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  • Unbreak ly heart

     

    Unbreak my heart, c'est un néologisme. « Intraduisible ». « Dé-brise mon coeur », ou « répare mon coeur », « recolle mon coeur ». Aussi la traductrice, Marie-Christine Tricottet, ne l'a-t-elle pas traduit. Notre tâche se limite à décrire la couverture. Encore faut-il en déchiffrer le motif par l'examen de ses indications. Le titre est surmonté d'un sous-titre, ce qui serait alors un surtitrage : Rêves volés, en minuscules blanches sur fond noir. Ce fond noir est le contre-jour d'un jeune profil masculin, tendrement incliné vers un profil féminin. Il sera donc question d'un amour hétérosexuel.

    Juste au-dessous, en grosses majuscules blanches, le radical BREAK, « briser » en français, toujours sur le même profil indistinct. Mais il est précédé du préfixe anglais « UN- », en vert bleu, qui le détache de la racine et souligne ceci : avant d'être plus ou moins « réparé », « restauré », le coeur s'est fait briser (ne dit-on pas « un coeur brisé »,  a broken heart . Il restera toujours une brisure, une cicatrice, au travers de ce coeur. Le titre se complète, à la ligne au-dessous, par le pronom « ME », toujours en vert bleu, mais sous la majuscule B, en décalage esthétique, suivi du chiffre « 3 ». L'autrice, Lexi Ryan, est à la quatrième ligne, en majuscules plus modestes. Nous apprenons ainsi qu'il s'agit du troisième volume d'une trilogie, un « préquel » (mot nouveau : lorsqu'une histoire, et sa suite, connaissent un certain succès, l'éditeur suppose à juste titre que le lecteur sera curieux de connaître l'avant-propos de ce récit.

    Touffe et bouleaux dga.JPGOn en a fait de même pour Le seigneur des anneaux, et pour d'autres histoires je suppose. Mais un avertissement nous rassure en avant-propos : nous pouvons lire ce volume séparément des autres, sans être tenus à lire les deux premiers. Tout en haut de la page et sur le front noir du profil masculin, dont les lignes souples suivent une diagonale « N-O / S-E », tiens ! « le nez », le lecteur lit « « DERNIER VOLET DE LA TRILOGIE », ce qui s'emploie couramment, car toute histoire d'amour, toute romance diraient les Américains, participe plus ou moins, mais plutôt moins que plus, de la tragédie grecque antique. Pour ce qui est du « volet », nous nous référerons plutôt à des triptyques, tels qu'il s'en voit au-dessus des autels chrétiens…

    Mais cette « romance » est une NEW ROMANCE, à l'angle supérieur droit, lisible en majuscules banches sur fond vert, à lire de bas en haut. Ce n'est pas tout : « La passion peut transformer les rêves en réalité ! » - le point d'exclamation est dans le texte, censé attirer la clientèle. Cette clientèle sera sentimentale ou ne sera pas. Elle aura acheté un livre de la collection « Hugo + Roman », le « + » ne se lisant pas à haute voix : c'est un logo, un rectangulet blanc sur un bâtonnet vert. L'information de la page de titre est complète, insistante. La phrase ou exergue, d'une conviction naïve, se détache en vert sur la douce mâchoire estompée d'un profil féminin ; la mention de la collection, sur le blanc du fond de photo. Entre les deux profils en effet se détache un fond blanc brisé, montrant les fronts (ornés de petites mèches blondes pour la femme et noires à contre-jour pour l'homme), et, plus bas, séparant les lèvres entr'ouvertes des amoureux, plus ouvertes chez la femme aux belles incisives (la femme peut mordre dans son plaisir), très tendres chez l'homme et légèrement inclinées vers le bas : l'homme est plus grand, la femme tend sa bouche marquée de stries. THE END.

  • Les phares sales

     

     

    Plongé dans les arcanes de la Pharsale, je prends note des convictions du jeune Lucain, suicidé sur ordre en l'an 64, et neveu de Sénèque. Il s'engage du côté de Pompée, adversaire de César. Il penche pour le Sénat et le rétablissement de la république romaine, alors que règne Néron. Ça se paye très cher. Cependant Pompée possède quelques torts. Celui de fuir, d'abord, sous des prétextes stratégique : on pense au repli sur la Loire, puis sur l'Adour… Celui d'avoir un fils, aussi, Sextus, qui consulte en Thessalie la sorcière Erichto. C'est le passage obligé : les sorcières font ceci, accomplissent cela, renversent les lois de la nature et des dieux : la terre cesse de tourner sur ses pôles, et s'alourdit jusqu'au bas du ciel.

    Chat corse dga.JPGLes dieux mêmes sont donc obligés de plier à leurs lois. Mais en faisant cela, Erichto la Hérissée attirera sur Pompée les foudres de Fortuna, de Fatum, du Destin, de l'Anangkè, entité devant laquelle s'abaissent même les Supérieurs de Là-Haut. Tout humain, toute puissance céleste s'inclinent devant ces charmes sacrilèges. Mais celui en faveur duquel s'est exercée cette magie maudite se voit disqualifié, abandonné des Dieux à la fois et de la Chance : il meurt, il crève, il se fait décapiter. La tête de Pompée sera montrée à César, qui se courrouça pour de bon et non par feinte. Il n'hésitera pas à châtier les Égyptiens, ces traîtres blasphémateurs. Il faut toujours se mettre du côté de ceux que favorise le Sort.

    Pourquoi irions-nous mourir pour des idées, de mort lente ou rapide. Pourquoi ne pas moi-même inverser mes valeurs en ces temps qui s'annoncent troublés. Pourquoi blâmer Ionesco père, qui passa des pronazis aux staliniens ? Ici s'intercale une rêverie, entre le doute et le cynisme. Lucain, Cicéron, hésitaient entre César et Pompée, car Julius remportait toutes les victoires (sauf à Dyrrhachium), et tout le monde, c'est faiblesse humaine, éprouve de l'admiration pour le vainqueur. « La cause victorieuse plut aux dieux, mais pour la vaincue, Caton» - Victrix causa deis placuit, sed victa Catoni – chant I, vers 1, abondamment glosé. Mais au chant VI, le fils Pompée se permet d'ébranler jusqu'aux lois de la nature : « des cadavres ont fui leur couche », traduction Ponchont, qui poursuit comme ceci : « Elle enlève du milieu des bûchers les restes fumants des jeunes gens et leurs ossements brûlants », fous-leur la paix, salope.

    Les Romains crémaient leurs corps. C'était aussi dégueulasse qu'à Varanassi. Les débris sautaient à travers les crépitements, et ça puait la chair rôtie, mêlée à la merde bouillie. Les sorcières se glissaient dans les nuées répugnantes des bûchers, et se faisaient poursuivre à coups de balais ou de tisonniers. « Kalpasinôn » est un hapax relevé dans le manuscrit magique de la « Bibliothèque Nationale publié par Wellesley », et si vous voulez le savoir, c'est à la « page 81, ligne 1437 ». Notre Bibliothèque a fait peau neuve, les manuscrits de la réserve seront plus facilement accessibles au public – ah oui ? plus qu'une heure d'attente au lieu de deux ? Mais si « kalâsinôn » devait se lire « karpasinôn », avec un rhô ? Il ne s'agirait donc plus d'une urne funéraire (un peu tard pour retirer des os de la « karpê », l' « urne »), mais de charbons. Et ces charbons proviendraient « d'une gaze fine, (fournie par es bandelettes qui servent à envelopper les momies) » - notre annotateur nous renvoie, si nous voulons prolonger sa digression jusqu'à plus soif, au nommé Fahz, vous savez, celui qu'il a cité plus haut, voyez donc les pages 42 sqq, « et suivantes » !

    ...Passons. Nos sorcières subtilisent « la torche même que tenaient les parents et les morceaux du lit sépulcral d'où volait une noire fumée ». C'est terrible. On ne profane pas ainsi un cadavre, n'est-ce pas, surtout sous le nez de ses parents. On mourait tôt, à Rome. C'était le bon temps. Les sorcières faisaient périr les jeunes gens, et volaient leurs ossements. C'est pas bien, pas bien du tout. Pétrone s'est bien moqué de ces terreurs en carton-pâte. « Elle[s recueillent les vêtements qui tombent en poussière et les cendres qui conservent l'odeur des membres ». Bon appétit à tous.

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    Quelques massacres plus tard, alors qu'il n'y a pas eu de massacre, pas encore, mais c'est dans l'air, voici Jules César haranguant ses troupes, en multipliant les obscurités. Il incite à frapper au visage, même son père dans les rangs ennemis. Il pousse les hommes au massacre, dans une orgie de mort donnée, de mort reçue, réinterprétée par nous comme une maladie mentale, avec des tripes qui jaillissent partout, alors qu'auparavant, c'était là que gisait la gloire, qu'il fallait redresser dans ses robes de sang. Nous sommes devenus pusillanimes, la moindre cervelle fait verser notre vomi, nous avons connu les batailles éparpillant les corps, même des morts, sans gloire ni respect. 14-18 nous a guéris, mais à quel prix, nous autres occidentaux.

    De vraies lavettes. De vrais hommes. Depuis nous nous ululons d'un radeau à l'autre. César s'exprimait dans la langue de Lucain. Ce n'étaient plus les phrases sèches et bien argumentées. Le lecteur, et non pas l'auditeur, pataugeait parmi les fautes des copistes médiévaux. Max Ponchont souffrait. Remplaçait locasset par locassès. Admirez à présent, jeunes gens d'Amérique et vieillards

    d'Europe, inclinez-vous sur les textes vénérables : « Si le sort avait placé (locassses ou locasset ? kss kss…) dans ces sanglantes fureurs de Mars autant de gendres de Pompée, autant de prétendants à la domination de leur pays, ils ne se jetteraient pas au combat d'un élan si précipité ». César était le gendre de Pompée. Il souhaitait ardemment la domination de son pays. Deux déterminations farouches : tuer beau-papa, et prendre sa place au-dessus de Rome. Eh bien ! Sa harangue, incohérente et furibarde, a transformé ses soldats en brutes totales : ils sont plus gendre que le gendre, plus aspirants dictateurs que l'aspirant dictateur. Ils vont se ruer contre la mort, entre Romains, sur d'autres Romains renforcés d'Arméniens.

    C'était le but du jeu. Par de grands braillements précieux, amener l'autre à l'état de transe, pour qu'il n'y ait plus qu'envie de tuer. Le général devait stimuler ses troupes,  et l'on a vu César jadis haranguer sur le front même de la bataille, alors que le combat était déjà engagé. Les règles veulent que l'adversaire aussi, également romain, ait droit à sa harangue symétrique . Harangue de Pompée. Ce sera noble et geignard. Pompée veut la pais. C'est le gardien des institutions. Il ne cesse de fuir devant la force, afin de recruter des alliés. Il va déplorer. IL doit se soumettre à son destin. D'après Lucain, tous déjà connaissent leur sort. Pompée exhortera à bien mourir, selon les destins, avec résignation morose ou fière.

    Lançons-nous dans ces dorés marécages : « Lorsque Pompée voit que les bataillons ennemis sortent en ligne droite, uidit ut hostiles in rectum exire cateruas / Pompeius… - en ligne droite, et non « vers son rectum », ô crétins, « que les dieux, sans accorder à la guerre aucun délai, l'ont décidée poir ce jour-là, il a froid au cœur » : quoi ! Depuis le temps que tu fuis, gros lâche ? à qui feras-tu croire que tu recherches des alliés orientaux ? Pompée, homme sensible, humain, Chirac des Romains ? Le voici tout gelé, la diarrhée fait verglas sur ses cuisses ? Il est perdu. La cause devient conséquence, la conséquence devient cause. Il doit être vaincu parce qu'il est déjà vaincu, il est déjà vaincu parce qu'il doit l'être : « et pour un si grand chef avoir tant peur des armes, c'était un présage ».

    Pompée, tu eus de la chance. Tu as triomphé des pirates, certes, jadis, beau, glorieux, dans l'Adriatique. Mais tes victoires ont été préparées par Lucullus, que tu as limogé pour prendre sa place, juste au moment de récolter ses lauriers. Tu as été flatté. Tu es gras, mou et veule. Il te reste à fuir en pleutre, afin de faire pleurer dans les chaumières. On ne se souviendra plus de ton nom. César ne sera plus que la risée des albums d' « Astérix ». Mais c'est toi que soutiennent Caton et Lucain. Au nom des principes républicains que tu incarnes. Et tu n'incarnes plus rien du tout, depuis la lutte de Marius et Sylla. Marius n'est plus qu'un pauvre homme chez Pagnol. En ce temps-là, on tuait.

  • Esotérisme oraculaire, carrément

    Cette pyramide, ou cette flamme, étant le volume, le solide, le plus simple, engendre à son tour les autres solides : l'octaèdre, huit côtés, le dodécaèdre, 12 côtés, l'icosaèdre, vingt côtés. Noter que le cube, selon Platon et Plutarque, ne peut être engendré par une combinaison de volumes impliquant la pyramide. Pourquoi ces interrogations ? Pour tenter de connaître, en définitive, la forme des éléments de ce jeu de construction, de l'univers. La forme des atomes. Grâce à nos microscopes électroniques, à diverses découvertes inaccessibles aux littéraires vaseux, grâce à divers raisonnements abstraits mais imparables (jusqu'à nouvel ordre) nous pouvons concevoir les atomes comme un mélange de corpuscules et d'ondulations.

    Caveau ensoleillé dga.JPG

    Mais je m'égare, comme on dit près d'Athènes, et nous apercevons les confins du mystère : les Antiques raisonnent, comme en Amazonie, à l'aide de rapprochements, de similitudes, de divinités intervenantes, de raisonnements analogiques. Ils posent les bases du raisonnement scientifique et logique, mais ce ne sont là justement que les bases, parasitées par toutes sortes d'obscurités métaphysiques. Aujourd'hui encore nous progressons, ou plus exacement nous avançons, de balbutiements en balbutiements : qu'est-ce que la vie et la mort, l'homme et la femme, le bien et le mal ? Examinons un passage de Plutarque, et voyons ce que nous pouvons en comprendre :

    « Car c'est alors seulement, toté, que chaque multitude devient un nombre, lorsqu'elle se trouve cernée par l'unité. » On y va ? Pour compter, il faut avoir l'idée du « un ». Un plus un égale deux, et ainsi de suite jusqu'à la multitude, et même jusqu'à l'infini. Mais l'idée du « un », d'où est-elle venue ? Du pressentiment que notre univers est un, comme son nom l'indique, et qu'il entoure, qu'il cerne cette multitude qu'il s'agit de dénombrer. Donc le « un » à la fois nous entoure, nous cerne, nous comprend, ET se trouve à l'intérieur de cette multitude à dénombrer ; à la fois extérieur, le « un », comme principe, divin ou non, pressentiment, divin ou non, et intérieur à la notion de plusieurs, de pluralité.

    Et le « un », par adjonctions progressives, engendre l'univers. L'univers non seulement arithmétique, mais l'univers dénombrable, l'univers matériel. « Si l'on supprime celle-ci, de nouveau la dyade indéterminée confond tout en détruisant tout ordre, toute limite et toute mesure » - amétronn veut dire « sans mesure ». La dyade est le contraire du « un » ou « monade ». Mais pourquoi la dyade, le nombre 2, serait-il le seul contraire du « un » ? Le passage du deux au trois est concevable ; c'est deux + un ; le grand mystère est le passage de zéro à un, ou mieux encore du

    « rien » au « quelque chose ». Un autre mystère est le passage du « un » au « deux », du singulier au pluriel, et non pas au pluriel imprécis, mais au pluriel dénombrable. C'est en effet le passage du compact à la pagaïe, du pur à l'impur, du déterminé à l'indéterminé. Finalement, le mystère subsiste, après tout, en passant du « deux » au « trois », de « n » à « n +1 » : car ce « un », qui nous entoure, qui est infini, est également le plus petit nombre, qui permet de s'élever jusqu'à l'infini dans l'échelle des nombres, lequel finit par tenter d'atteindre tout l'univers. Autrement dit, 1 + 1 + 1 + 1 égale 1 ou tend, infiniment, vers 1.

    Le Tout est 1, la divinité est 1, composés à leur tour d'une infinité de « 1 », donc l'infini est partout. Donc celui qui ne voit pas Dieu partout ne le verra nulle part, et celui qui voit le 1 voit le Tout, mais je reproche aux autres ce que je fais, c'est-à-dire mélanger allègrement l'arithmétique et la religion. Toujours est-il que je n'ai toujours pas compris comment la « dyade » (le « Deux ») peut tout dérégler, alors que les mêmes Grecs nous affirment que tout repose sur le 2 : attraction et répulsion, éros et antéros, étant le couple qui fait tourner le couple, en physique, et l'univers, en dernier ressort.

    Et la suite se corse : « Mais, étant donné que la forme ne détruit pas la matière qu'elle achève et ordonne », en effet, une statue de marbre est encore et toujours du marbre, « il faut aussi que dans le nombre  se retrouvent les deux principes d'où naît la première et la plus grande de toutes les différenciations et diversités. » Nous butons sur une aporie : la dyade est-elle constructive, ou destructive ? Les deux mon adjudant : les constructions sont destructions, et vice-versa. Passer d'un nombre à l'autre grâce au « Un », c'est détruire le nombre précédent et construire le nombre suivant, grâce à l'unité. Nous arrêtons là nos élucubrations, et laissons nos graves philosophes explorer les arcanes du raisonnement.

    Plutarque finit par justifier le « 5 », puisqu'il s'agissait de cela au début, de la façon suivante : c'est le premier nombre à unir le premier pair, 2, au premier impair, 3 – le « un » ne compte pas, car il est à la fois « un » et « tout ». Et voilà pourquoi les oracles disparaissent. Signé Plutarque, éditions des Belles-Lettres, collection Budé Athéna.

  • Hippopotame et chat

    Au sommet de ce que l'ancien temps appelait encore un "baffle", sorte de kaaba aussi noire et massive que l'originale, gisent deux animaux en perspectives bizarres, et qui n'ont pas pour habitude de se côtoyer : c'est un hippopotame vert, de face, et un chat plat, entendez une motié de chat représenté vautré sur la surface, comme découpé dans l'épaisseur de sa longueur. Le Nilpferd ("cheval du Nil") se présente de face, camus, obtus, bleu turquoise. Il a dû exister dans la statuaire pharaonique. Le scuplteur lui agrandit le museau, sur la narine droite duquel repose une couverture noire de classeur ouvert. Ses orbites sont également démesurées, arquant de vigoureuses arcades, qui se rejoignent au milieu du chanfrein sous forme de marque cylindrique : c'est l'Hippopotame divin, Taouret, "la Grande", protectrice de la maternité.

    Cardinal Fesch dga.JPG

    Je vois aussi ses petites oreilles de chat, son dos puissant en perspective raccourcie qui s'arrondit en puissante croupe. Son front porte d'abondantes rides, son échine des scarifications rituelles en perspective rasante. Devant son mufle volontaire de requin-marteau, le carré noir de ma boîte à sons, qui fonctionne si mystérieusement. Sue le côté gauche (ma vue du carré se fait "alla cavaliere", par un angle) s'aplatit un chat rayé, comme écrasé, nonchalant, la tête tournée au-delà du cul de l'hipppo. Il est douloureux. Je ne le conserve que par égard, car il ne peut tenir que dans cette position, du fait de son traitement plastique. Il est saisi dans l'abandon, une patte levée sur l'autre, mais mutilé, car il ne se relèvera jamais.

    C'est une loque, c'est une bouse. Il montre sa longue nuque souple, une seule de ses oreilles, l'autre étant absorbée dans le noir, une arcade, un dessous de museau, et se laisse aller dans son morbide abandon. Sa facture avachie d'hippocampe échoué ne saurait se comparer à la mastodontesque assurance de la déesse vert-de-gris. Ce serait même un trop gros chat sil 'on s'en tenait à l'échelle de représentative. Ils sont tous deux perchés figés à 30cm d'altitude, encore dessous de mes yeux. Ce sont des objets ornementaux, de qualité pour le pachyderme, de médiocrité pour le minou négligemment rayé. Quant au classeur dont le rebord écorne le museau et passe sous l'orbite droite, il se poursuit en grande plage descendante, et soutient deux pincées de feuilles écrites, à la main par dessus, à l'imprimante par dessous.

    Ce décor de bureau témoigne d'un désordre où je vis, où je trace mes lignes dans une studieuse insouciance, et nul ne me regarde. L'hippopotame et le chat sont là, ils pourraient être ailleurs, attirent la poussière, et seront déplacés sitôt cette page écrite, afin de respecter le roulement des choses, qui se dit, en français, le turn over.

  • Bruno Dumézil et les Barbares

    Cette chronique s'achève traditionnellement par un extrait correspondant à l'endroit où nous nous sommes arrêtés dans notre relecture aléatoire, et à sa suite. Ecoutons religieusement mais pas trop : les identités n'étaient pas ethniques, mais en fonction du chef de nation, car Nation n'est pas Peuple. Les mercenaires prenaient des noms de nations lorsqu'ils voulaient se faire valoir : la mode est aux Goths ? présentons-nous comme Goths. Et l'autrice de poursuivre :

    «  En deuxième lieu, l'identité permettait de mener un jeu subtil au sein de l'armée impériale. Depuis le début du IIIe siècle, les usurpations étaient fréquentes et n'importe quel général romain pouvait prétendre à la pourpre. Dès lors, les meilleurs officiers, qui naissaient généralement dans les provinces du Rhin et du Danube, devaient se positionner selon leurs ambitions. Le vaillant Maximin le Thrace se présenta ainsi, à tort ou à raison, comme un Romain ; il put de ce fait devenir empereur en 238. Mais d'autres généraux affirmèrent appartenir à un peuple barbare ; à ce titre, ils n'inquiétaient en rien l'empereur en place, qui avait tendance à faire d'eux ses principaux lieutenants. » Il exista une période appelée « anarchie militaire », durant une cinquantaine d'années, où chaque empereur passait son temps à se battre contre ses usurpateurs, avant d'être remplacé violemment par un autre usurpateur : ainsi Gallien, qui fit construire l'amphithéâtre du même nom dans la rue du même nom, a-t-il connu 18 concurrents à la fois, régna-t-il 15 ans ce qui est exceptionnel, avant d'être assassiné au siège de Milan, septembre 268. Nous poursuivons pour l'instant comme ceci :

    « En dernier lieu, le discours ethnique venait renforcer la position des élites barbares en termes diplomatiques. Ainsi, pour devenir un interlocuteur crédible, mieux valait être membre d'un peuple constitué. Cela permettait notamment de justifier les alternances entre la soumission et la rébellion, en fonction des avantages que l'empereur était prêt à consentir.

    « Qu'elle air reposé ou non sur de nombreux éléments étrangers à la civilisation romaine, l'identité ethnique barbare constituait donc l'élément clé d'une rhétorique sociopolitique. Celle-ci s'était élaborée lentement au contact du monde romain et fut développée, après 376, pour justifier l'éclatement du pouvoir impérial, puis pour légitimer la fondation de royaumes indépendants. »

    Une identité ethnique relève donc aussi d'une imagination, sans être pour autant juste imaginaire. Je ne pense pas que les chefs barbares agissaient ainsi de façon consciente et calculée. De nos jours, mieux vaut se prétendre Syrien que Congolais, c'est vrai. Seulement, ce sont des individus qui fuient, et non pas des rois barbares avec leurs armées. Le Chapitre II s'intitule « Rome et ses voisins ». « Si la transformation des peuples vivant hors de l'Empire est difficile à appréhender, les auteurs du monde romain nous renseignent assez abondamment sur les affrontements autour du limes, cette frontière militarisée qui sépare l'Empire du monde barbare. Les relations entre Romains et Barbares y sont complexes : si les conflits existent assurément, ils alternent avec les négociations, les échanges et les collaborations.

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    - Les prétendues « Grandes Invasions »

    Du IIIe au Ve siècle, les armées romaines sont souvent en difficulté et laissent des groupes de combattants barbares s'introduire sur les territoires impériaux. À ce titre, la période a longtemps été qualifiée de temps des « Grandes Invasions ». Cette désignation est toutefois trompeuse et, dans l'ensemble, impropre.

    1.- Les raids du IIIe sièle apr. J.C. - »

    Nous n'avons pas connu cela au XXe et XXIe siècle, même si les passeurs et les patrons semblent bien se frotter les mains de voir débarquer (ou se noyer) toutes ces populations en même temps, alors qu'elles auraient pu s'étaler sur des années, comme avant. Mais à l'époque dont il est question ici, nous avons des raids, même si le mot n'existait pas encore : « Longtemps, Rome maîtrise le limes du Rhin et du Danube grâce à une forte présence militaire, mais aussi grâce à une diplomatie habile. Au IIIe siècle, les rapports de force avec les peuples frontaliers sont modifiés par la transformation du monde barbare, où des groupes hostiles à Rome s'allient, finissant par constituer une menace militaire réelle. Des noms de peuples anciens ressurgissent, associés pour la première fois à des tentatives d'incursions dans l'Empire romain. »

    Insistons sur le caractère militaire de ces actions, et sur le caractère imaginaire des nations : de nos jours encore, rien de tel pour cela qu'une bonne désignation d'un ennemi extérieur. Chez les Germains donc, comme chez les Turcs actuels, désignation d'un adversaire au nom d'un nationalisme de nature à la fois cérébrale, tribale et tripale. « Tel est le cas des Saxons, signalés pour la première fois sur les côtes romaines en 285. De nouveaux noms apparaissent aussi dans la deuxième moitié du IIIe siècle au-delà du Rhin, comme les Francs (en 260) ou les Alamans (en 289), qui désignent probablement des fédérations de groupes barbares antérieurs. Au milieu du IIIe siècle, leurs attaquent terrestres se combinent avec une piraterie intense en mer du Nord et dans la Manche. »

    Nous nous arrêterons là, en espérant ne pas en être astreints à ces extrémités, car il faut bien dire que si les Romains vivaient sous une dictature militaire, nous vivons paraît-il sous une dictature financière, ce qui n'est pas plus sympathique, mais tout le monde veut du pognon. Bizarre, non ? Mais ceci est une autre histoire. Les Royaumes Barbares en Occident, au PUF alias Presses Universitaires de France, par Magali Coumert et Bruno (pas Georges) Dumézil.