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  • Les royaumes barbares

     

     

    Les royaumes barbares en Occident, aux Presses universitaires de France, rédigées par Magali Coumert et Bruno Dumézil, descendant de l'autre, semblent venir à point nommé pour confirmer le sentiment que nous sommes nous-mêmes envahis, et que nous allons succomber sous les grandes invasions comme les Romains. De fait, il est exaspérant que certains éléments veuillent nous imposer la détestation du porc et l'amour du voile. En 1914, nous avons repoussé l'assaillant, grâce aux troupes américaines. En 1940, nous avons volontiers accueilli l'étranger, en 1944, nous l'avons repoussé, ou plutôt les Américains l'ont fait pour nous. Et je me souviens de mes bonds, devant la Télévision (signe de croix…), en apprenant que le bon peuple de Paris, en 1815, avait accueilli les gentils cosaques arrivant de Russie sur les Champs-Élysées, dans un désir d'amour des étrangers : « Comment dis-tu « la bite », en russe ? Et « les couilles », en russe ?

    Sans tomber dans la caricature propagandiste, les thèses prudemment avancées par Magali Coumert, disciple de Bruno Dumézil qui co-signe l'ouvrage, exaspèrent les nationalistes : ces thèses vont jusqu'à prétendre que les Grandes Invasions sont une invention des historiographes, qu'elles ont été bien moins brutales et bien plus progressives qu'on le dit, et que les Barbares germaniques ont été d'abord décrits par des Romains, qui les voyaient comme des ennemis, puis, mille ans plus tard, décrits par des Français, qui les jugeaient destructeurs de la seule civilisation qui vaille, la romaine, puis par des Allemands, qui les jugeaient bénéfiques et justificateurs de leur identité germanique, forcément conquérante.

    Les commentaires sur la mixité avaient ainsi de quoi exaspérer les lecteurs souverainistes de toutes les nations : car maintenant, ce sont les nations d'Europe qui sont attaquées par les Barbares. Ces gens méfiants diront qu'il est facile de diluer les faits, de les ronger par l'intérieur à l'aide de mille petites considérations, de petits faits, de broutilles archéologiques, lesquelles broutilles accumulées finissent par saper les fondements de nos connaissances. Ce serait parfait, car nos connaissances doivent toujours se remettre en cause, sans crainte d'évoluer. Cependant, il est facile, à force de raisonnement, de démontrer le contraire de tout et le contraire du contraire, en fonction des modes idéologiques : la mode est au métissage, mettons du métissage partout – nous pourrions de proche en proche nier Napoléon, Néron, la Shoah, l'influence de Staline, l'existence de la Renaissance de Charlemagne ou de la Renaissance de François Premier, qui ne furent en partie qu'une reconstitution historique d'après-coup. Ainsi l'Histoire se remet-elle sans cesse en question, car l'Histoire figée devient dangereuse et propagandiste, de même que l'histoire revisitée transforme Lénine en petit saint et Kim-Il-Ung en bienfaiteur de leur peuple ; l'Histoire avance donc sur un fil et ne doit pas perdre l'équilibre, menacée à gauche menacée à droite, sans compter ceux qui veulent la nier, noyant l'Histoire avec un grand H dans les histoires avec un petit h. Et l'on pourrait écrire une histoire de l'histoire, vu la façon différente dont on la raconte. Mais on aurait tort de ramener l'étude de l'Histoire de nos jours à l'Histoire écrite par François Hollande ou Mélenchon ou Marine.

    Les Barbares n'ont donc pas échappé aux travers humains : les Vandales furent des salauds pour l’Église catholique – mais ne détruisirent pas plus que les autres, et les Huns furent les héroïques fondateurs de la Hongrie, où ce prénom est très souvent porté. Adolf n'est plus porté du tout, c'est curieux, tout de même, ces effets de mode. Notons d'abord, comme disait Amélie, que les Germains ne savaient pas écrire, gisant encore dans la culture protohistorique. Notons aussi qu'ils étaient chrétiens, car nos braves missionnaires ne reculent devant rien, sauf devant celui qui les encule. Notons que leurs peuples n'étaient pas homogènes : ils étaient constituées d'une macédoine d'anciens peuples vaincus ou assimilés pacifiquement, et se faisaient appeler Burgondes ou Francs ou Wisigoths.

    Chiotte entrebâillée dga.JPG

    Mais ce qui les tenait ensemble n'était pas qu'une origine ethnique discutable : c'était l'obéissance à un chef, et se proclamer Burgonde ou Ostrogoth consistait à renouveler sa fidélité au chef. Et si le chef était vaincu, on s'en choisissait un autre, et on prenait le nom d'une autre tribu, soi et sa famille. Quant aux Romains ou aux Grecs, ils les désignaient par un nom ou par un autre, Gètes, Daces, Scythes, selon l'harmonie de leurs phrases ou de leurs versifications. Les flèches qui sillonnent les cartes historiques ne correspondent donc pas à des invasions ciblées par des peuples en marche conquérante, rapides, homogènes. Tout s'est passé par infiltration, avec de loin en loin des épisodes militaires et massacreurs.

    Mais la diffusion du jeans est le signe d'une importation culturelle, comme le rock. Elle ne signifie pas que l'Europe de l'Ouest a été envahie par de nombreuses populations qui auraient déferlé sur notre sol en provenance de l'Amérique du Nord. Ainsi, en archéologie, la diffusion de tel ou tel genre de poterie, de telle ou telle coutume funéraire (inhumation ou crémation) ne signifie pas nécessairement que des tribus se soient déplacées, mais que la mode s'est répandue, que les routes commerciales se sont formées, qu'un prestige culturel a grandi géographiquement. D'autre part, le fait que les Barbares étaient déjà chrétiens, hérétiques mais chrétiens, le fait que leurs chefs parlaient souvent latin, s'étaient souvent rendus à Rome pour étudier, ou bien en mission diplomatique, ou bien pour affaires commerciales, prouvent que les interactions existaient de puis longtemps d'un peuple à l'autre. Les prétendus Barbares installés sur le sol romain pour des raisons de confort matériel ont adopté les coutumes et les lois des peuples du sud, oui, mais sans abandonner leurs lois propres, car ces peuples du nord, même s'ils ne savaient pas écrire, obéissaient déjà aux lois de chez eux, aux coutumes de chez eux.

    Simplement les souverains Goths ou Suèves ont trouvé plus avantageux d'adopter des lois méditerranéennes, qui leur garantissaient la fidélité de leurs sujets, même en cas de défaite.

    N'oublions pas qu'Attila savait le latin, avait reçu à Rome une parfaite instruction militaire, et reçu le titre, en tant que chef, d' « ami du peuple romain ». N'oublions pas que l'empereur Avitus, Gaulois, Arverne, avait reçu la couronne des mains d'un Wisigoth, qui souhaitait obéir à Rome ! Gardons-nous, par conséquent, d'assimiler ce qui s'est passé aux IVe et Ve siècles de notre ère dans le bassin méditerranéen et la vallée du Danube avec ce qui se passe actuellement.

    Nous avons peur, mais c'est normal. Regardons simplement nos inquiétudes en face, au lieu de leur tourner le cul pour qu'elles nous le bottent

  • La jeune et le vieux

     

    Claire-Alice et Georges peu à peu inséparables en dépit du Règlement Intérieur. À titre d'avertissement (administratif) pour ce vieux con : visite, ensemble, de 5 domiciles – pourquoi rester ici à présent que votre femme – Myriam, Myriam - vous a quitté (…) - Venez avec moi, Georges, venez tenter votre Avenir, voyez si vous pouvez continuer de vivre – Je ne sais pas, je ne sais pas… Dans le premier appartement vivait une vieille fille usée par le doigt, parcheminée, hâve, fardée, voix de fausset sonnant faux. Elles ont quelque chose à cacher. Cela se voit. Georges, ne jugez pas les femmes.

    Vous habiteriez sous les toits, dans un petit deux pièces rue des Juives – Je vivais heureuse dit la femme, la peinture blanche, c'était moi, les plinthes à l 'adhésif, encore moi, les meubles portugais vernis, la bibliothèque de Ferreira (Eço de Queirós, Castelo Branco)- c'est la circulation, monsieur, qui me gêne, j'y suis presque faite, déjà l'été, j'avais moins de camions, je laissais la fenêtre ouverte » - j'avais aussi fleuri la terrasse sur cour… - Eh bien ? - J'y suis retournée seule, six mois d'impayés, la vieille est virée, vous emménagez quand vous voulez, la propriétaire est venue chez elle, les yeux dans les yeux, son gendre au chômage, sa fille aux études c'est bon a dit la vieille c'est bon, obter o inferno je f… le camp » - Intimação para desocupar – Vous parlez portugais Georges à présent ?

    Il hausse les épaules. La vieille à la rue. Fin de l'ankylose. Chambre entière garnie d'un vieux lit, d'une table et de sa chaise – une coiffeuse à lampes nues, latérales. Et les toilettes au fond. « Je vais vous les montrer – Non merci. » Claire-Alice et Georges Aux Anciens de Valhaubert. « Il ne s'agit pas de spoliation, Georges ; tout juste l'application d'une loi. Tout juste ça. Deux années d'impayés. »

    C'est le premier avertissement.

    Arbre dga.JPGCe que dit Claire-Alice, Georges le croit : elle n'a que 23 ans, ses pommettes hautes et écartées, très blonde. Que pèse en face une vieille Portugaise, 36 rue des Juives ? Dès le lendemain, Claire-Alice dit à Georges : « Vous n'aimez pas les femmes seules... » Il répond indistinctement. Claire-Alice a compris jamais seules et je me comprends. Elle a peur de comprendre. Elle conseille de tenir sa porte bien fermée à clé. Elle hésite entre tu et vous. Georges a reçu l'assurance de bientôt quitter Les Anciens de Valhubert. La lettre est signée Waldfeld, Directeur. Claire-Alice la lui rend à bout de bras. Il la suit aveuglément, il croit tout ce qu'elle dit : « Deuxième avertissement : Chez Léger. » Leurs voix à travers la porte trahissent leur âge : qui est-ce ? nous ns pouvons pas loger une personne de plus. Claire-Alice invente une enquête, un service social. Henriette et Peaul ouvrent la porte en deux fois, d'abord on ferme sec pour débloquer la chaine de sûreté, puis ou rouvre d'un coup, côte à côte dans l'ouverture.

  • Bruxellois et chats blanc

    Les Hackenberg de Bruxelles occupent cette fois la chambre sur cour – ils s'en vont dès le lendemain  - « dégâts des eaux sur la Côte, résidence inhabitable, Hermann nous a téléphoné à minuit quinze » – plaignons leur malheur – au troisième été mon Arielle a perdu son poids : « mais vous avez fondu !» - soixante-trois livres – progrès enfin des conversations : ils n'aiment pas les Hollandais, nos hôtes ; l'épouse belge répète : « Les Koukaas..» (« fromages de vache »). C'est le surpoids d'Arielle qui l'asphyxie, encore pour un an. Tous les matins j'explore la campagne, seul sous le soleil, supportable jusqu'à dix heures, où je reviens m'abriter à l'ombre ou dans la lumière selon la chambre de l'année, repose mon épouse. Même avec vue sur le puits où l'on ne boit pas mais d'où sortent les casiers grinçants de bouteilles bien fraîches.

    Torpeur. Catalepsie. Et moi aussi j'ai refusé le moindre effort. Lequel d'entre eux jadis m'a-t-il rapporté le moindre avantage ? aucun. Que dalle - tous les matins elle sommeille. Après son opération tout comme avant ; trop froid, trop chaud, trop pluvieux. Autorité, persuasion, caresses ? Harcèlement ? Rien n'y fait. Alors, puisque après tout c'est les vacances, et que nous payons notre location, je sors me promener seul, en voiture et à pied, avant le plein midi de l'Hérault. Je fais le tour des églises perchées, cadenassées, désertes. Très vite c'est le plein soleil. Un bas de pente envahi de goudron cuit et de superbes goudronniers torse nu, gorgés de vapeurs sur le gravier puant, cuisant, eux-mêmes juvéniles, torse nu, pompant le carbone à pleins poumons, rigolos mais bonnes bites.

    Montée brute direct en première, virages en épingle. Chaleur suffocante, lacets à voie unique – enfin j'atteins de longs bâtiments propres, ocres et désertés. Je vois de mes yeux ici même, en pleine garrigue, une cloche à bascule suspendue à ras de sol avec le joug de suspension sous sa poulie de métal. Pour peu que j'eusse actionné le palan à travers la grille, tiré sur la corde lovée dans la gorge, une cloche semblable, là-bas, sur la pente symétrique, m'eût répondu. Tout le vallon du Brach se fût précipité, tous auraient su qui j'étais (les goudronniers m'auraient dénoncé) - scandale public, internement d'office. Il se tient donc ici chaque été, sur les deux versants, des pèlerinages, retraites et dévotions, avec scouts, curés, colonies de vacances, odeur des pieds, aménité chrétienne et vulgarité.

    Puis tout retombe en abandon. Il faut absolument, voyez-vous, que ces lieux-là servent à quelque chose, s'utilisent,se réglementent, réfectoires, dortoirs – passée la fête, adieu le saint – qui diable peut prier ici ? - dum a turba corrumpimur. : l'autre désignait le Diable, mais à présent, c'est l'autre qu'on révère – les aboyeurs télévisés prêchant la plus fraternelle promiscuité. A travers les vitres dga.JPG

     

    Aujourd'hui, cerveau qui cuit sous le soleil. Buissons poudreux, un sol montant et rocailleux. Des chats faméliques me suivent en ordre dispersé, dérobés sitôt qu'effleurés. Flairent mes doigts vides puis s'esquivent. Leurs cris me poursuivent. J'ai demandé plus tard le sens de ce manège. « C'est qu'ils crèvent de faim » me dit-on.

  • Zone aride

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    Nous parvenons dans des zones arides. Une conclusion d'abord : la langage ne sert pas à “nommer” les choses, ni à exprimer le monde, mais à communiquer entre les hommes, à rétablir dans le fantasme commun l'absence de la présence. Nous pouvons transformer cela en présence de la présence, par la coïncidence des représentations mentales résultant d'un langage commun. Autre chose comprise ou à peu près : Saussure, pourtant richement doté en paternités physiques (lignée de savants) et intellectuelles (antériorité d'éminents théoriciens) veut générer par lui-même sa descendance. Ensuite, Claudia Mejía-Quijano entreprend de remettre en question les comptes rendus des conférences de Saussure, actuellement disponibles dans les librairies, mais dans un ordre paraît-il absurde.

    Elle tient compte des notes sur les cours des années universitaires entre 1884 et 1891, où s'observe une évolution pédagogique : la matière est la même, en gros, initiation à la langue gothique présente chez Ulfila (“Petit Loup”), et comparaison avec le vieux haut-allemand et le moyen haut-allemand. Or la plupart des étudiants genevois de Saussure n'ont qu'une vague connaissance de l'allemand moderne. Il enseigna aussi à Paris, cette fois sur le latin et le grec, mieux connus des français. Dans ces deux séries de cours, le professeur s'attache de plus en plus au niveau réel de ses élèves, leur fait rédiger de petits exercices écrits. Psichari, gendre de Renan, illustre helléniste, assista à certains de ses cours.

    A travers d'autres vitres dga.JPG

    Revenons à la linguistique : ses notions de linguistiques obéissent à une phraséologie toujours à la lisière de notre compréhension. Synchronie et diachronie, soit. Mais il a fallu poursuivre. Nous en sommes à une feuille analysée par l'érudite Cristina Vallini, aux orgasmes mystérieux, laquelle feuille présente des notes du grand Saussure au dos d'un faire-part de mai 1888. Les notes ne peuvent donc avoir été prises qu'après mai 1888 ; on appelle cela un terminus post quem. “Après lequel”. Quatre lignes d'une prolixité extrême (“Or, nombreux sont les faire-part et autres papiers...”) - nous suggèrent que Saussure faisait exprès de procéder ainsi, afin de bien dater ses écrits (c'est de l'avarice, que je partage ; en effet, rien n'empêche de noter la date du jour, même pour de petites notations).

    Nous avons connu le professeur Fournier qui nous lisait ses notes : sans rapport entre elles, sans le moindre esprit de synthèse, qu'il tirait de ses dossiers ou presque de ses poches sans se soucier qu'elles traitassent du vieux latin ou du grec d'Homère, mais d'une précision, d'une érudition telles que chacun de nous les notait fébrilement à mesure qu'elles sortaient de ses lèvres. Nous nous trouvons ici en pleine archéologie documentaire... Nous suivons la piste d'une recherche ; Saussure laisse des indices : “Le sujet ne comportant guère d'exercices pratiques de la part des élèves, cette conférence a pris entièrement le caractère d'un cours, consacré le mercredi à la Morphologie, le samedi à la Phonétique.” Ce serait donc un cours de morphologie : conjugaison, déclinaison, par exemple. “Mais il y a notamment cette affirmation qui apporte un indice assuré : 1° L'ancien point de vue du guna. Qu'ès aco ? Chant lituanien ?

    Mot signifiant “la femme” ? Désignation d'un accent, d'une intonation ? Comme je maudis le jour où je suis né ! Surchargement de sciences ! Choses obligatoires ! Cours de faculté, où se complaisent tant d'individus supérieurs jusque dans leurs conversations les plus courantes ! Fâcheux engouement d'une Colombienne pour un Suisse, qu'elle tient pour un génie, à l'égal de Freud ! Avec la différence cependant que Sigmund influença le monde occidental entier jusque dans ses comportements, ses réflexions, ses pensées, tandis que Saussure ? Franchement ? Qui va mêler Saussure à sa vie quotidienne, à ses façons de parler, à ses investigations psychologiques personnelles ?

    Personne. Nadie. Ce n'est que depuis une dizaine d'année, <tout au plus>, que la vieille théorie du guna a été définitivement ruinée. Bon. C'était une théorie linguistique. C'est à ces petites choses que se passe la vie d'un philologue, disait aussi Noah Kramer, grand sumérologue. Nous en restons tout pensifs. Oui, cela sert à quelque chose. À dater une réflexion sur un cours. À entrer chez Saussure, dans son encéphale. A pointer le bout de son crayon, sur une feuille, vite, avant que l' “idée” ne s'échappe. Un homme qui vivait toute sa vie pour son cours, sa réflexion, son œuvre. Dont toute la vie était un cours de fac. Disons, un homme qui superposait et entremêlait à sa vie sentimentale, familiale, émotionnelle, une vie d'universitaire passionné, dans un gigantesque pétage de joint de culasse, tantôt séparant l'huile de l'eau, tantôt pataugeant dans le mélange.

    Et non pas de ces hommes qui cherchent à échapper à leurs professions, en les subvertissant, en évitant de les exercer, en trichant, considérant tout de haut, invoquant sans cesse le deuxième, le troisième, le quatrième degré. Ce qui permet de ne pas vivre, de ne pas risquer. Ce faisant, dit la pintade, on risque quand même. On ne vit pas, certes, on ne risque apparemment rien, mais on a payé, en donnant de sa vérité, en détruisant son âme par la confusion du vrai et du faux. Saussure, lui, vit tout, tout au premier degré. Seule Mejía-Quijano se hasarde entre les circonvolutions cérébrales de son chouchou génie, qui ne s'en rendit pas compte, et au nom de Freud ! “Confirmation prise auprès d'un indoeuropéaniste,” (Claudia ne croit pas en l'indoeuropéanisme, je crois), il est clair que Saussure parle ici de son Mémoire en le datant du moment où il l'a présenté, à savoir l'été 1878”.

  • Dis : "Deux rots !"

    Cela commence par des adieux. Ce sont de tendres protestations, à une maîtresse croit-on jamais nul n'en fut sûr, et "mon amie" en disait bien plus à l'époque. Mal m'en a pris de refuser l'amitié ainsi enendue, même en mon siècle... Il est vrai que l'amitié, sexuée ou non, s'accommodait de très longues absences, bien qu'on ne fut guère plus éloignés que d'un poitn de banlieue actuelle à l'autre. Ici, 260 lieues tout de même, à moins qu'il ne s'agisse d'une exagération, car nous serions menés jusqu'au Maroc pour le moins. Or jamais Diderot ne passa les colonnes d'Hercule. Ce sont donc des protestations d'esclavage, alors que Denis, "Dennis" comme disait un cancre à l'oral, exprime le désir chez la femme comme une soumission une servilité, une honte. "Je vous aime comme vous voulez, comme vous méritez d'être aimée" : c'est là flatter la vanité, tendre le bâton pour la dégelée : quelle prétention de se refuser en effet d'aimer pour la raison qu'on ne l'est pas assez, tel est pourtant le reproche que me fit une étourdie imbue de sa personne.

    Or je n'entends pas qu'on soit plus imbu de soi que moi. "...et c'est pour toujours", nous n'en doutons pas, vieux coureur. Il a face à lui, et qui liront ses lettres, une mère, une soeur, un tribunal de femmes, "un petit mot bien doux, bien doux à notre bien-aimée". Ces mièvrerires se retrouvent jusque sur les tabatières, car "n'est pas Boucher qui veut". Les mignardises finales ("comme tout cela va vous faire causer ! je voudrais bien être à, seulement pour vous entendre." Une femme, à plus forte raison plusieurs, ne saurait faire autre chose que de babiller sur les mots d'un grand homme. Combien plus expressive est la narration qu'il a faite plus haut, sur un couple qui ne s'aime plus, mais qui entrave, chacun de son côté, l'amitié envahissante d'un tiers !

    Bouée, touriste et tour dga.JPG

    Nous sommes là en pleine "Nouvelle Héloïse", toute en délicatesse de sentiments, ou dans "Le vie de Marianne", quoique celle-ci soit bien entichée de sa noblesse supposée. Dès qu'il ne s'agissait plus de femmes, Diderot cessait de papillonner. Il s'isolait même, trouvait au travail intensif et prolongé de vrais charmes qui le détournaient bien de ceux des jupons. Il nous parlait tantôt des grands artistes, que l' "Encyclopédie" omettait de citer. Il raillait cette prétention de vouloir se faire connaître, un peu comme Gidons Krëmer. Or, "quelques plaisanteries du sculpteur Falconet m'ont fait" dit-il "entreprendre très sérieusement la défense du sentiment de l'immortalité et du respect de la postérité".

     

    L' Encyclopédie comportait-elle donc des articles réservés aux noms propres ? non. Diderot a-t-il dû rectifier certains écrits ironiques ? Il avait le sens de l'immortalité, qui s'est perdu de nos jours, où le cerveau décomposé de Diderot et tant d'autres ne saurait éprouver quoi que ce soit sans susciter l'incrédulité la plus avilissante. Et la postérité ne s'occupe plus à présent que de "sauver la planète", en attendant la prochaine mode. L'amant de Sophie retourne donc à sa "corvée" littéraire et philosophique, prolongée par nous ne savons quelle correspondance, nous ne savons quel opuscule. Quoi qu'il en soit, dit le ver, les galanteries se poursuivent au sein même des épanchements affectifs, et de la façon cette fois la plus haute : car l'actitivé intellectuelle de notre épistolier se voit stimulée par ce qui pourrait faire "tressaillir de joie la soeur bien-aimé" : Diderot lui aussi aimait l'intelligence de sa du Châtelet, n'écrivait que pour la compétence des dames : "Vingt fois, en (...) érivant [ce morceau], je croyais vous parler ; vingt fois je croyais m'adresser à elle".

    Diderot ne sépare pas les deux soeurs, qui s'aimaient plus qu'il ne convient à des soeurs si vous comprenez ce que je veux dire. Il naît de là de multiples points d'interrogation : les compliments faits à l'une s'adressent-ils à l'autre ? Sophie goûte "des choses justes justes, sensées, réfléchies", sa soeur "des choses douces, hautes, pathétiques, pleines de verve, de sentiment et d'enthousiasme". Et pourtant ce serait l'"intellectuelle" qu'il préférait ? Si Diderot ne touchait pas la plus sensuelle des deux, celle que ses inclinations portaient nettment à l'intérieur de sa propre famille, comment pouvait-il baiser la plus philosophique et la plus réfléchie, Sophie, justement ?

    Etait-il donc aussi médiocre au lit que Mme du Châtelet le disait aussi de Voltaire ? A-t-il dû ses succès charnels à des raisonnements poussés ? L'autre, la pure lesbienne, lui semblait-elle trop fantasque, trop débridée, trop (lâchons le mot) nymphomane (trop "nymphe à femmes") pour pourvoir être aimée, baisée, admirative, chevauchée ? Commentaires bien traîtres, puisqu'ils me trahissent, et trahissent mes propos, ce qui signifient les explicitent du plus sincèrement qu'ils peuvent. Trahir signifie don aussi son contraire : mot per lui-même bien traître en effet. Diderot lui-même ne sait plus trop "où il en est", comme il le disait de ces deux ou trois amants des deux sexes à la fin de sa lettre précédente.

    Mieux vaut donc en effet rompre et bifurquer (à la ligne) au profit de son "goût pour la solitude" qui "s'accroît de moment en moment". Diderot laisse croître sa barbe "tant qu'il (...) plaît" à cette dernière. Il sort "en robe de chambre et en bonnet de nuit, pour aller dîner chez Damilaville" - porte en face espérons-le. Damilaville était celui qui souvent transmettait les lettres de la campagne à Paris et réciproquement...