Tulle DGA.JPG

    Claire décrit le papier peint vert, le corridor pavé, la serpillière ; plus loin le dédale et les chambres, et les bouffées suries de déjections et de désinfectant, et tout cela, il était inutile de le rappeler.

    L'établissement compte trois étages de portes feutrées, salons et autres pièces indéfinissables, où passent des rumeurs de chariots, de phrases pâteuses et de grincements d'infirmière.

    Sur le lit Myriam gît dans un peignoir, la tête calée sur un gros coussin de glaçons. Ses lèvres ont pris l'aspect de cordelettes violacées.

    « Je ne veux pas rester à Valhaubert dit Georges.

    - Vous occupez la meilleure chambre.

    - Pourquoi m'aviez-vous séparé de ma femme ?

    Claire glisse ses lunettes fumées dans leur étui. Georges, un instant ébloui, lève les yeux sur la soignante qui murmure Myriam, Myriam - Elle est morte dit le vieux.

    Quelqu'un monte le son des haut-parleurs. Claire ?… dit-il – je ne veux pas mourir ici, à Valhaubert.

    Good bye stranger fait 6mn 45.

    Durant tout le temps où le visage de Claire, aide-soignante, se tourne vers lui – synthé, syncopes, tierces – Georges examine son front lisse, ses yeux immaculés, la chute sur ses tempes de la permanente blonde à demi-lunes. Chœur de fausset – piano subito – improvvisa sordina – lancinant – ossessivoputain changez la glace hurle une voix en plein mois d'août quoi merde !

    Celle qui tient le cou celle qui change la vessie dans un bruit de cocktail on the rocks

    « Claire » - posant la main sur l'avant-bras tiède – montez le son -

    - Toujours Good bye stranger ?

    Les trois femmes le regardent comme un dingue. Claire tourne le bouton. Son visage à tout jamais synonyme de ces rythmes à la fois si langoureux, si martelés. Ces larges applications de lune sur son profil droit…

  • Villeneuve et les chats

    53 12 03

    A Mobylette dans la région de Villeneuve-sur-Lot / Agen. Je regonfle mes pneus, j'arrive au sommet d'une pente couverte de feuilles mortes, dans une cour où le chemin semble se terminer. Deux femmes sexagénaires dont peut-être Mme M. et Claudine de St-Gaudens me regonflent, mieux, puis me conduisent de l'autre côté de leur maison où le chemin devient une allée dégagée vers un portail fermé. Je remonte sur la selle qui prend l'aspect de l'intérieur d'un porte-monnaie, puis nous partons ensemble vers un bled où vient de se dérouler une fête de l'huître ; nous en commandons en terrasse, tout est encore en désordre et les employés viennent demander qu'on ne fasse pas trop de bruit parce qu'il est seulement 10h 40. Volets clos DGA.JPG

    J'avais dit vouloir gagner Villeneuve, et devant l'air désappointé de Mme M. je m'étais demandé si je ne ferais pas mieux de rester toute la journée avec elle, et plus, le soir, éventuellement, ouais, bof...

     

    53 12 14

    Dans un métro un peu crasseux, et sombre, une femme d'un certain âge, et charmante, laisse tomber quelque chose sur mes pieds. Elle me demande de le lui ramasser, sa phrase est longue et mal intelligible. Je ramasse un lourd collier d'argent fait de grosses pièces rondes enchaînées, elle me remercie. Dans un autre wagon, une fille rougeaude et joyeuse parle de termes grecs en faisant semblant de s'excuser, mais y prend plaisir. Une autre femme plus âgée lui répond sur le même sujet, et ajoute qu'elles sont du même signe politique, votant à gauche. Le métro roule dans un tube, les horaires y sont affichés à même le mur, alors que la rame défile et qu'on n'a guère le temps de bien lire sauf à l'arrêt...

     

    53 12 15

    Dans un hall d'aéroport, des gens tirent à la pierre sur des arbres, puisant dans la caillasse, où sont penchés des oiseaux hors d'atteinte. Mais parfois, ils s'envolent effrayés et se reposent. Sorte de lapidation de Satan. Annie atteint un arbre ! C'est excellent. Des pièces et des médailles allongées ne cessent de tomber du plafond. Les enfants en ramassent. Annie et moi-même le faisons ; j'en donne à certains enfants, j'en garde aussi pour nous. Les oiseaux sont des espèces de pigeons blancs. Rentrés à l'hôtel nous faisons des gestes brusques avec des allumettes. Iris en reçoit une dans l'œil et meurt, Kraków aussi, il est bien brûlé. Annie voit cela avec fatalisme. Me rendant aux chiottes, je commence à pousser des cris aigus.

    Annie me dit qu'ils ne sont pas tout à fait morts. Et je me rends compte que ce n'est qu'un rêve, et que de toute façon il nous resterait Isa, intacte