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Hippopotame et chat

Au sommet de ce que l'ancien temps appelait encore un "baffle", sorte de kaaba aussi noire et massive que l'originale, gisent deux animaux en perspectives bizarres, et qui n'ont pas pour habitude de se côtoyer : c'est un hippopotame vert, de face, et un chat plat, entendez une motié de chat représenté vautré sur la surface, comme découpé dans l'épaisseur de sa longueur. Le Nilpferd ("cheval du Nil") se présente de face, camus, obtus, bleu turquoise. Il a dû exister dans la statuaire pharaonique. Le scuplteur lui agrandit le museau, sur la narine droite duquel repose une couverture noire de classeur ouvert. Ses orbites sont également démesurées, arquant de vigoureuses arcades, qui se rejoignent au milieu du chanfrein sous forme de marque cylindrique : c'est l'Hippopotame divin, Taouret, "la Grande", protectrice de la maternité.

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Je vois aussi ses petites oreilles de chat, son dos puissant en perspective raccourcie qui s'arrondit en puissante croupe. Son front porte d'abondantes rides, son échine des scarifications rituelles en perspective rasante. Devant son mufle volontaire de requin-marteau, le carré noir de ma boîte à sons, qui fonctionne si mystérieusement. Sue le côté gauche (ma vue du carré se fait "alla cavaliere", par un angle) s'aplatit un chat rayé, comme écrasé, nonchalant, la tête tournée au-delà du cul de l'hipppo. Il est douloureux. Je ne le conserve que par égard, car il ne peut tenir que dans cette position, du fait de son traitement plastique. Il est saisi dans l'abandon, une patte levée sur l'autre, mais mutilé, car il ne se relèvera jamais.

C'est une loque, c'est une bouse. Il montre sa longue nuque souple, une seule de ses oreilles, l'autre étant absorbée dans le noir, une arcade, un dessous de museau, et se laisse aller dans son morbide abandon. Sa facture avachie d'hippocampe échoué ne saurait se comparer à la mastodontesque assurance de la déesse vert-de-gris. Ce serait même un trop gros chat sil 'on s'en tenait à l'échelle de représentative. Ils sont tous deux perchés figés à 30cm d'altitude, encore dessous de mes yeux. Ce sont des objets ornementaux, de qualité pour le pachyderme, de médiocrité pour le minou négligemment rayé. Quant au classeur dont le rebord écorne le museau et passe sous l'orbite droite, il se poursuit en grande plage descendante, et soutient deux pincées de feuilles écrites, à la main par dessus, à l'imprimante par dessous.

Ce décor de bureau témoigne d'un désordre où je vis, où je trace mes lignes dans une studieuse insouciance, et nul ne me regarde. L'hippopotame et le chat sont là, ils pourraient être ailleurs, attirent la poussière, et seront déplacés sitôt cette page écrite, afin de respecter le roulement des choses, qui se dit, en français, le turn over.

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