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  • Annie Versaire

    J'aime pas les anniversaires j'aime pas les gens j'aime pas mes amis j'aime pas ma femme je m'aime pas j'aime pas le suicide. Alors je couche avec ma femme je reçois mes amis je fréquente des gens je souhaite des anniversaires, et quand je me regarde dans la glace je me tutoie. Quand même. Et toujours pas de suicide, tiens, là, ça ne marche pas. Et à force de se faire enculer, on y prend goût, on se met à aimer la vie (car la vie n'est qu'un grand boyau anal), et l'un dans l'autre on se démerde, oui, bon, c'est c'lààà ouiiii, et si je me tais ça ne dérange personne, ILS continuent à discuter sans moi, et même, de choses intéressantes, qui ne sont pas moi, ce monde me surprendra toujours. Ajaccio.JPG

  • Le médecin pieux et son frère

    	Confiscation donc d'enfants, âgés à présent de 18 à 24 ans. Ils l'ont oublié corps et bien.
    Rien dont l'homme se détache aussi facilement que des liens de paternité. (Pascal de plus, médecin,
    ne dispose pas d'une sensibilité exceptionnelle : comment supporter, sinon, d'entrer ainsi
    par effraction dans le corps des gens ?) - à l'exception cependant de son Oratoire, privé,
    où nul ne doit avoir accès. Il en change lui-même les fleurs, trop chaud l'été, trop froid l'hiver.
    Il s'y livre à des ostentations secrètes de piété : acteur et public, mysticisme de planches !
    enfant déjà il installait sous ses combles une chapelle à Marie, nourrie de représentations
    saint-sulpiciennes : madones bleu tendre, crucifix fades, Thérèse de Cavallier (Prix du jury 86).
    Pascal, adulte, prie sur un prie-Dieu rapetassé, face à quelques objets pieux tirés des cimetières
    (depuis, saisi de remords, il demande pardon au Christ et à tous les saints, surtout aux morts dévalisés),
    sans compter la Vierge tout en bleue et Thérèse Gobe-Glaires de Lisieux.
    Il se recueille ainsi entre deux consultants, leur faisant croire à tous qu'il opère en urgence.
    Fâcheux toutefois qu'on le voie redescendre de sa soupente en remontant sa braguette à la dérobée.
    Pour être complet sachons qu'il va au bordel, à Bordeaux, 18 rue Huguerie - ("une habitude », dit-il
    comme Mauriac
    (Genitrix). Karine (c'est elle), génération du baby-boom (45/69) :
    propre, rangée, en gris, pas trop physique, l
    a cinquantaine honnête avec un sac à main cabas  ;
    un peu popote, arrosable une fois par quinzaine, pour l'hygiène. Le docteur ne veut pas savoir
    qui passait avant, qui passe après - « quatre ou cinq fois par jour,
    on n'est pas des vaches tout de même .
    Un jeudi sur deux, en alternance levrette/missionnaire.
    Il pourrait aussi bien séduire n'importe qui dans un délai raisonnable appréciable
    – mais paresse, fatalisme –
    pas que ça à foutre non plus. X Ajaccio, petit matin.JPG

















    Grand B Frank Nau, d'un autre père, cadet et chaussurier. Rigolo à qui échoit la fantaisie
    de transformer sa maîtresse Annema
    ri-e (à l'allemande : - e final bien détaché)
    en véritable pécheresse, ne parvenant quant à lui qu'aux voluptés de l'abstinence,
    au nom d'un Dieu négatif à se flinguer, sans cependant s'y résoudre entièrement.
    - ayant cherché la névrose de grande classe, sans parvenir à défoncer les portes
    merveilleuses de la folie. Frank n'a pas brillé par ses études.
    Ce n'est pas que Frank Nau se soit particulièrement signalé par la cancrerie :
    simplement, rien de ce qu'on appelle
    choses de l'esprit ne l'a passionné.
    La médecine est-elle une vue de l'esprit? Le choix de ses chaussures, l'hygiène de ses pieds,
    bonnes ou petites manières, gestes pour se déchausser ne révèlent-ils pas
    l'homme et l'âme aussi justement que ses furoncles ou ses rythmes cardiaques ?
    Ainsi Frank Nau, passé d'apprenti vendeur après un stage à Fougères, s'est-il porté
    acquéreur d'un atelier en Dordogne. Il tourne sur les marchés, négocie ses ventes,
    ce qui lui rapporte de quoi rembourser l'essence et l'usure mécanique.
    La camionnette s'ouvre par un auvent latéral, exhibant les chaussures en boîtes
    munies de leurs sous-marques : Varamion, Lady-Shop, Princesse Anne – il faut bien vivre.
    Et, pour l'orgueil, les prix et délais des chaussures sur mesure, « couture trépointe ».
    Au sein de ces féeries lui reviennent parfois certaines réflexions hors-saison
    sur la minceur de ses performances scolaires, et sur l'argent qu'il devrait à son frère médecin,
    s'il prenait envie à ce dernier de se laisser rembourser.

  • L'an 1817

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        J'ai le trac. Une sorte de trac, ma constitution ne m'accordant que des émotions modérées. Tout de même, "Textes libres" laisse face à face avec le gigantise prétentieux de sa mission, écrire pour dans mille ans. Je me souviens de Bourbon, écrivant en latin "passeront la terrre, le soleil et les étoiles, mais je resterai". Bourbon Nicolas le Père mourut en 1550, Nicolas le Jeune fit partie de l'Académie Française. C'était en langue latine. Du Bellay seul échappe aux oubliettes. L'un de mes amis brouillés m'envoyait naguère des nécrologies, d'artistes, politiques et autres fantaisistes, tels Eddie Vartan, qui de leurs heures de gloire venaient de tomber au cercueil.
        Personne parfois ne savait plus qui ils étaient. Il existait en 1817 (Livre III des Misérables) une multitude de gens célèbres, bateleurs, comédiens, boutiquiers, qui s'agitaient joyeux sous le soleil, pleins de jeunesse et d'espoir comme les feuilles d'arbres, et comme elles tombées depuis. Seigneur, prends pitié de nos banalités, de nos vanités. Nous étions tous hier vissés à nos postes, où les Hanouna, Busnel et Dutripier, célébrités du jour, ébrouaient leurs sottises à tous vents. Et je les insultais, dans leur candeur, leur assurance de vendre à tous leurs meilleurs pommes de terre, entendez leurs production littéraires. Une fois de plus nous était offert le naïf spectacle des grandes gueules qui écrivent, haha, comme on respire, avec le souci de l'auauautre, sans la moindre profondeur, ni inquiétude, ni la moindre trace de vie intérieure.
        Nous avons bien râlé. Nous avons bien joui de l'opposition Godard-Truffeau, savourant une fois de plus la sauce amère du petit révolutionnaire qui reproche au bourgeois de faire des oeuvres bourgeoises, "avec les classes dans le train et le mouchard du patron juste à côté de lui". Tout à fait comme un inquisiteur, au beau milieu d'un exposé ou d'un récit, venait tout à coup jeter là Notre Seigneur Jésus-Christ, sans aucun rapport avec la choucroute. Ou quelque idéologie que ce soit. On est de goche, putaing cong, ou on ne l'est pas. Toujours la prétention raide de ceux qui ont raison parce qu'ils veulent, voyez-vous ça, sauver le monde, le faire passer d'une petite cage dans une cage moins petite.

    Adieu aux Sanguinaires.JPG


        En vérité tout prosélytisme est une insulte à l'esprit, à la liberté même. "L'extrême droite n'a pas connu un tel niveau en Autriche depuis la fin de la Seconde guerre mondiale - mais ce n'est pas la même extrême droite, bande de gluants ! Oui, je fais comme Truffeau, je tiens la porte à celui qui me suit dans le couloir. Godard piégeait les enfants à la Socrate : "Mais quand la cloche sonne, elle t'ordonne de rentrer en classe - Ah oui." Sape bien les fondements, Godard, théoricien, livre-nous au désespoir d'avoir trop réfléchi, ne nous laisse aucune issue, afin de régner sur les masses, et de semer sur nos ruines tes semences aussi vénéneuses que les autres.
        Au diable ceux qui ont des idées, mais plus encore ceux qui veulent les appliquer, les mettre en pratique. Oui, je cherche mes mots, mes phrases. Oui je crois vous entendre autour de moi, m'approuvant, me répliquant. Chacune de nos pensées traîne après elle une nuée d'attentions, et le cul du jockey éclate dans la rupture du falzar, repos. "Je serais curieux" disait-il "de savoir qui tire les ficelles". Voilà bien longtemps que je ne distingue plus rien. La marionnette et la main se sont emmêlés dans les fils. Nous sommes responsables, la cause est entendue. Mais de quoi ? Je pense à Napoléon, aux sauteuses de haies toutes cuisses écartées, à cette solitude ailée...

  • Le défilé des réfractaires

        Pascal, Racine, Voltaire, Balzac et Proust, tout ce qui tient une plume (ou un pinceau) n'est-il pas réfractaire à sa manière ? Exister, n'est-ce pas se montrer réfractaire ? Mais je l'ai déjà dit : merde alors. C'était notre chapitre « J'examine tout sous l'angle du cas limite, en français border line, afin de masquer mon incapacité à régler le concret, l'humain, ce qui est au milieu ». Çà, avec accent grave, lisons de Cessole au sujet de Cioran : des faits ! D'abord, la péroraison sur Chateaubriand : « Envers et contre tout, il est l'homme qui a donné à la droite littéraire » (toute littérature est de droite par essence, bis) « son style – tantôt sublime tantôt pamphlétaire – et sa poésie. Poésie de la rupture et de la fidélité » (il parle des Bourbons), « de l'honneur et du service inutile, de l'héroïsme et du néant, de la colère et du mépris. Poésie qui transmute les défaites politiques en victoires littéraires, et les causes perdues, dans l'ordre du temps, en causes gagnées, pour l'Eternité. Poésie qui irriguera, enfin, toute la rive droite de nos lettres, de Balzac à Barrès, de Flaubert à Péguy, de Malraux à Gracq, de Déon » (que vient foutre ici ce freluquet ?) « à Raspail,  et même jusqu'à Jean d'Ormesson, qui s'est voulu l'héritier contemporain de sa panoplie littéraire », mais n'est pas Chateaubriand qui veut.
        A présent, du néant chrétien, passons au néant athée : « Cioran, l'athlète de la désillusion », inspirateur après sa mort du Canard Enchaîné, dont un dessin montrait la tombe, d'où s'échappait la bulle tordante et suivante : « La mort m'a beaucoup déçu. » De Cessole commence : « D'emblée, il connut L'inconvénient d'être né,la disgrâce de La chute dans le temps, et, mystique sans dieu (avec une minuscule), accabla de ses blasphèmes Le livre des leurres comme Le Mauvais Démiurge. Porté par sa nature aux extrêmes, il ne fut pas insensible, dans sa jeunesse, à L'élan vers le pire et prétendit camper sur Les cimes du désespoir, puis, exilé, revenu de ses illusions et de ses fureurs, vacciné contre Histoire et utopie, il diagnostiqua Le crépuscule des pensées et déclina somptueusement les Syllogismes de l'amertume. Avec un paradoxal Précis de décomposition, il accéda à la notoriété et obtint le respect de ses pairs, ce dont il n'avait cure », ce dont on me permettra de fortement douter : qui refuserait à sortir de l'obscurité ?
      

    Vas-y Pépé, on m'a parlé de toit..JPG

     Comme ils se bousculent tous pour passer dix secondes à la télé ! Poursuivons : « Oscillant entre Aveux et anathèmes et Exercices d'admiration, son œuvre – un mot que détestait ce pourfendeur de l'histrionisme et du narcissisme littéraire - »  c'est comme moi, je suis très fier d'être modeste - « pourrait être sommairement résumée comme un mélancolique et lucide Bréviaire des vaincus face à La tentation d'exister. » Saluons la performance du critique parvenant à loger tous les titres de Cioran dans une flamboyante introduction. Observons aussi que le programme cioranais répond dans une certaine mesure au caractère réfractaire de toute existence, en ramenant cette dite existence au niveau du néant.
        Nous ne sommes que des pets de mouches, et Chateaubriand écrit : « Chacun de nous voudrait laisser sa trace sur cette terre ; eh oui ! chaque mouche a son ombre ! »  Pour le suicide, c'est au fond du couloir et n'oubliez pas de tirer la chasse. En voilà bien deux, tiens, qui prennent les choses d'encore plus haut que Moâ. Cassééééé. « A la manière des portraits d'Arcimboldo, l'on pourrait ainsi, rien qu'avec les titres de ses livres, retracer l'itinéraire d'Emil Michel Cioran »(-escu) « et esquisser son profil. Penseur plus que philosophe, car, à l'instar de Nietzsche, il dédaigna de figer sa pensée dans l'illusion d'un système, il privilégia comme mode d'expression l'aphorisme et le paradoxe qu'il mania avec un art consommé, renouant avec la grande tradition des moralistes français tels La Rochefoucauld, Vauvenargues, Rivarol, Chamfort, Joubert, mais aussi des ironistes allemands ou scandinaves, Lichtenberg, Schopenauer, Kierkegaard et Karl Kraus. Ce « métèque » de Transylvanie qui, à 30 ans passés, renonça à sa langue nourricière, passant du roumain au BERNARD COLLIGNON    LECTURES     « LUMIERES, LUMIERES »
    de CESSOLE            « LE DEFILE DES REFRACTAIRES »        60 02 19     64


    français, tint la gageure » et non pas la gage-heure tas d'ignares « d'illustrer, mieux que la plupart des écrivains indigènes, un idiome justement réputé pour sa rigueur et sa finesse, mais qui s'achemine sans doute vers son épuisement.
        « Depuis la parution, en 1949 chez Gallimard, de son premier livre en français Précis de décomposition, la notoriété croissante de Cioran s'est accompagnée de nombre de malentendus ou, pis, d'interprétations malveillantes. On a, tour à tour, dénoncé en lui un « prophète des temps concentrationnaires et du suicide collectif », un « resquilleur de l'Apocalypse », un « pervertisseur de la jeunesse », un « démoralisateur public », un « escroc du néant », un « homme de lettres plus qu'un homme de l'être », avant, ultime coup de pied de l'âne, de salir sa mémoire et tant que « complice du fascisme et de l'antisémitisme ». Ah quand même. « Ces critiques, l'écrivain les a en partie provoquées : « J'ai tout fait, écrivait-il, pour susciter des malentendus, des jugements ingénieux et séduisants mais infondés. Les autres portent d'habitude un masque pour s'agrandir, moi pour me diminuer. »
        « Qui donc se dissimulait derrière le nom de Cioran et les deux initiales E.M. de son double prénom ? Dès qu'il commença à publier en français et que la singularité de son ton » et de son saumon, « le brio de ses paradoxes, l'éblouissant éclat de son style attirèrent sur lui l'attention de la critique, Emil Michel Cioran prit le parti de se dérober à la     curiosité publique, de refuser honneurs et distinctions, de ne jamais s'abaisser à se « prostituer » pour de l'argent. Bref, de vivre dans le Paris du XXe siècle comme Diogène dans son tonneau, avec pour compagne d'élection la solitude, la pauvreté, et la paresse.
        « Jamais, tout du moins en France, on  ne le vit à la télévision, on ne l'entendit sur les ondes, on ne le lut dans les journaux, on ne le vit à une foire du livre ou à une séance de signatures, où les écrivains, tels des caniches de salon, sont invités à « faire le beau » pour recueillir le suffrage de Madame Michu » dont ils sont bien contents tout de même qu'elle les lise, faudrait savoir. « Jamais enfin, après qu'il eut accepté le prix Rivarol pour son premier livre, on ne put lui faire accepter d'autres prix. Une probité sans concessions ni défaillances, dont ne peuvent témoigner parmi ses contemporains que Gracq, Michaux et Beckett, ces derniers comptant parmi les rares amis célèbres de l'ermite du Luxembourg. » Ce qui relativise, voire pulvérise, les objections crétines de votre serviteur.
        Vous aurez donc tout profit à lire, par petits chapitres, Le défilé des réfractaires, par Bruno de Cessole, dont j'ai stupidement oublié tous les autres chapitres. Et v'lan, hi-han hi-han. 

  • Fédora chez les moutons


    HUMILIATIONS subies et infligées par Fédora FEDOROVNA : St-Baud-de-Pulles,  les Flavies (Lozère), Avignon
    La Princesse marocaine se prostitue pour payer son voyage (nous ne devons le savoir qu'à la fin). Mais aussi : Fédora, « humiliée ».
    Les Flavies de Lozère
        Premier été : fenêtres mansardées, vue sur le plateau, hangars de tôle en plongée, prés ras et jaunes clos de pierres plates, bêlements confus et relents de crottins. Schulmann, autour de son nombril, médite sur la courtepointe ; elle existe ailleurs, au-dedans. Survient Fédora et Léna sa fille, et la  fille, Lydie, de cette dernière : trois générations. Toutes trois s'exprimant dans l'accent venaissin ; la plus jeune, à 8 ans, pense et parle comme à 6 Vache de Tulle.JPG
    .
    R. 76
        Notre  location domine en pierre de lourds vallonnements embrumés : « Chez Louvier », fin de saison. Mon mythe, un soir,  Fédora (« Tu as dû en croiser des milliers, de mythes comme moi. » Je réponds que non, que c'est impossible. Je ne suis pas de ces collectionneurs de culs. Lorsque j'aime une femme c'est pour la vie.) Me demande : “Me laisseras-tu dormir si je place mon lit à même, sous la soupente ?” Je suis sûr que non. C'est ma faute si trois générations femelles s'entassent dans la mansarde contiguë. À peine y peut-on y tenir dans la mixture des souffles. La Lozère est pauvre, il faut bien vivre ; mais la location est exorbitante.
        Une coursive tient la longueur du bâtiment. Trois portes sous-marines y donnent en batterie ; vis-à-vis, les lavabos fermés permettent une ablution antique avec des gants trop rêches. Premier lavé premier levé, déambulation seul. Repère sur un portail, cloué comme une chouette, un Notre Père dactylographié : “Ne récite pas Notre Père si tu n'es pas fermement décidé à respecter ses divins préceptes”. Le Chrétien place si haut la barre qu'on, n'y peut atteindre. Dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. « Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » : « aussi » - pour ne pas faussement comprendre « à proportion de ce que nous pardonnons nous-mêmes » ; mais  pardonner absolument.
        Le texte latin porte "remets-nous nos dettes", traces d'un temps où l'argent tenait lieu de réparation, où le péché, où le remords, tenait au déshonneur de ne pas rembourser, de ne pas compenser son délit, son offense. Le nom du Père aux Flavies est Angelo Nunhes, Angolais rigoureux. Et je n'imaginais pas autre chose. La mort guettait, nous avions tous dix ans de moins. Aujourd'hui décrépitude nous cerne. La paresse aux Flavies fut grande. Elle serait suivie par le pressentiment de la grande falaise dont le rebord bientôt cessera de fuir devant nous, tandis qu'à plat ventre et sous les coups de vent nous ramperons ralentis ou poussés vers l'abîme.
        En attendant la fin de toilette des femmes, je reviens à l'abri dans la soupente obscure insensible aux rafales. Pas encore mansardée. M'assieds sur le matelas pelé pour lire, où Fédora aurait dû reposer : couche déserte de tout corps, cabinet de lecture/. Une lampe brutale flashe un grand désir de lire, sur quatre étagères de bois, toute l'existence et la vie des Leloup, tenanciers mari et femme. Laquelle s'est broyée la main dans un quelconque  broyeur à grains. Serrées en désordre ce sont des publications naïves et lozériennes, plus un gros album de Poilu de Quatorze, avec ses cartes au pochoir, missives appliquées plume Sergent Major : les moindres gens du peuple écrivaient à nous faire honte en ce temps-là, entre les gouaches de leurs cantonnements.
        Celui-ci rapporte qu'on n'a pas formé sur place de gros et reluisants faisceaux d'étendards le jour de la Mobilisation, mais qu'on a pleuré, femmes et hommes - “la  fleur au fusil” sera pour un autre chapitre et en d'autres livres. Je découvre le Journal de Madame,  sombre histoire d'amour et de cul avec Ceux de la Pente ; depuis  chacun reste sur son gland-à-soi, six cents mètres et trente années plus tard : c'était ça aussi, les années 70. Au troisième rang, juste après l'occitan, tout un matériel de peintre. Nous avons emprunté, pour ne pas les rendre, tous les tubes les plus chers : Rouge de cadmium, Jaune de Naples, oubliés là en toute confiance, pour compenser la bouteille de gaz payée par nous, laissée presque vide par les précédents.