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La fin du "Marin de Gibraltar"

"Elle se pencha vers moi comme si c'était là une question capitale.

- Toujours, dis-je. Parle encore."

En effet, c'est la femme qui "fait texte". L'auteur a besoin de ce porte-parole transparent, de cet interlocuteur tranparent. C'est la néantification du dialogue, expression volontairement vide d'un monologue intérieur. Aussi l'homme torture-t-il toujours sa belle Américaine pour exiger d'elle qu'elle parle, qu'elle parle, qu'elle parle

 

Et rien n'a d'importance, surtout pas les confidences de la créature esseulée sur son yacht, ce qui réduit à néant sa souffrance et sa quête. En fait, elle recherche ce marin, elle parle, elle s'ennuie, pour s'occuper, parce qu'il faut bien trouver un non sens à son sens. L'homme est un personnage qui revendique sa passivité.

Parking glauque DGA.JPG

"Il faisait toujours aussi beau. Lorsque je sortis sur le pont, nous entrions dans le canal de Piombino. Je pris un guide d'Italie qui traînait sur une table du bar."

Ce n'est que par la parole, par le livre, que l'on parvient à un reflet de réalité, qui est précisément toute la réalité. Sur son bateau, l'homme, la femme et l'équipage se sont coupés de toute possibilité d'action sur ce monde en marge duquel ils restent, n'en voyant que les côtes, et à la recherche d'un fantôme qui plus est - qui moins est.

"Elle n'est pas très bonne.

Elle fit une grimace en essayant de sourire.

- ll ne faut pas la laisser, dis-je, à cause du garçon."

C'est l'étape à Tanger, port de transit, zone franche dans les premières années après la guerre, qu'a lieu le saut décisif de l'histoire : au lieu de rester confinée dans les ports de la Méditerranée Occidentale, nos anti-héros chassent le marin de Gibraltar dans les terres africaines et le yacht va s'engager sur les eaux de l'Atlantique. C'est bien alors qu'on s'aperçoit que cette quête de fantôme est un atroce prétexte de maintes existences absurdes.

Mais rassurons-nous : tout le monde il est riche, tout le monde il boit. De façon superficielle, le bonheur est assuré. Mais qu'est-ce qu'on s'emmerde, lecteur compris. La vie n'est qu'une vaste soûlographie, et tout texte n'est qu'un prétexte. Ce qui donne, en pleine Afrique noire :

"- Il n'y avait personne pour en juger, dit le barman en bâillant, alors...

- Vous êtes sûr qu'il n'y avait personne ? demanda Epaminondas intéressé.

- Il devait au moins y avoir des animaux, dit Anna."

..Puisqu'on vous dit qu'Epaminondas est intéressé ! C'est lui qui entraîne l'Américaine Anna toujours plus loin à la recherche de son marin qui lui tient lieu de but de vie.

Moi je vous le dis, en vérité, tout ce que je pourrais ajouter à ce non texte me semble aussi bien pouvoir s'appliquer à un cours de terminales sur l'absurde, et me semble même avoir été écrit pour cela. Et Dieu sait que je n'aime pas taper sur Marguerite Duras. Quittons-là sur Laurent, autre matelot peut-être, est-ce qu'on se souvient de ces choses-là... :

"Mais Laurent avait expliqué aux gens - comme il avait pu - que les incendies provoquaient parfois, sur certains sujets, de ces réactions inattendues.

"On réfléchit toute une soirée pour savoir si on devait repartir en paquebot, comme tout le monde, ou racheter un autre bateau. On décida, afin de ne pas se séparer, et pour s'occuper un peu, de racheter un autre bateau."

Chers lecteurs, vous voilà prévenus : le "Gibraltar" brûle à la fin. Mais il n'y a pas de victimes. Il n'y a rien de tragique dans ce roman. C'est bien cela le tragique. Mais ça se lit, comme un whisky à déglutir. Les amateurs de Duras pourront se documenter sur leur idole. Ceux qui ne la connaissent pas feront bien tout de même de s'adresser à un volume de meilleur cru.

Je vous quitte, Carson.

Commentaires

  • Existentialisme français, un rien vieillot, m'étais-je dit en le lisant. Duras se cherchait encore. C'était son époque marquée par Hemingway. Il y a aussi les Petits chevaux de Tarquinia.

    Nabokov ironise quelque part sur ce genre. Des romans dans lequels les personnages vivent absurdement des situations absurdes en s'exclamant : mais bon sang, cette situation est complètement absurde.

    Cela dit, j'avais beaucoup aimé Le Vice-Consul et Un barrage contre le Pacifique.

    J'amais aussi beaucoup la petite Jane March... mais c'est une autre histoire.

  • J'entrerais bien mon URL, mais cela fait échouer l'envoi, car les voies du Seigneur Ordi sont impénétrables. Bien sûr, j'ai lu "Les petits chevaux de Tarquinia, à peu près aussi imbuvables. Quant à Nabokov, il a eu beau se soulever sur ses petits orteils, il n'a jamais pu se hisser à la semelle de Marguerite Duras. Navré.

  • Nabokov, inférieur à Duras ? Vous avez vidé la bouteille d'antigel ou quoi ?
    Maintenant, je suis lu en France par vos fachos.
    Vous pouvez me féliciter. Grâce à moi, la Wallonie sort enfin de l'ombre.

  • Ah, chouette ! Pour Nabokov, son perpétuel "vous allez voir, je vais vous raconter des cochonneries ouh là là " pour finalement d'ailleurs ne rien raconter du tout m'a toujours prodigieusement exaspéré par son ridicule.

  • Le Rhotacisme rattachisme, c'est la seule solution.
    Un rhotacisme national révolutionnaire, eurasiatique de Charleroi à Berlin jusqu'à Vladivostock.
    C'est la seule solution.

  • Nabokov ? Ah non, là, vous vous trompez. C'est un pornographe, certes, mais de haut niveau et sa maîtrise dépasse de loin Duras. Vous ne pouvez pas mettre à égalité, par exemple, Moderato Cantabile ou La Vraie vie de Sebastian Knight.

    Cela étant, avec l'âge, je n'ai pas osé relire certains de ses romans. C'est le problème du curiosa, des livres de second rayon.

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