Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Nymphes et guimauve

 

 

Dans les dernières lignes du Temple de Gnide, Montesquieu parle avec humour d'un livre de 12 pages ou depuis trente années il travaillerait à résumer « tout ce que nous savons sur la métaphysique, la politique et la morale, et tout ce que de grands auteurs ont oublié dans les volumes qu'ils ont donnés sur ces sciences-là ». Voilà bien de l'ouvrage, s'il s'agit de compresser en un tel compendium toute la connaissance du monde. Mais on voit bien que l'on peine au contraire à trouver douze pages consistantes à publier dans tout le fatras que des générations de ravasseurs nous ont jeté à la tête jusqu'à nous étoourdir. Il est fort à parier que cet ouvrage n'annonce le Presque tout sur presque rien des sieurs d'Ormesson... et Hugues Aufret.

Pour en demeurer aux siècles passés, il y a fort à penser qu'un tel ouvrage serait proche du fameux oracle de la bouteille, dont le livre était vide, ou de celui de l'ultime sagesse, dans le Candide : « Je m'en étais bien douté » grommela Martin le philosophe. Ainsi donc, face à nos incapacités pour le coup bien métaphysiques, ne nous reste-t-il plus, entre autres, qu'à nous délecter de petites folies bien propres à réjouir les jeunes gens : Le temple de Gnide en est une, puisqu'il s'agit de Cnide, où l'on adorait la déesse Vénus ou Aphrodite, propice aux amours. Ou terrible. Nous nous attendons à des fadaises bien guimauvées, telles celles de L'Astrée ; ainsi cheminent à l'aveuglette les savants, au milieu des fumées lumineuses de l'analogie, des rapports de telle œuvre à telle autre, qui sont leurs seuls guides...

Le cœur et ses fadaises, hélas, sont universels, et nous commenceront par un épithalame en latin, de l'empereur Gallien, célèbre à Bordeaux pour son Palais, qui n'est qu'un amphithéâtre : « Non, vos murmures de colombe, le lierre de vos bras, le coquillage de vos lèvres, ne l'emporteront point. » C'est du dernier galant, surtout le jour des noces, à moins que ce ne soit pour succomber davantage, car ceux ou celles qui résistent n'en tombent que davantage dans les filets de l'amour. « Vénus », commence Montesquieu, qui feint de traduire un poème grec, « préfère le séjour de Gnide à celui de Paphos et d'Amathonte » - nous connaissions le Paphos chypriote, voyons Amathonte : ce dernier temple était aussi à Chypre. « Elle ne descend pas de l'Olympe sans venir chez les Gnidiens » - prononcer je vous prie Ghnidiens, car le nom vient de Cnide, en Carie, contrée d'Asie Mineure. « Elle a tellement habitué ce peuple heureux à sa vue, qu'il ne sent plus cette horreur sacrée qu'inspire la présence des dieux. » Fadaises fénelono-télémakhiennes, et non « telle est ma chienne ».

Il sera difficile de tenir sur ce ton compassé, fleurant bon son passé, sur tout le cours de cet ouvrage. Mais en le feuilletant, de crainte qu'il ne fût en vers, nous avons constaté qu'il ne tenait pas plus de douze pages, d'où l'on peut inférer qu'il n'est pas besoin de peiner trente années sur ce fameux livre devant contenir toute la science métaphysique, et autre : il se tient là, entre nos mains, ce fameux volume , et s'appelle Le temple de Cnide. Mais plus personne n'écrit de cette manière. « Quelquefois elle se couvre d'un nuage, et on la reconnoit à l'odeur divine qui sort de ses cheveux parfumés d'ambroisie », ce mets parfumé qui rend les dieux immortels. La Grande RoueBloghautetfort.JPG

Conventions. Second degré de Charles-Louis de Secondat. L'heureux homme ne fut jamais maudit. Jamais il n'eut besoin de regratter sa plaie pour mieux l'exploiter. Il passa une vie sereine, occupée de travaux et de saints loisirs. Il vécut bien avant nous et mourut aveugle, en un temps où rien ne semblait annoncer l'apothéose sanglante des révolutions. « La ville est au milieu d'une contrée sur laquelle les dieux ont versé leurs bienfaits à pleines mains : on y jouit d'un printemps éternel. » Arcadie, Campanie, Bétique de Fénelon : les garants ne manquent pas, notre savant poursuit sa route en sécurité : « la terre, heureusement fertile » entendez en céréales et non en ronces, « y prévient tous les souhaits ; les troupeaux y paissent sans nombre », mais il n'y paîtrons plus lorsqu'ils seront mangés ; « les vents semblent n'y régner que pour répandre partout l'esprit des fleurs » qui est, n'en doutons pas, leurs parfums, en attendant celui des Lois.

Peut-être sentons-nous en nous entre autres monter les vapeurs du sarcasme, mais contenons-nous : Montesquieu sait ce qu'il fait, et nous ignorons ce que fut son dessein, ni quels poétaillons il fustigea dans son Temple... «les oiseaux y chantent sans cesse ; vous diriez que les bois sont harmonieux », nul besoin de violons dans les bosquets, savamment répartis pour égayer les tympans de qualité. Pour ne rien oublier, « les ruisseaux murmurent dans les plaines ; une chaleur douce fait tout éclore ; l'air ne s'y respire qu'avec la volupté » - tiens, nos beaux clichés accouchent d'un terme qui fait dresser, dans un premier temps, l'oreille : il s'est agi de dresser un décor aussi convenu que les canapés des étalages porno.

Mais ici, nous compterons moins les coups tirés que les effeuillements de pétales : et l'on n'était pas plus frustré qu'à présent ; les cœurs assurément jouissaient davantage, et l'on ne se pressait point de « conclure ». Avançons : un tel paysage ne peut que préluder aux couples d'amoureux. « Auprès de la ville est le temple de Vénus ; Vulcain lui-même en a bâti les fondements » - car il était juste que le plus laid des dieux s'amourachât de la plus splendide déesse : « il travailla pour son infidèle, quand il voulut lui faire oublier le cruel affront qu'il lui fit devant les dieux » : innocents lecteurs, voulez-vous me flatter ? Souffrez que je lâche la bride à mon démon pédagogique : Vénus et Vulcain se trouvèrent unis par les liens du mariage. Mais la femme se consola de la laideur boiteuse de son forgeron de mari ; elle séduisit le dieu Mars, plus beau, plus vigoureux, plus guerrier. Lorsqu'ils furent bien l'un dans l'autre, voluptueusement engourdis dans cette délicieuse position, Vulcain jeta sur le couple un grand filet de mailles de fer, qui les ligota sans qu'ils pussent faire le moindre mouvement, et les exposa au regard de tout l'Olympe qu'il avait convoqué au spectacle.

Ledit Olympe s'esclaffa bruyamment, multipliant les plaisanteries fines que l'on imagine. Et les deux coupables une fois libérés s'en furent, digérant difficilement leur honte et leur rage. Vénus commanda un temple à son époux cocu, ne maîtrisant pas moins l'architecture que la ferronnerie. Prévoyons un couplet sur la splendeur de cet édifice : «Il me serait impossible de donner une idée des charmes de ce palais », nommmmmmmmus n'en doutons pas ; « il n'y a que les Grâces qui puissent décrire les choses qu'elles ont faites. » Elles faisaient donc autre chose que de se mirer dans les glaces... 

Les commentaires sont fermés.