Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La femme de trente ans

 

Meilleurs vœux à tous. Fröhlicher Rutsch ins neue Jahr. “La Femme de trente ans” de Balzac fera les frais de nos pensées. Bizarre; bizarre, d'aller ainsi déterrer, alors qu'il paraît tant de choses. Mais justement, il ne paraît rien, et Balzac est éternel. “La femme de trente ans” n'est pas l'histoire d'une femme qui renonce, c'est celle d'une femme à qui n'arrive que des malheurs, des super-tuiles, pour n'avoir su refréner ses passions. Que ce soit avec son père, son mari, son amant, ses enfants, elle ne peut qu'échouer. Tout est recommencement. Balzac inlassablement reprend une introduction, décrit les détails, lance une intrigue, se laisse aller aux échevèlements : on trouve un officier de l'Empereur, un pirate qui tue, une mère qui crève en roulant des yeux.

Puis, passé le malheur, la mort ou la tempête, tout tourne court. Tout fonctionne par secousses électriques : un flash sur tel épisode, “dix années passèrent”, un flash sur tel autre, “cinq ans plus tard” - chacun de ces épisodes éclairs visant à démontrer la constance, l'acharnement de Dieu ou des lois naturelles à toujours punir de la même façon celle qui une fois s'est rebellée contre l'ordre providentiel. Le lecteur éprouve l'impression de kaléidoscope, dont la seule unité est le fort personnage de Julie d'Aiglemont, réincarnée dans sa fille. Contraste saisissant avec “Le Lys dans la vallée”, où Félix de Vandenesse béait aux pieds de sa Mortsauf ; le frère de ce Félix détruit le respect d'une fille envers sa mère.

Météo sanguinaire.JPG

Sa mère a dépassé trente ans depuis longtemps et meurt. Cela commence par une scène, de parade militaire. Tout est amoureusement décrit, la mécanique de la revue, le fringant de l'officier, le battement de cœur d'une fillette de seize ans qui serre convulsivement le bras de son père mourant. Tu veux cet officier ? Tu l'auras. Mais je prédis qu'il ne sait pas baiser, qu'il est toujours joyeux, toujours creux, toujours vide, la caricature du militaire. A présent débrouille-toi ma fille, ton destin est scellé, rue de Rivoli. Ton père mourra, tu lui échappes, il n'a rien pu t'inculquer, il fut sans défense devant ta beauté, ton œil noir et tes seins bandés.

Comment Balzac a-t-il connu cela ? Il a été femme ; il a su les humeurs de ces êtres, bien plus lointains aux temps où tout les séparait de l'homme, où leur tribu n'était pas encore envahie par le sirop Teisseire. Elles étaient sensibles encore à l'uniforme. Elles faisaient des dialogues, et l'espoir brillait dans leurs yeux. Et les pères se tenaient discrètement en arrière. La tyrannie n'a existé que par à-coups. La bourgeoisie du cœur humain s'est toujours exprimée, les souffrances demeurent d'âge en âge, et Napoléon n'est guère lointain, et nous ne faisons plus de parades fascistes.

Inoubliable premier tableau, sous le signe du pourpre ! Non, ce n'est pas une variété de pieuvre.

VANDEKEEN “LUMIERES, LUMIERES”

BALZAC “LA FEMME DE TRENTE ANS” 41 01 04 II

 

 

 

Nous divaguons sur “La Femme de trente ans” de Balzac. Nous feuilletons les pages, nous états-second/s. En ce temps-là, nous avions des lanciers polonais, nous bousculions toute l'Europe. La musique frémissait, le silence lui-même retentissait de gloire. Et nom de Dieu, c'est comme si nous étions là, juste avant que l'Empereur, ce con envoyé par nous-mêmes, ne se ruât sur la Russie, sur une proie trop grosse pour son ventre grassouillet. Sinistres auspices, ô petite reine de seize ans ! Irons-nous beaucoup plus loin ? Lisons :

“Cet officier montait un superbe cheval noir, et se faisait distinguer, au sein de cette multitude chamarrée, par le bel uniforme bleu de ciel des officiers d'ordonnance de l'empereur. Ses broderies pétillaient si vivement au soleil, et l'aigrette de son schako étroit et long en recevait de si fortes lueurs, que les spectateurs durent le comparer à un feu follet, à une âme invisible chargée par l'empereur d'animer, de conduire ces bataillons dont les armes ondoyantes jetaient des flammes, quand, sur un seul signe de ses yeux, ils se brisaient, se rassemblaient, tournoyaient comme les ondes d'un gouffre, ou passaient devant lui comme ces lames longues, droites et hautes que l'Océan courroucé dirige sur ses rivages.”

Voilà une description de l'homme qui plaît. Bizarre : l'aspect n'est que le reflet de l'âme et des capacités. Nous jugeons encore sur la mine. “Que si un homme me présente un côté crétin, puès, approchons-le par ce côté.” La mine est un miroir de l'homme. Quitte à l'approfondir. Et de ce père qui entraîne sa trop jeune fille, de cette fillette enamourée à l'excès, nous savons qui désormais incarne le pressentiment bien fondé de la vieillesse. Le ver est dans le fruit. Le fruit sera rongé. L'homme qui souffre a raison face au dédain des jeunes personnes, qui voient mourir sans un regret l'encombrant rejeton des générations précédentes.

C'est la même histoire de puis Molière, et nul gendre futur ne trouve grâce aux yeux du père. Et puis voilà. Saute dans le temps. Nous voici, forcément, au milieu de la Touraine, et vogue pour une autre description, pour un autre début de roman. Un amant rôde, nous sommes à la campagne, la femme fut abandonnée. Notre titillation romanesque se met en branle, ce qu'avait dit le père se vérifie. Le roman mal bâti ? Plusieurs départs ? Qu'importe ! Nous voulons la misère du monde, nous voulons être flattés, nous le serons, nous l'aurons. Roule, Balzac. Décris-nosu Vouvray.

Sois hors sujet. Prouve-nous que tout est dans le sujet, que tout s'y ramène. Digresse et charme-nous. L'homme n'a pas encore trompé sa femme. Mais tout y mène. La femme est mal baisée, c'est un début. Elle reste insensible aux charmes de la Touraine : mauvais signe. Et puis, entre temps, voyez-vous, l'Empire s'est écroulé.

Ces Anglais sont partout, beaux, jeunes, blonds, le teint rose. Et les destinées suivent, cahin-caha. Rien à voir avec la France de Balladur. Des choses changent – en ce temps-là, parfois, les choses changeaient. Des hommes passaient, d'autres étaient jaloux d'eux.

Ils étaient militaires. Les mèches partaient vite. On se battait encore pour des femmes. On montait à cheval. C'était le romantisme. La vie n'était pas confisquée par Poivre d'Arvor. Il y avait encore des restes de Louis XVI. Toutes les époques s'étaient mêlées. Vous en apprendrez plus sur l'histoire de votre pays en lisant les romans. Et les vieux une fois de plus savaient tout. Reviendra-t-on aux temps de l'ordre ? Entre la tante du militaire et la jeune femme du militaire vont se nouer les liens d'une amitié de mère à fille qui toujours émerveillent chez ce gros homme, Balzac; le même qui voulait faire fortune en cultivant des ananas en plein Paris, le même connaissait les âmes des femmes.

C'est la Comtesse de Berny qui lui a tout dit. Que c'est étrange, un homme qui n'est pas misogyne. Ça existait donc ? Et la vieille apprivoise la jeune. En ce temps-là, les romans traitaient de psychologie. Tout vous était expliqué, il n'y avait pas de revolver, et l'on se disait : Oui, c'est bien cela, c'est bien ainsi que les choses se passent dans l'âme. Des âmes toutes feutrées, à qui l'on n'avait pas fait croire qu'elles pouvaient être violentes gratuitement, ou quoi que ce fût gratuitement. Il y avait dans les romans des crépuscules, des femmes au bord de la fenêtre, et des cavaliers qui passaient dans l'ombre.

Les commentaires sont fermés.