Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ceux qui aiment se faire humilier

Si nous avons tous deux, Arielle et moi, supporté ce torrent d'inepties - morigénés, tancés, piétinés – c'est qu'il suffit hélas que le dernier des hommes nous insulte, fût-ce en pleine public, pour qu'épanouis d'adoration et de soumission nous jouissions de nos deux anus. Nous sommes ainsi fabriqués. Nous avons toujours attiré parents, limaille et autres Hauts Commissaires du peuple, qui d'âge en âge exauçaient nos souhaits silencieux. Ce que criaient lamentables à la face du monde nos attitudes coupables et torturées : « Une opinion, par pitié, une opinion ! Nous vous supplions humblement de nous montrer, de nous enseigner, de nous imposer ce que nous pourrions faire, ce que nous devons faire, depuis si longtemps dû faire, ces Loi que nos père et mère n'ont jamais su nous apprendre, car il est bien trop tard, hélas ! irrémédiablement trop tard, c'est notre faute, maxima culpa – aussi méprisez-nous, accablez-nous » - jamais personne hélas au cours de notre vie n'aura manqué à ce vice viscéralement vissé au plus obscur du cervelas humain : celui d'améliorer autrui, de le racheter, de le rédimer, quitte à l'anéantir, à l'annihiler, à faire de lui le clone exact de ses Juges : de vrais hommes nom de Dieu, de vraies femmes, recréés, modelés, façonnés à leur exacte image.

Telle est l'horrible caractéristique de l'engeance humaine.

Ayant enfin appris d'autrui, assimilé ce-que-c'était-que-la-vraie-vie, c'était à nous, à nous seuls, qu'il appartenait, déontologiquement, d'extirper la nature et l'exacte définition de nos fautes fétides, par une féroce autocritique, ô Manes de Staline, ô Manes de Mao ! Surtout ne contraindre personne ! Mais nous reforger sur l'enclume de notre éblouissement spontané ! ...Ces gens nous aimaient ! Ils ne désiraient rien de plus ardemment que notre propre épanouissement ! Mais à l'aune stricte du leur. Ils savaient mieux que nous, de toute éternité, ce qu'il nous fallait, pour nous élancer vers nos propres cieux. Différents d'eux finalement, mais en coïncidence exacte avec ce qu'ils auraient imaginé pour nous.

Espace B.JPG

Peut-être même à leur place, en délégation d'eux-mêmes auprès du Grand Tout, afin de nous servir, de nous aduler en retour, et de se réclamer fièrement de leur triomphe et de son résultat : nous, là-haut, sur la cime, tandis qu'eux-mêmes fussent restés aplatis dans la plaine comme un peuple aux pieds de Moïse…

 

X

 

Une autre fois, une femme m'aima - et je ne m'en apercevais pas - bien malin en vérité qui s'en fût aperçu ! Car (c'est un autre de leurs arguments massue) nous voyons seulement, n'est-ce pas, nous entendons seulement ce que nous voulons entendre et voir – ces humains-là ne sont jamais fatigués d'arguments - pauvre chose que la tête humaine…. C'étaient des conversations péremptoires, des mises au point de part et d'autre, où son camarade et elle nous assénaient à tour de bras d'infaillibles et péremptoires Vérités Premières – par amour disait-elle, tandis que je ripostais vaillamment, ferraillant, impénétrable à tant de d'invisible affection, par des bordées de vannes de cul ou de paradoxes.

Ils nous déchiraient, nous raillaient, férocement, persuadés jusqu'aux entrailles que nous aurions pu tellement, mais tellement mieux mener nos vies il suffit de le vouloir - « mais on n'y arrive pas ! » - C'est que vous ne le voulez pas vraiment – et nous trouvions cela sans réplique, alors que tant d'hommes et de femmes n'auraient su ne fût-ce qu'une heure, simplement, tenez, s'arrêter de fumer. Et plus nous nous sentions, Arielle et moi, nourris, éduqués, torchés, purifiés, plus nous admirions béatement tous ces Experts en Vie qui péroraient du haut de leurs petits sommets, savaient et déblatéraient, s'autorisant de nos tronches de cakes. Arielle et moi cheminions toujours deux à deux, elle boitant sous ses fortes hanches et moi, collé contre elle, maintenant mon pas sur le sien et suivant des miennes le roulis de ses flancs.

Cela nous faisait reconnaître de loin, même après de très longues absences, de l'ordre de la dizaine d'années. Nous avancions selon notre pas de danse rêveur, en un chaloupement nouveau, comparable à celui des porteurs de cercueils qui pivotent, à la fin de la messe, pour sortir du tuyau de la nef. Ou au déhanchement des femmes de ménage se tenant toutes en file par les épaules dans un merveilleux ballet de Philippina Bausch.

Comment après cela, je vous le demande, comment eussé-je soupçonné que la fière, l'altière S. (une femme, quoi...) que cette magnifique Amazone à crinière de jais aurait pu se livrer à l'inconcevable incongruité de m'aimer ? Les belles femmes n'aiment pas : elles condescendent.

Les commentaires sont fermés.