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Textes publiés - Page 11

  • Vélo, train, décapotable

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    Le jour se lève, gris, mouillé, mon vélo m'abandonne, il sera bien sur le bord du fossé, un autre errant le prendra, le laissera, le train m'accueille, il faut que je bouge, petit, petit, à mon échelle. Il ne me faut que du petit. Ma montagne s'appelle Massif Central, mon village Blotti-le Château, quelques ruines du temps de Richelieu ; il les a tous détruits, « pour abaisser les seigneurs ». Le village est propre, désert, encore sous la pluie. J'aurai vécu des instants merveilleux, en des sites si méconnus… Je sors du sac à dos le sandwich du matin, car mon estomac ne souffre pas encore de ces sournoises brûlures, comment peut-on être si égoïste ? On n'est pas comme ça, me lançait un des tracteurs, scandalisé par mon existence.

    Dans l'inépuisable sac gît de travers un petit transistor, de ces appareils qui n'existent plus mais qui au moins marchaient. Une technique toute simple. De vaillants crachements résorbés, renaissants, disparus, latents : « Destruction du Singe Vert », répète le présentateur, en français le spéaqué, « destruction du Singe Vert » - ma revue, votre confidente, mon fiel, mes douceurs, vos retours cyrards, détruire, jeter tout cela, est-ce bien de toi que l'on parle ? il existe d'atroces contrées où règne une chaîne de fast-foods : Le Singe Vert, eux aussi, comment ont-ils osé, comment ai-je osé – ou alors, ou alors !

    ...Votre revue est reconnue, vous l'avez diffusée, pulvérisée partout, au point qu'on veut l'interdire ! Lecteurs, envoyez vos articles. Vos protestations. Proclamez que je ne suis pas égotiste. Broutant les dernières miettes du sandwich. Regagnant le véhicule d'occasion, usant de tous les moyens de bouger, j'atteins au bout d'un sentier plein de boue un vaste domaine, où se cache une vie mystérieuse, plein air et bouse ? Tous ces bâtiments bas m'appartiendront, avec les vaches et le lait qu'elles produisent, et les manant qui les mènent. Pluie du matin vivifiante. Fiente. Les titres de propriété sont enfermés dans la grande huche, à l'intérieur d'un drap plié. S'ils ne me laissent pas fouiller, j'emploierai la force – mais je me vois rejoint par une race supérieure : des Américain fortunés dans une longue caisse de là-bas, une limousine à six portes.

     

    Décapotable. Chauffeur-propritétaire grande classe, stetson, fort accent d'Atlantique. Plus un couple, d'un homme et d'une femme. Grands septuagénaires emplis de distinction. « Nous sommes mariés. Nous sommes frère et sœur ». Ils me chiperont mon titre. Bien plus distingués que moi, bien plus riches, bien plus exotiques. Je ne crois pas à leur inceste. Cousinage au 8e degré plus vraisemblable. Le domaine leur appartient. Ils recevront demain, en mains propres, les titres de propriété. Le notaire ou son clerc décréteront la « destruction du Singe Vert », petite revue aux dents acérées. Si je ne cède pas, le ton deviendra menaçant, la vois s'élèvera.

    Nous entendons au loin de fortes explosions dont nous ignorons la cause. Soudain la vague nous emporte jusqu'à la surface. Le soleil vient de se lever.

    Volets rouges DGA.JPG

  • Circonvolutions

    Conclusion, sans rapport avec ce qui précède.

    Il faut écrire par but précis.

    IL FAUT FUIR LE STYLE DES QU'IL SE MANIFESTE

    cette photo est de Vincent Pérez

    Le grand écart en l'air BLOG DGA.JPG

    Fuir, dès qu'il se manifeste, le style.

     

    FUIR LE STYLE DES QU'IL S'APPROCHE.

    Et non pas : "...FUIR, DES QU'IL S'APPROCHE, LE STYLE."

    Mes lecteurs - rectifieront d'eux-mêmes.

    Le livre d'Henry-François REY "Les Pianos mécaniques" m'aura du moins appris comment ne pas écrire. Opposer, de Rabelais :

    "Or cy trouverent des mots gelés ensemble, et syllabes aincy agglutinées, comme hin, hin, brededin, brededac, bou, bou, bou, trac, trac..."

    De moi in "Monségur [sic] 47"

    "Ça ne devrait pas s'appeler "cimetière" ; ça sonne trop clair, comme un clairon ; il faudrait plutôt le bruit de la terre qui glisse - fss... fss... - quelque chose comme "fossouère"..."

    ...Toujours d'Henry-François Rey :

    "Il but son café à petits coups

    " son whisky d'un grand trait" - prière : my friend,

    Débarrasse-toi de tous ces verres "qu'on tourne entre ses doigts", de tous ces cafés et cigarettes - quand je compose je me les touche, je me court-circuite. Pas de déperdition.

    "C'est là que, tout seul dans le vent, je récite "Hamlet"... Un très bon exercice. Notez bien que je tiens Shakespeare pour un idiot et "Hamlet" pour une pièce infantile. Mais cet infantilisme est comme une purge ; tout de suite après son ingestion, la rigueur vous paraît plus rigoureuse. Nous arrivons."

    Ca fait bien, de prendre Shakespeare pour un idiot. "Vous êtes un vieux croûton : aimer Shakespeare !

    - Ah mais non ! je le "tiens pour" un idiot.

    - Vous êtes un ignare : mépriser (to despite) Shakespeare !

    - Ah, mais non. Je maintiens que son infantilisme purge : d'une certaine façon donc, paradoxale, je rejoins votre admiration. Je l'estime, mais pas comme tout le monde."

    (Enfant = con = génie = con = pureté = nature, tou sles clichés sont au rendez-vous, l'idiot est le plus sage de tous, etc... - êtes-vous allé déjà faire un tour dans la tête de l'idiot du village ?)

    Quant à la "rigueur" qui devient "plus rigoureuse", c'est ce qui s'appelle le comparatif interne : la vie devient plus vivante, la profondeur devient plus profonde... t'en chies des pages...

    Mon cul devient plus enculé.

    Le fin du fin, après les points de suspension - le "coup de menton" - "nous arrivons".

    Brisons là.

    Gardons nos profondeurs.

    Cela s'appelle "poser un jalon".

    Vient ensuite le croquis du village vu de haut : "Vous avez vu un village sous la pluie - décrivez - au soleil - un couple qui baise - décrivez - " poursuivre sur ce ton - secouer le livre comme un vieux sac de patates poussiéreuses qu'il est, cependant, dès deux cents pages avant la fin, une irrésistible, une incoercible envie de poursuivre.

    X

    Se peut-il qu'un si grand cerveau - le mien - reste en friche.

  • Ceux qui aiment se faire humilier

    Si nous avons tous deux, Arielle et moi, supporté ce torrent d'inepties - morigénés, tancés, piétinés – c'est qu'il suffit hélas que le dernier des hommes nous insulte, fût-ce en pleine public, pour qu'épanouis d'adoration et de soumission nous jouissions de nos deux anus. Nous sommes ainsi fabriqués. Nous avons toujours attiré parents, limaille et autres Hauts Commissaires du peuple, qui d'âge en âge exauçaient nos souhaits silencieux. Ce que criaient lamentables à la face du monde nos attitudes coupables et torturées : « Une opinion, par pitié, une opinion ! Nous vous supplions humblement de nous montrer, de nous enseigner, de nous imposer ce que nous pourrions faire, ce que nous devons faire, depuis si longtemps dû faire, ces Loi que nos père et mère n'ont jamais su nous apprendre, car il est bien trop tard, hélas ! irrémédiablement trop tard, c'est notre faute, maxima culpa – aussi méprisez-nous, accablez-nous » - jamais personne hélas au cours de notre vie n'aura manqué à ce vice viscéralement vissé au plus obscur du cervelas humain : celui d'améliorer autrui, de le racheter, de le rédimer, quitte à l'anéantir, à l'annihiler, à faire de lui le clone exact de ses Juges : de vrais hommes nom de Dieu, de vraies femmes, recréés, modelés, façonnés à leur exacte image.

    Telle est l'horrible caractéristique de l'engeance humaine.

    Ayant enfin appris d'autrui, assimilé ce-que-c'était-que-la-vraie-vie, c'était à nous, à nous seuls, qu'il appartenait, déontologiquement, d'extirper la nature et l'exacte définition de nos fautes fétides, par une féroce autocritique, ô Manes de Staline, ô Manes de Mao ! Surtout ne contraindre personne ! Mais nous reforger sur l'enclume de notre éblouissement spontané ! ...Ces gens nous aimaient ! Ils ne désiraient rien de plus ardemment que notre propre épanouissement ! Mais à l'aune stricte du leur. Ils savaient mieux que nous, de toute éternité, ce qu'il nous fallait, pour nous élancer vers nos propres cieux. Différents d'eux finalement, mais en coïncidence exacte avec ce qu'ils auraient imaginé pour nous.

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    Peut-être même à leur place, en délégation d'eux-mêmes auprès du Grand Tout, afin de nous servir, de nous aduler en retour, et de se réclamer fièrement de leur triomphe et de son résultat : nous, là-haut, sur la cime, tandis qu'eux-mêmes fussent restés aplatis dans la plaine comme un peuple aux pieds de Moïse…

     

    X

     

    Une autre fois, une femme m'aima - et je ne m'en apercevais pas - bien malin en vérité qui s'en fût aperçu ! Car (c'est un autre de leurs arguments massue) nous voyons seulement, n'est-ce pas, nous entendons seulement ce que nous voulons entendre et voir – ces humains-là ne sont jamais fatigués d'arguments - pauvre chose que la tête humaine…. C'étaient des conversations péremptoires, des mises au point de part et d'autre, où son camarade et elle nous assénaient à tour de bras d'infaillibles et péremptoires Vérités Premières – par amour disait-elle, tandis que je ripostais vaillamment, ferraillant, impénétrable à tant de d'invisible affection, par des bordées de vannes de cul ou de paradoxes.

    Ils nous déchiraient, nous raillaient, férocement, persuadés jusqu'aux entrailles que nous aurions pu tellement, mais tellement mieux mener nos vies il suffit de le vouloir - « mais on n'y arrive pas ! » - C'est que vous ne le voulez pas vraiment – et nous trouvions cela sans réplique, alors que tant d'hommes et de femmes n'auraient su ne fût-ce qu'une heure, simplement, tenez, s'arrêter de fumer. Et plus nous nous sentions, Arielle et moi, nourris, éduqués, torchés, purifiés, plus nous admirions béatement tous ces Experts en Vie qui péroraient du haut de leurs petits sommets, savaient et déblatéraient, s'autorisant de nos tronches de cakes. Arielle et moi cheminions toujours deux à deux, elle boitant sous ses fortes hanches et moi, collé contre elle, maintenant mon pas sur le sien et suivant des miennes le roulis de ses flancs.

    Cela nous faisait reconnaître de loin, même après de très longues absences, de l'ordre de la dizaine d'années. Nous avancions selon notre pas de danse rêveur, en un chaloupement nouveau, comparable à celui des porteurs de cercueils qui pivotent, à la fin de la messe, pour sortir du tuyau de la nef. Ou au déhanchement des femmes de ménage se tenant toutes en file par les épaules dans un merveilleux ballet de Philippina Bausch.

    Comment après cela, je vous le demande, comment eussé-je soupçonné que la fière, l'altière S. (une femme, quoi...) que cette magnifique Amazone à crinière de jais aurait pu se livrer à l'inconcevable incongruité de m'aimer ? Les belles femmes n'aiment pas : elles condescendent.

  • Ecris donc comme ça te vient !

    Parfums d'église. Chaque heure mûrit et crève ; l'absence de souffrance se fait cruellement sentir. Une araignée étire ses pattes. La pensée file en musique, les comparaisons s'enfilent comme des perles, comme des doryphores qui cheminent, comme, comme...

    En arrivant à Ajaccio P.JPG

     

    Laisse couler le fleuve des automobiles où tourne une sirène, le soleil baisse et va t'atteindre derrière la vitre. Une vieille ouvre son sac, objet vague, les humains fuient, reste, isolée, la moleskine.

     

    Ici s'ouvre le journal du fou, 22-12- 2020

    Aqui se abre el diario del loco.

    Rien ne sera plus concentré que le journal du fou. Nichts wird usw. Le texte en sera pédant, souvent diffus.

    "Le comble du cabotinage est de ne rien laisser paraître de soi."

    FLAUBERT

     

    Ce travail nécessitera une documentation aussi poussée, aussi sévère, que celle de Bouvard et Pécuchet. Il y prolifèrera autant de redondances, autant de répétitions que dans l'oeuvre de Bienaimé Péguy. Partitions musicales, portées tibétaines, cartes géographiques, "et l'on parlera plus des couleurs et dees formes de l'oeuvre, que de l'oeuvre elle-même."

    Nul ne doit pouvoir dire :

    - Houynhnhnh ! ceci est bon ; j'en ferai fructifier."

    Il n'y aura pas de plan ("Es wird" usw.)

     

    X

     

    Le futur est le temps des dieux, le temps-Dieu.

    "Il est le temps qui exprime qu'une action se fera ou ne se fera pas dans l'avenir ; il exprime ce qui sera (ou ne sera pas) (verbes d'état), sans restriction."

    Ceci encore :

    "Obsédé du besoin de faire coïncider la durée de sa création avec celle de l'élan créateur (coïncidence exaltante

    qu' "on peu nommer l'inspiration") - le fou ne se sent ni atteint ni tourmenté par la suite de la citation ("il [Tchaïkovski] est d'autre part tourmenté par les exigences de la création formelle" J. J. Northmann).

    "Petite musiquette au jour le jour - serinette - non, tu ne seras pas" (Antoine Bourdivier).

    Problème : "raidissement" mène à "trop connu" ; "besoin de nouveau" mène, par d'autres voies, à "trop connu" - les histrions sont fatigués - et puis, l'interdit :

    "Deux amoureux se regardent à travers la vitre du train. Qui ne démarre toujours pas. Or, ils se sont tout dit. Ils se font des grimaces embarrassées de chaque côté de la vitre" - ça, on peut le dire. "Les roues du train comme le bruit de la mer" - ça oui, ça surtout on peut. Ca sent bon. Cendrars, Jules Verne, Michel Strogoff. Références. "Ce qu'il y a de bien" ("de merveilleux") c'est de se sentir en train de penser sans savoir à quoi ; sans besoin de cerveau. "Ce gros viscère chaud"

    MAIS :

     

    : interdit !

    et :

     

    : interdit !

  • Pas d'hommes

    Cardinal Fesch B.JPG

    Photo prise au printemps 2052, dans l'ancien appartement de S. et D. Un linoléum nu, lisse, luisant, propre, mort. Au premier plan à droite : une nappe et son pli Puis, au fond, de gauche à droite : un fragment de fauteuil tapissé, avec un accoudoir et trois balustres ; un pied légèrement contourné. Des motifs floraux en camaïeu bistre. Une porte intérieure ouverte sur un frigo blanc, avec poignée chromée. Un rideau de fenêtre blafard. La porte ouverte plaquée au mur. Contre elle, une planche à repassée pliée à la verticale, avec son enveloppe aux motifs gris bleu, coupée vers le haut. Un tuyau d'aspirateur en crosse recourbée vers le haut, ledit aspirateur comme recroquevillé sous une cage à oiseaux apparemment vide, sur un piédestal en tige.

    La cage à barreaux perpendiculaires est elle aussi tronquée vers le haut. Suit un tabouret naperonné de grosse dentelle blanche, portant un vase vaguement asiatique, bleu foncé avec des motifs bleu pâle. Toujours aligné contre le mur, une bibliothèque de quatre niveaux, où figurent des magnétocassettes. A droite enfin, seule masse foncée à l'exception de l'aspirateur et du vase chinois, le grand écran de télévision, allumé (une femme en blouse blanche et un homme derrière son épaule), des appareils de réglages incompréhensibles au profane, avec, en bas, un coffrage à hublot auditif permettant d'approfondir les basses. Un ensemble glacé comme du papier, sans la moindre saleté humaine.