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  • Ca ne sert à rien

    Fenêtre des chiottes à bord.JPG

    Van Gogh de Pialat me fait chier. je vois mal Vincent faire des plaisanteries de cul sur la saucisse de Toulouse. En plus, il s'est battu avec la fille du Dr Gachet, le coup est parti, et tout le monde à Auvers a étouffé l'affaire. Camping Paradis me fait chier, Dubosc est le plus vulgaire de tous ceux que je connais, car il s'imagine faire semblant, alors qu'il l'est en réalité, par lui-même. Je le trouve gluant, visqueux. Et puis j'ai crevé en entrant sur un trottoir bien haut, bien tranchant, face au guichet externe d'une banque. Nananère. Et ce que je dis est sans importance, on est des milliards à se faire chier ou à profiter de la vie, c'est incroyable que cette petite cage à hamster puisse continuer ainsi à vibrionner autour de nous sans qu'on y soit pour rien. Fin de la philosophie à deux balles. Salut les gens. Foutre. Jean-Foutre.

  • Quai de gare et cinéma

    Jojdh et Arielle se retrouvent sur un petit quai de gare, Charlène a rejoint l'Arlésienne dans ses gazes. Moi, Jojdh, Fier-Cloporte, me trouve dans un cercle de brillants universitaires qui cette fois choisissent de parler ensemble. Je ne suis pas au centre de ce cercle, ni en limite de circonférence, mais j'aime bien d'un grognement ou hochement de tête montrer que je suis, qui je suis, un parmi les autres. Et lorsque le train arrive, vapeur en tête ! rien ne me surprend. Même sa forme ronde de vache grosse ne me cause pas le moindre émoi. La grosse dame y prend place Où partez-vous ? - Ligne frontalière » répond-elle, et avant que moi, Jojdh, j'aie pu reprendre la discussion de mes voisins sur Homère ou les moules, voici tout le groupe bien vêtu qui m'entraîne à l'intérieur du wagon sans cesser de papoter, trop tard pour réclamer ma valise archaïque au beau milieu du quai, toute seule et risible.

    Me voici sans plus rien à lire, tout était là. La compagnie se rend à Borte-Folle, bourgade au bord d'un lac boueux, qui déborde. La poitrine déborde aussi de la grosse universitaire, qui prend cela comme un accès de gaieté dans le discours de Chubre, maître de conférence : « Ici se trouverait l'un des nombreux emplacements sacrés où Jean-Jacques Rousseau rencontra Mme de Warens. » Mais c'est faux. Archi-faux. La balustrade plaquée or qui empêche de fouler l'herbe indique un lieu inexact. Ce fut le long du bâtiment, sous un petit appentis. Un appentis sorcier. Chubre explique mal, d'une voix blanchie par le Lexomil. Chacun patauge consciencieusement dans les prairies honorées par les pas des deux tourtereaux qui jouaient à l'inceste, et qui jouissaient à l'époque d'un terrain sec, car pour nous, la boue monte à mi-mollet. C'est décidé, je quitte ces lieux crottés, me concentre à fond, dans la claire conscience de rêver – miracle ! Ma valise revient entre mes mains, le terrain se dessèche sainement, et me voici dans « une situation la plus agréable du monde », sicut fabulis dicitur, car une jeune femme bonde, mince et distinguée, se presse sur mon cul en se frottant à la petite cuillère, me retourne, me met sa langue en bouche au comble de la reconnaissance et me rappelle qu'une femme peut parfaitement se ruer sur un homme pour en tirer du plaisir.

    Je reprends mon souffle et présente mes excuses, comme si j'avais été vulgaire, mais elle me sourit, heureuse. Mon plus grand regret de la vie, à l'instant de mourir, sera de ne presque pas avoir connu les femmes, de ne leur jamais avoir fait suffisamment confiance, non plus qu'à moi, d'avoir si rarement lu le plaisir dans leurs yeux ou sur leurs paupières. Même en moi, tu as peur des femmes. Et pas seulement de toi, mais de toutes. Et le 52 05 10, le voyage se poursuivit comme ceci : j'étais avec ma chère fille et ma chère femme dans un hôtel, cette dernière faisant chambre à part. Avec ma fille, lit séparé, mais ce n'est pas très confortable. Toujours est-il que mon épouse, à travers la porte ouverte, me gratifiait de ses plaintes sur son eau trop chaude (pas de douches en ce temps-là !), des chuintements grésillants de transistor à piles (mélodies à deux balles).

    Nous étions en retard. Vous savez que dans les hôtels, il faut avoir déguerpi à 11h ! dans les petits, ceux d'autrefois, ceux qui n'avaient jamais entendu parler de normes européennes, aux temps bénis où l'on pouvait voyager, à 136F (25€ ) la nuit. Où les vieux robinets à pas de vis pouvaient goutter sans provoquer l'inspection générale des installations sanitaires… En Bavière, c'étaient déjà des prix effarants, à tant non pas la chambre mais à tant le touriste, alors qu'il est sans exemple qu'un couple coûte plus de dépense qu'une personne seule au requin d'hôtelier. Mais les Bavarois sont des gens riches. Et nous étions, en famille, à Munich cette fois. Ma fille et ma femme étaient la même personne, oscillant de l'une à l'autre, ce qui n'étonnera que les ignares, vous savez, ces analphabètes qui vont beuglant que les rêves, c'est que des conneries. Le train s'arrête à Munich et ne repart plus. Nous n'avons plus un centime, l'auberge où nous sommes descendus nous fait crédit, tout le personnel parle un français impeccable. C'est l'heure du cinéma, l'employé me demande si je la préfère à l'ancienne, sur écran devant moi, ou bien, juste dans mon dos, sur écran vidéo : je n'aurais qu'à tourner mon siège. Devant ou derrière moi, de toute façon, trois rangées de grosses têtes me bouchent un bon tiers de la vue. Que faire ? Ce que l'on fait en cas d'incertitude : on se rend en grande pompe aux Toilettes.

    Les chats indécis se passent la patte sur l'oreille ; certains humains vont aux chiottes pour s'éclaircir les idées en se vidant la vessie. Adoncque, voici les toilettes du grand hôtel de Munich : inutile de la cacher, elles sont honteusement insatisfaisantes. Leur étroitesse n'a d'égal que leur frusterie : juste un trou à la turque, avec les fameuses semelles en ciment contre le dérapage. Très sec en tout cas, très propre. Ni dégoulinade ni suintement. Et quand j'en ressors, je me dirige vers l'une ou l'autre des aires de projection, j'entends d'images. Mais j'emporte avec moi un chef-d'œuvre de technique (« technologie » pour les pédants) : un clavier, un écran personnel. Cela me permettra de rédiger « sur la bête » ma propre critique cinématographique.

    Jetée P.JPGD'autres spectateurs, je devrais dire semi-spectateurs, procèdent comme moi : ils ont les yeux fixés tantôt sur leur nombril (je ne sais ce qu'ils dactylographient) tantôt sur la séance publique, offerte par le Gasthaus. Pourquoi ne pas adopter le sans-gêne si largement répandu. Mais en voici pourtant une forte limite : une forte femme, retardataire, s'assoit à trois places de moi, écrasant de ses cartilages une mince jeune fille qui se met à protester : elle peut le faire, tout le monde s'étant enfoncé dans les deux oreilles ses écouteurs. Je bourre donc les miens bien à fond dans le conduit auditif. Ils correspondent, ceux-là, au film qui défile sous mes yeux. La séquence en cours propose un père de famille qui déclare comme ça, tout de go, son intention d'emmener son fils au cinéma porno : « Je repasserai le prendre à la fin de la séance », à condition peut-être pensai-je à part moi de ne pas le tenir par la main.

  • C'est l'histoire d'un pédé

    C'EST L'HISTOIRE D'UN PÉDÉ Météo de biais P.JPG

    Les pédés de l'époque étaient flamboyants. Ils jouissaient d'un prestige qui n'avait pour égal que leurs persécutions. Trois d'entre eux nous marquèrent à tout jamais. Lawrence d'abord, mi-anglais mi-basque, mais authentiquement français précieux. Kérane, british, lui, jusqu'aux ongles, toujours suivi d'une jeune femme blonde qui faisait tout ce qu'elle pouvait pour paraître lesbienne. Et Philippe-Michaël Noël, flamboyant comme son nom l'indique, méprisant les noms du vulgaire. Il était du dernier chic et de la dernière indécence d'être pédé. On ne disait pas « homo », qui fait « socialement correct ». En ce temps-là, tout pédé se devait de se faire emmerder dans la rue, molesté, rudoyer.

    J'ai tenu deux-trois fois Lawrence sur mes genoux, et nous avons flirté, sans plus, au-dessus de la ceinture. Mais je ne le désirais pas : trop malingre, trop sauterelle. Et puis, c'était l'amant de ma femme. Plus tard j'ai répandu la légende que mon épouse s'était fait engrosser par la muflerie de « mon mec à moi » : nous aurions formé un « ménage à trois ». Il n'est rien de plus faux. Un soir Lawrence, de retour d'une boîte à tantes, m'engueula comme du poisson pourri : toute la soirée j'avais flirté avec un coiffeur, jusqu'au langue-en-bouche, ce que l'on appelait jadis des « baisers pigeonnants » ; nous étions à côté des chiottes, où les quatre gouines camionneuses se pelotaient comme des dingues.

    Revenu chez nous, à quatre en comptant Arielle, mon coiffeur aimerait monter au troisième pour nous envoyer en l'air. Je demande la permission à ma femme, comme cela se faisait entre faux révolutionnaires. « Ce sera vite fait ! » Mon épouse ne voulut jamais y consentir, car pour elle, coucher avec un homme, c'était tromper. Mon Figaro monta au troisième en sanglotant très bruyamment. Et le lendemain matin, donc, notre Lawrence me reprocha vivement cette attitude de lâcheur. « Mais il ne pouvait pas repartir avec un autre homme ? - Ma foi non ! Comme il était entrepris par toi, personne n'a voulu vous déranger ! » Telle était la coutume, et je l'ignorais, ou plutôt je feignais de l'ignorer.

  • La grande librairie

    Droite et brisée P.JPGQuand Péter Handke (obstinément prononcé "ande-queue") et Wim Wenders s'amènent dans la Grande Librairie, le respect s'invite. Effacées les deux gonzesses de service, toutes les deux maquillées à la Notombe. Carrière a quelque chose à dire. D.O.A. m'a paru sympa, plus décontracté, moins mannequin figé et pomponné que les autres. Mais son recours à l'actualité (Tuil, pareil) dérange. Nous n'aurions donc plus besoin du roman, car la réalité le dépasse de toute part. Le roman sera-t-il affaire de cartomanciennes ? (l'autre femme, plus vulgaire, qui fait le numéro du caniche ? avec des pirouettes de jeux de mots de redoublants de seconde ?) Alors,Handke, Wenders, Carrière (né en 1931, vraiment ? 85 ans, ce mec ? Incroyable), d'accord. Je suis vieux, je ne comprends plus que les vieux.

  • Sexe et ventre

    Je crains profondément désormais tout acte sexuel : comment peut-on se montrer jamais à la hauteur du désir d'une femme, de ce qu'elle se sent en droit d'exiger ? "Ça n'te vient pas à l'idée que j'peux aussi avoir des b'soins ?" glapissait une actrice (repoussante, mais infiniment préférable aux répugnantes restriction de Mme G. sur papier parfumé : « À 70 ans, rendez-vous compte, il a encore besoin de ça" – comme on a envie de chier, n'est-ce pas, de faire ses besoins). Le sexe répugnant, ou obligatoire. Arielle et Benoît partent souvent fumer dans le jardin clos de Pascaline. « Peut-on vivre sans vie sexuelle ? » demandait Benoît ; inondé de Dunhill for Men, haleine rectifiées aux pastilles de menthe.

    Vaste horizon P.JPG

    Comment puis-je désirer ce vaste abdomen d'homme, sanglé sous la ceinture par d'ignobles chemises à carreaux, dont le ventre dégouline comme un goître ? Sa main effleure mon épaule tandis que je déchiffre, assis, ses partitions. Je le dis à Djanem qui s'indigne, à bon marché, et à tort, de mes nombreuses conquêtes des deux sexes (cliché du Noir à braguette ouverte, sexe latéral en tissu très doux ; nombre incalculable de femmes branlées devant cette photo. Et moi-même… (Ce serait mieux avec un Noir. Pas tout à fait un homme. Abjection raciste).

     

    DERNIER ÉPISODE

    Invité à Dieu sait quel entretien confus, à l'église, où des chrétiens dans l'ombre s'entretiennent de vieilles choses d'amour et de poussière : aide aux déshérités de Port-au-Prince, bonnes œuvres de part et d'autre. Projections, conférences et comptes-rendus. Les ponctuations d'orgue prodiguées de la tribune par Benoît, d'abord du Bach aux BWV barbares, au centre du débat quelques mesures encore, et dispersion sur fond d'improvisations. Torrents et dégoulinades. Je suis arrivé trop tard, aux premiers fidèles descendant le perron extérieur, Asiatiques, tandis que Benoît descendu sur terre devisait parmi ses amis. "Ne t'avais-je pas dit" (délaissant ses disciples) "que c'était à huit heures ?" Je détournai, n'étant sorti de chez moi qu'à neuf heures, m'étant fourvoyé par la Barrière de Plassac : "Je trouverai un raccourci" - pari hasardeux en pleine nuit.

    A droite, à gauche, angles droits, angles rentrants – je tourne en rond. Descendu de voiture dans le froid, plan illisible sous les réverbères. Mon premier passant est un Espagnol, incapable de dire "à droite" ou "gauche" autrement que par la direction des mains. Mon second est anglo-saxon, l'haleine aux vins de France : « C'est très loin, paw-là, one kilometer ». Beau raccourci. Je longeais les murs, revenais sur mes pas, sans me presser désormais. Lorsque je suis entré à St-Niklaus, je fus saisi par le berceau de voûte orné de motifs picturaux, tandis que les arceaux se succédaient, coupés à la corde par de minces barres de fer rouillé. Mes regards s'abaissèrent sur ce groupe feutré de bigots et gotes.

    Je me suis présenté sous mon vrai nom, j'ai serré sa main molle à Benoît qui répétait « C' est fini ». J'étais gelé. Ses interlocuteurs se sont éloignés, et je suis resté seul, m'informant sur ses jeux : « 8-4-2, 2-2, rien que de très classique". Je n'y connais rien. Il se refond à la dizaine de fidèles qui l'accompagnaient. Il n'était pas coupé de tout contact humain. Il faisait le charme d'une compagnie, confiant peut-être que je diffusais ses œuvres à l'antenne. Il ne m'avait pas écouté ce soir-là, solllicité par ou noyé dans ses répétitions. Il priait son Dieu. Plus tard, il me rejoignit sur une place sous la lampe où je m'étais perdu plan en main tu ne peux pas m'aider lui dis-je, il me quitta pour son chez-soi de son pas corpulent. Je ne suis pas responsable de lui. La pitié ne doit pas me guider. Ma mission n'est que d'observer, d'imaginer sa gloire pour ne pas perdre mon temps, alors que, n'est-ce pas, "c'est le temps qui nous perd".

    J'étais content d'avoir appris cela, sans plus me croire obligé de combler à moi seul notre vide ou nos vies intérieurs.