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Vélo, train, décapotable

52 06 16

Le jour se lève, gris, mouillé, mon vélo m'abandonne, il sera bien sur le bord du fossé, un autre errant le prendra, le laissera, le train m'accueille, il faut que je bouge, petit, petit, à mon échelle. Il ne me faut que du petit. Ma montagne s'appelle Massif Central, mon village Blotti-le Château, quelques ruines du temps de Richelieu ; il les a tous détruits, « pour abaisser les seigneurs ». Le village est propre, désert, encore sous la pluie. J'aurai vécu des instants merveilleux, en des sites si méconnus… Je sors du sac à dos le sandwich du matin, car mon estomac ne souffre pas encore de ces sournoises brûlures, comment peut-on être si égoïste ? On n'est pas comme ça, me lançait un des tracteurs, scandalisé par mon existence.

Dans l'inépuisable sac gît de travers un petit transistor, de ces appareils qui n'existent plus mais qui au moins marchaient. Une technique toute simple. De vaillants crachements résorbés, renaissants, disparus, latents : « Destruction du Singe Vert », répète le présentateur, en français le spéaqué, « destruction du Singe Vert » - ma revue, votre confidente, mon fiel, mes douceurs, vos retours cyrards, détruire, jeter tout cela, est-ce bien de toi que l'on parle ? il existe d'atroces contrées où règne une chaîne de fast-foods : Le Singe Vert, eux aussi, comment ont-ils osé, comment ai-je osé – ou alors, ou alors !

...Votre revue est reconnue, vous l'avez diffusée, pulvérisée partout, au point qu'on veut l'interdire ! Lecteurs, envoyez vos articles. Vos protestations. Proclamez que je ne suis pas égotiste. Broutant les dernières miettes du sandwich. Regagnant le véhicule d'occasion, usant de tous les moyens de bouger, j'atteins au bout d'un sentier plein de boue un vaste domaine, où se cache une vie mystérieuse, plein air et bouse ? Tous ces bâtiments bas m'appartiendront, avec les vaches et le lait qu'elles produisent, et les manant qui les mènent. Pluie du matin vivifiante. Fiente. Les titres de propriété sont enfermés dans la grande huche, à l'intérieur d'un drap plié. S'ils ne me laissent pas fouiller, j'emploierai la force – mais je me vois rejoint par une race supérieure : des Américain fortunés dans une longue caisse de là-bas, une limousine à six portes.

 

Décapotable. Chauffeur-propritétaire grande classe, stetson, fort accent d'Atlantique. Plus un couple, d'un homme et d'une femme. Grands septuagénaires emplis de distinction. « Nous sommes mariés. Nous sommes frère et sœur ». Ils me chiperont mon titre. Bien plus distingués que moi, bien plus riches, bien plus exotiques. Je ne crois pas à leur inceste. Cousinage au 8e degré plus vraisemblable. Le domaine leur appartient. Ils recevront demain, en mains propres, les titres de propriété. Le notaire ou son clerc décréteront la « destruction du Singe Vert », petite revue aux dents acérées. Si je ne cède pas, le ton deviendra menaçant, la vois s'élèvera.

Nous entendons au loin de fortes explosions dont nous ignorons la cause. Soudain la vague nous emporte jusqu'à la surface. Le soleil vient de se lever.

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