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  • La femme de trente ans

     

    Meilleurs vœux à tous. Fröhlicher Rutsch ins neue Jahr. “La Femme de trente ans” de Balzac fera les frais de nos pensées. Bizarre; bizarre, d'aller ainsi déterrer, alors qu'il paraît tant de choses. Mais justement, il ne paraît rien, et Balzac est éternel. “La femme de trente ans” n'est pas l'histoire d'une femme qui renonce, c'est celle d'une femme à qui n'arrive que des malheurs, des super-tuiles, pour n'avoir su refréner ses passions. Que ce soit avec son père, son mari, son amant, ses enfants, elle ne peut qu'échouer. Tout est recommencement. Balzac inlassablement reprend une introduction, décrit les détails, lance une intrigue, se laisse aller aux échevèlements : on trouve un officier de l'Empereur, un pirate qui tue, une mère qui crève en roulant des yeux.

    Puis, passé le malheur, la mort ou la tempête, tout tourne court. Tout fonctionne par secousses électriques : un flash sur tel épisode, “dix années passèrent”, un flash sur tel autre, “cinq ans plus tard” - chacun de ces épisodes éclairs visant à démontrer la constance, l'acharnement de Dieu ou des lois naturelles à toujours punir de la même façon celle qui une fois s'est rebellée contre l'ordre providentiel. Le lecteur éprouve l'impression de kaléidoscope, dont la seule unité est le fort personnage de Julie d'Aiglemont, réincarnée dans sa fille. Contraste saisissant avec “Le Lys dans la vallée”, où Félix de Vandenesse béait aux pieds de sa Mortsauf ; le frère de ce Félix détruit le respect d'une fille envers sa mère.

    Météo sanguinaire.JPG

    Sa mère a dépassé trente ans depuis longtemps et meurt. Cela commence par une scène, de parade militaire. Tout est amoureusement décrit, la mécanique de la revue, le fringant de l'officier, le battement de cœur d'une fillette de seize ans qui serre convulsivement le bras de son père mourant. Tu veux cet officier ? Tu l'auras. Mais je prédis qu'il ne sait pas baiser, qu'il est toujours joyeux, toujours creux, toujours vide, la caricature du militaire. A présent débrouille-toi ma fille, ton destin est scellé, rue de Rivoli. Ton père mourra, tu lui échappes, il n'a rien pu t'inculquer, il fut sans défense devant ta beauté, ton œil noir et tes seins bandés.

    Comment Balzac a-t-il connu cela ? Il a été femme ; il a su les humeurs de ces êtres, bien plus lointains aux temps où tout les séparait de l'homme, où leur tribu n'était pas encore envahie par le sirop Teisseire. Elles étaient sensibles encore à l'uniforme. Elles faisaient des dialogues, et l'espoir brillait dans leurs yeux. Et les pères se tenaient discrètement en arrière. La tyrannie n'a existé que par à-coups. La bourgeoisie du cœur humain s'est toujours exprimée, les souffrances demeurent d'âge en âge, et Napoléon n'est guère lointain, et nous ne faisons plus de parades fascistes.

    Inoubliable premier tableau, sous le signe du pourpre ! Non, ce n'est pas une variété de pieuvre.

    VANDEKEEN “LUMIERES, LUMIERES”

    BALZAC “LA FEMME DE TRENTE ANS” 41 01 04 II

     

     

     

    Nous divaguons sur “La Femme de trente ans” de Balzac. Nous feuilletons les pages, nous états-second/s. En ce temps-là, nous avions des lanciers polonais, nous bousculions toute l'Europe. La musique frémissait, le silence lui-même retentissait de gloire. Et nom de Dieu, c'est comme si nous étions là, juste avant que l'Empereur, ce con envoyé par nous-mêmes, ne se ruât sur la Russie, sur une proie trop grosse pour son ventre grassouillet. Sinistres auspices, ô petite reine de seize ans ! Irons-nous beaucoup plus loin ? Lisons :

    “Cet officier montait un superbe cheval noir, et se faisait distinguer, au sein de cette multitude chamarrée, par le bel uniforme bleu de ciel des officiers d'ordonnance de l'empereur. Ses broderies pétillaient si vivement au soleil, et l'aigrette de son schako étroit et long en recevait de si fortes lueurs, que les spectateurs durent le comparer à un feu follet, à une âme invisible chargée par l'empereur d'animer, de conduire ces bataillons dont les armes ondoyantes jetaient des flammes, quand, sur un seul signe de ses yeux, ils se brisaient, se rassemblaient, tournoyaient comme les ondes d'un gouffre, ou passaient devant lui comme ces lames longues, droites et hautes que l'Océan courroucé dirige sur ses rivages.”

    Voilà une description de l'homme qui plaît. Bizarre : l'aspect n'est que le reflet de l'âme et des capacités. Nous jugeons encore sur la mine. “Que si un homme me présente un côté crétin, puès, approchons-le par ce côté.” La mine est un miroir de l'homme. Quitte à l'approfondir. Et de ce père qui entraîne sa trop jeune fille, de cette fillette enamourée à l'excès, nous savons qui désormais incarne le pressentiment bien fondé de la vieillesse. Le ver est dans le fruit. Le fruit sera rongé. L'homme qui souffre a raison face au dédain des jeunes personnes, qui voient mourir sans un regret l'encombrant rejeton des générations précédentes.

    C'est la même histoire de puis Molière, et nul gendre futur ne trouve grâce aux yeux du père. Et puis voilà. Saute dans le temps. Nous voici, forcément, au milieu de la Touraine, et vogue pour une autre description, pour un autre début de roman. Un amant rôde, nous sommes à la campagne, la femme fut abandonnée. Notre titillation romanesque se met en branle, ce qu'avait dit le père se vérifie. Le roman mal bâti ? Plusieurs départs ? Qu'importe ! Nous voulons la misère du monde, nous voulons être flattés, nous le serons, nous l'aurons. Roule, Balzac. Décris-nosu Vouvray.

    Sois hors sujet. Prouve-nous que tout est dans le sujet, que tout s'y ramène. Digresse et charme-nous. L'homme n'a pas encore trompé sa femme. Mais tout y mène. La femme est mal baisée, c'est un début. Elle reste insensible aux charmes de la Touraine : mauvais signe. Et puis, entre temps, voyez-vous, l'Empire s'est écroulé.

    Ces Anglais sont partout, beaux, jeunes, blonds, le teint rose. Et les destinées suivent, cahin-caha. Rien à voir avec la France de Balladur. Des choses changent – en ce temps-là, parfois, les choses changeaient. Des hommes passaient, d'autres étaient jaloux d'eux.

    Ils étaient militaires. Les mèches partaient vite. On se battait encore pour des femmes. On montait à cheval. C'était le romantisme. La vie n'était pas confisquée par Poivre d'Arvor. Il y avait encore des restes de Louis XVI. Toutes les époques s'étaient mêlées. Vous en apprendrez plus sur l'histoire de votre pays en lisant les romans. Et les vieux une fois de plus savaient tout. Reviendra-t-on aux temps de l'ordre ? Entre la tante du militaire et la jeune femme du militaire vont se nouer les liens d'une amitié de mère à fille qui toujours émerveillent chez ce gros homme, Balzac; le même qui voulait faire fortune en cultivant des ananas en plein Paris, le même connaissait les âmes des femmes.

    C'est la Comtesse de Berny qui lui a tout dit. Que c'est étrange, un homme qui n'est pas misogyne. Ça existait donc ? Et la vieille apprivoise la jeune. En ce temps-là, les romans traitaient de psychologie. Tout vous était expliqué, il n'y avait pas de revolver, et l'on se disait : Oui, c'est bien cela, c'est bien ainsi que les choses se passent dans l'âme. Des âmes toutes feutrées, à qui l'on n'avait pas fait croire qu'elles pouvaient être violentes gratuitement, ou quoi que ce fût gratuitement. Il y avait dans les romans des crépuscules, des femmes au bord de la fenêtre, et des cavaliers qui passaient dans l'ombre.

  • Que n'ai-je pas lu mon Dieu mon Dieu...

    Je n'aime pas revenir sur mes anciennes lectures, fussent-elles complètement oubliées, depuis 2007 (54 Nouveau Style). Nicole Humbrecht, que je rechercherai sur Google, se livre à une critique d'Aristide Dey, ce qui prouve l'impossible du salut individuel. A moins que le moi ne soit qu'un composé de moi antérieurs. Qui tel un liquide fluidifierait d'une âme à l'autre. "Plus qu'une histoire de la sorcellerie limitée au Comté de Bourgogne, c'est un schéma au niveau national que tente d'expliquer A. Dey" : Comté diffère de Duché, comme Vesoul et Pontarlier de Dijon. "avec l'étude des mécanismes qui ont favorisé son extension tant sur le plan sociologique, comme la misère des paysans, que sur le plan politique, la toute puissance de l'Eglise". J'enseigne, et je suis enseigné : il existait deux entités bourguignonnes, mais, chère Nicole, église au sens social prend une majuscule. Rien d'autre n'est original dans cette amorce. Nous avons lu de semblables choses concernant le Bazadais. La correction n'a pas été faite : il est question plus tôt du "comté Bourgonge", sic. "L'appareil judiciaire qui fut mis en place pour réprimer cette épidémie y est aussi judicieusement analysé." Ne nous étonnons pas, nos mécanismes sont restés les mêmes, et nos mentalités se manipulent encore en toute hystérie. Le cerveau est matière fragile.

    La rambarde et le golfe.JPGNous parions volontiers que Nicole a ici gagné ses galons de bonne élève, sous la supervision de l'omniprésent Olivier Husson. Vérifions : elle appartient à la société des psychanalystes de Paris. Rien ne me renseigne sur sa vie. Elle écrivit (et je la lis) dans cette revue "Frénésies" traitant de la folie féminine, dont la sorcellerie fut une composante fantasmatique de la plus dévastatrice puissance. Les hommes en furent aussi victimes. La vie sauve en ces temps reculés dépendait d'un conformisme sans faille, voire intériorisé. "Des nombreux points forts de l'ouvrage, nous avons noté surtout les référenes à la maladie mentale, et son évolution à l'époque" : laquelle ?

    Ce n'est pas au Moyen Âge, contrairement aux idées reçues, mais aux XVIe et XVIIe siècle, que la raison fut le plus persécutée, tant elle était effrayante : Renaissance et Classicisme d'un côté, superstition meurtrière de l'autre, en réplique. "Après avoir cité Esquirol" (1772-1840) "(Dictionnaire des Sciences Médicales), il reprend sa thèse en nous indiquant que les sorciers et sorcières agissent sous l'influence de l'obsession d'une idée fixe altérant les fonctions du cerveau :" - c'est ainsi que nos braves soviétiques expédièrent les chamans dans les asiles ; mais je ne sache point que les chamans allumassent des buchers) -"la justice ne frappant alors que des victimes innocentes et résignées".

    Dirions-nous "hébétées" ? N'y aurait-il donc existé aucunes protestations, aucunes scènes de désespoir, avec invectives et malédictions ? "Les pauvres victimes ne sont le jouet que d'hallucinations collectives et de contagion" : ils seraient donc le jouet d'autres choses ? il faut dire, Nicole, "ne sont que le jouet", "poussées par le désir de sortir d'un monde de misère par la porte du fantastique". Mais d'une part, la croyance des inquisiteurs ne relevait pas d'une autre épidémie que la leur ; d'autre part, la notion de fantastique ne correspond à rien pour ces juges et victimes, ou plus exactement ces deux sortes de victimes (les unes tuent, les autres s'imaginent nuire).

    Il faudrait distinguer les sorciers et cières avérés, se revendiquan tels ou telles, et les sorciers malgré eux, qui nient farouchement. C'était leur vie dans son ensemble, et la superstition ne sauve pas de la banalité ou de la misère, elle n'en est qu'un aspect. "Mais raisonner de la sorte, c'était sans compter le pouvoir ecclésiastique et médical." Même en faisant d'ailleurs intervenir ces critères, c'est rabattre sur la trop simple dialectique sociologie ce qui est substrat d'un imaginaire collectif. Il serait fallacieux d'attribuer à la Faculté ou à l'Eglise le dessein conscient, formulé, de diviser pour régner par la terreur. Tous ici s'engluaient dans le même tourbillon.

    "L'Eglise" (nous rétablissons la majuscule : décidément, perseverare diabolicum) refusant de laisser échapper ses "ouailles" se fit plus rigoureuse" - mais elles ne s'en étaient absolument jamais "échappées " ! ah, Nicole...

  • Purée antique et moderne

    Les fauteuils.JPGSuivent cinq vers touffus comme des taillis : "Qui voit à cheval Majorien méprise le fils de Léda, Ledaeum spernit" : d'abord, "Majorien" ne figure pas dans le texte, mais "celui-ci" ; geste de l'orateur, que nous rendons par ce rappel. Quant au "fils de Léda", c'est Castor, bien sûr, frère jumeau de Pollux, car nous quittons une référence mythologique pour une autre comme nous tomberions de Charybde en Scylla ; ce Castor fut et reste excellent cavalier, ainsi que "le jeune héros aimé de Sthénébée" – vous avez tous, amis cruciverbistes, reconnu le grand Bellérophon, tueur de monstres, "à qui l'antiquité accorde comme monture le cheval ailé", Pégase sans aucun doute ; ainsi plus tard saint Michel ou saint Georges triomphèrent-ils de leurs dragons respectifs. Bellérophon "triompha, dit-on, de la chimère de Lycie, supprimant d'un coup trois existences" – ah, pour le coup, notre érudition flanche, et nous nous passerons d'apprendre le nom de ces trois victimes : il est à supposer que la chimère était enceinte ou grosse, mi-animale mi-humaine. "Si les destins t'avaient fait naître alors, Vitam tum si tibi fata dedissent, intrépide Majorien, tu n'aurais pas permis que Castor connût les rênes" (de cheval), "Pollux le ceste" ("Castor et Pollux, le retour"), "Alcon les flèches" – esclaffez-vous, potaches : il existait bel et bien un héros affublé du noble nom d'Alcon, ancêtre d'Alcide alias Hercule, à moins que ce ne fût l'illustre athlète lui-même, "sur lequel ont couru maintes rimes légères" : en ces plaines arides hantées de carton-pâte, il faut bien que jeunesse s'amuse, et que vieillesse pouffe. YASS ! "tu aurais ridiculisé les trophées de Bellérophon", ce beau scalp de chimère ("Le scalp de la Chimère", beau titre) – c'était me dit sainte Wikipédie le fils de Glaucos et le petit-fils de Sisyphe, lequel engendra tous les Atrides.

    Après tout, ces embouteillages mythiques n'annoncent-ils pas les nôtres, encombrés de Démocratie, d'Egalité des chances et de Communauté internationale, mamelles imaginaires de nos logorrhées contemporaines. Pourquoi nous mentons-nous ? Ces grands noms usés, liés entre eux par tant d'inextricables liens de parenté, n'étaient-ils pas aussi riches en résonnances, en espoirs et méfiances, en sujets de dissertations, que nos concepts modernes ? Savons-nous de quels rêves étaient tissés les cerveaux anciens ? Ces éloges excessifs étaient passés dans les mœurs. Nul n'y prenait plus garde. Nous croyons encore fermement, bien que notre foi vacille, en nos idoles ; un jur viendra où nous n'y croirons plus : "Saisit-il le bouclier ? Il l'emporte sur le fils de Télamon" (le grand Ajax) qui défendit contre la torche d'Hector, qui (...) contra Hectoris ignem (...) defendit – au milieu des vaisseaux grecs, la flotte même d'Ulysse, malgré sa perfidie".

  • 817 à 830


    817.  L'autre Jeanne  - Un sacre plus brillant que le plus beau sacre royal. Quelles hautes flammes l'éclairent ! Tu seras reine, Jeanne, reine auprès des saintes martyres. Reine pour tous ceux qui, comme toi, comparaîtront, devant des juges de politique et de vengeance, dans la solitude et le désarroi, et sauront que tu es près d'eux. Reine de tous ceux que l'on tue injustement, aux quatre coins du monde. Reine des peuples qu'on opprime, reine des vaincus qu'on bâillonne, reine des prisons, reine des supplices, reine de la foule des libertés qui n'en finissent pas d'être tuées et de renaître, reine de l'esprit intraitable. Reine, voici le jour du sacre. Voici la foule rassemblée. Voici sur toi les yeux du monde. Voici le prêtre avec son livre. Voici l'ampoule et la couronne.
    Jeanne : Voici la mort. Je n'ai que dix-neuf ans.
    L'autre Jeanne : Jeanne, je t'appelle à ton dernier combat. Reprends l'habit qui convient au combat. Reprends l'habit d'homme.

    Thierry MAULNIER 

    Sillage.JPG


    "Jeanne et les juges" scène XI

        818.  Affanassi Ivanovitch n'avait jamais caché qu'il était un peu poltron, ou pour mieux dire qu'il avait à un haut degré le sentiment de la conservation.

    DOSTOIEVSKI
    "L'idiot" 1è partie ch. IV

        819. Il y a tant de choses qui peuvent prêter à rire !

    id. ibid. 2è partie ch. II

        820.  La compassion... est la principale et peut-être l'unique loi qui régisse l'existence humaine.
    id. ibid. ch. V BERNARD COLLIGNON    CITATIONS    III   58


        821.  L'amour de l'humanité est une abstraction à travers laquelle on n'aime guère que soi.

    DOSTOIEVSKI
    "L'idiot" 3è partie ch. X

        822.  Un des slogans du fascisme : "Eïa, eïa, eïa, alalà..."

    Emile CADEAU
    Article sur Mussolini, p. 15 du TELERAMA n° 948, du 17-3-1968

        823.  Le corps humain est le plus haut symbole de la beauté.

    Isadora DUNCAN

        824.  Il y avait eu immédiatement un accord entre le pays et moi. C'était un univers à ma mesure et qui pouvait être entièrement mien. J'avais atteint mon idéal : j'étais sur l'Acropole de la beauté. Il n'était plus question de peindre, mais d'être heureux ; de fixer le bonheur, et non les couleurs.

    Roger PEYREFITTE
    "Les amours singulières"
    "Le baron de Gloeden"
            

        825.   L'excès même de mon admiration me réduisait peu à peu à l'impuissance.

    id. ibid.
        826.  Tout est pur aux purs.
    d'après L'Evangile.
            Roger PEYREFITTE
            Les amours singulières - "Le baron de Gloeden"

        827.   Lucile s'arrêta de rire : elle ne faisait rien de sa vie, elle n'aimait personne. Quelle dérision. Si elle n'avait pas été si heureuse d'exister, elle se serait tuée.
            Françoise SAGAN
            La chamade
            Ie partie "Le printemps' ch. III

        828.    Pour qu'un homme et une femme s'aiment vraiment, il ne suffisait pas qu'ils se soient fait plaisir, qu'ils se soient fait rire, il fallait aussi qu'ils se soient fait souffrir.
            ezd. ibid.     ch. XVI

        829.    Pour juger, il faut comprendre. Mais si on comprenait, on ne jugerait pas.   
            André MALRAUX    
            Les conquérants

        830.     Mais je répète que, si nous ne pouvons comprendre la Providence, il est difficile que l'homme porte la responsabilité d'une incompréhension dont on lui fait une loi.
            DOSTOÏEVSKI
            L'Idiiot  III - VII

  • Till Eulenspiegel

    Que veut dire "Ulenspiegel" ? Assurément pas "le miroir à la chouette", comme semblent l'indiquer les illustrations traditionnelles, mais la déformation de deux mots flamands signifiant "votre miroir", à en croire De Coster, qui a réutilisé le personnage. Notre bouffon belgo-international présentait en effet un miroir à chacun de ses interlocuteurs, tel un nordique Socrate, et prétendait révéler les gens aux gens.

    L'ouvrage qui vous est présenté remonte au milieu du XIXe siècle, et fut écrit par De Coster donc, Belge bilingue, en mémoire d'un héros remontant au début du XVIe. Nous tous qui avons fait des études germaniques conservons en mémoire ce facétieux personnage, ne répugnant pas aux plaisanteries scato, mais plein de rires, de grivoiserie et de bon sens.

    Bernant toutes autorités, médicales, religieuses, juridiques, recevant au besoin maints coups de bâton, mais avec les rieurs de son côté, toujours prêt à s'en tirer, même parfois vaincu, par une pirouette. Il n'est que de se rappeler le pari qu'il fit d'apprendre à un âne l'art de la lecture, puis menant sa bête devant un livre et lui montrant alternativement deux lettres, lui faisant braire "I-A, I-A". La farce peu fine où il fait goûter à des juifs (en toute innocence du XIXe siècle) des crottes qu'il prétend être des truffes conférant à ceux qui les mangent des pouvoirs divinatoires se retrouve dans l'ouvrage de notre Belge amoureux du passé. Mais c'est à peu près la seule de ce tonneau, et les nostalgiques de l'exactitude textuelle doivent se reporter aux illustrations de la collection "Récits" parue en 1956 (2003), introuvable, est-il besoin de le préciser.

    Les premiers chapitres sur l'enfance (on dit en matière de légendes "les enfances") d'Ulen- spiegel nous réjouissent et nous agacent à la fois par la fraîcheur faussement retrouvée des légendes du quinzième siècle, si proches par leur ton du Roman de Renart. De Coster a su merveilleusement retrouver le parfum de cette langue, juste ce qu'il en faut pour que cela demeure compréhensible tout en restant dépaysant. L'agaçant consiste en ce parfum de déjà vu de toutes ces farces issues de fabliaux, en tous lieux et à toutes époques. Nous reconnaissons bien là les occasions de gros rires, qui ne nous arrachent plus que quelques sourires de commisération nostalgique. Mais très vite le ton devient plus grave. De Coster en effet s'est servi de ce héros représentatif, commun à la Belgique, aux Pays-Bas et à l'Allemagne du Nord-Ouest, pour évoquer le difficile et cruel accouchement de la nation belge, de la nation belge. Il met aux prises le héros qu'il a confisqué pour la bonne cause avec la répression qui s'abattit sur ces pays-là sous les règnes finissant de Charles-Quint et commençant de Philippe II. Vers les années 1570 en effet les souverains catholiques d'Espagne, possesseurs également des riches contrées de Flandres, n'entendaient pas que ces provinces fussent affectées par le mal nouveau du protestantisme.

    Il s'agissait d'ailleurs bien moins de religion que de soulèvement populaire, contre un prince étranger certes (encore que Charles-Quint fût issu de pays wallon) – bien moins de religion donc que de justice. Les moines étaient en effet les agents de la tyrannie, aidant à prélever les énormes impôts et en retenant plus que leur part, semant aussi bien la terreur par leurs discours stupides concernant l'enfer et autres bondieusetés empoisonnantes. C'était la dictature : chacun pouvait dénoncer son voisin et empocher une partie de son héritage, le roi, d'Espagne s'entend, gobant le reste des biens du banni. les hommes étaient brûlés, les femmes enterrées vives.

    Et tous torturés généreusement, au moindre soupçon. De Coster imagine que le père de son héros est dénoncé par un rapace, torturé ; que le fils, traînant déjà derrière soi un passé de joyeux luron fainéant et chapardeur, soit obligé d'accomplir un pélerinage, qu'il ne mènera guère à bien si ma mémoire est exacte. Ce pélerinage lui sera prétexte pour continuer d'errer, et de prendre les armes, finalement, avec bon nombre d'habitants révoltés, contre l'occupant qui saigne le pays à blanc. Il a pour compagnon, tel Don Quichote, un personnage gras et sympathique, Goedzak (mentionné dans le titre complet de l'œuvre du XIXe siècle). Cela veut dire "Bonne Parole", ou peut-être "Bon Sac" ( à nourriture), bon cuisinier, chagrin d'avoir perdu sa femme qui l'a abandonné pour suivre un religieux.

    Plus il a de chagrin, plus il mange.

    Ulenspiegel vit d'expédients, fauchant saucisses et bonnes femmes consentantes, Goedzak se maintenant en état de chasteté afin de retrouver sa femme infidèle disparue. Mais ils risquent tous deux leur vie, servant d'agents de liaison entre les différents acteurs de cette révolte, où il faut distinguer les nobles, pas toujours sûrs, et les gens du peuple ou de la bourgeoisie, comportant aussi leurs traîtres.

    Ulenspiegel possède une fiancée qui l'attend, telle celle de Peer Gynt, jusqu'à ce qu'il revienne de ses aventures, triomphant ou menacé. Je crois bien qu'il est exécuté, mais qu'il se redresse avec sa fiancée dans les bras, proclamant son immortalité dans les âmes et les cœurs belges. Peu importe. La vérité historique est cernée de fort près, l'indignation serre le cœur du lecteur à la vue de toutes ces injustices inévitables : tous les mauvais pressentiments se vérifient, les

    religieux de ce temps-là ne sont que des bourreaux plus hypocrites que les autres. Comment ne pas se sentir plein de pitié pour ces femmes que l'on torture pour les avoir vues parler à leurs vaches, ce qui leur vaut d'être accusées de sorcellerie, parlant à des animaux ? Comment ne pas s'exalter à la lutte de ces consommateurs de foire, qui se battent à l'intérieur d'une auberge pullulant de traîtres ? Je pensais au Chevalier des Touches de Barbier d'Aurevilly... Toutes ces luttes se ressemblent.

    Et cette littérature de soulèvement populaire comprend ses morceaux de bravoure, que l'on retrouve évidemment. Il n'est pas jusqu'au langage de la Renaissance, avec sa truculence convenue, qui ne finisse par lasser quelque peu. L'intérêt universel pour Till Ulenspiegel, bouffon mystique et de tous temps, tenant de Scapin et de Figaro (pour anticiper), le cède à l'intérêt historique, d'aucuns diront anecdotique et réducteur. Ou amplificateur, selon qu'il est considéré du côté belge ou du côté mondial. Toutes les luttes pour la liberté se ressemblent, assurément...

    Notons toutefois que cette langue française du XVIe siècle est censée recouvrir un original flamand, dont certaines expressions sont habilement introduites par l'auteur, qui nous familiarise ainsi avec le baes et la baesine, "le patron et la patronne", ou le bruinbeer, qui est de la bière brune. Mais de l'avis des meilleurs flamingants, la traduction en flamand qui fut tentée n'est pas terrible, et possède beaucoup moins de verdeur que le français