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Le défilé des réfractaires

    Pascal, Racine, Voltaire, Balzac et Proust, tout ce qui tient une plume (ou un pinceau) n'est-il pas réfractaire à sa manière ? Exister, n'est-ce pas se montrer réfractaire ? Mais je l'ai déjà dit : merde alors. C'était notre chapitre « J'examine tout sous l'angle du cas limite, en français border line, afin de masquer mon incapacité à régler le concret, l'humain, ce qui est au milieu ». Çà, avec accent grave, lisons de Cessole au sujet de Cioran : des faits ! D'abord, la péroraison sur Chateaubriand : « Envers et contre tout, il est l'homme qui a donné à la droite littéraire » (toute littérature est de droite par essence, bis) « son style – tantôt sublime tantôt pamphlétaire – et sa poésie. Poésie de la rupture et de la fidélité » (il parle des Bourbons), « de l'honneur et du service inutile, de l'héroïsme et du néant, de la colère et du mépris. Poésie qui transmute les défaites politiques en victoires littéraires, et les causes perdues, dans l'ordre du temps, en causes gagnées, pour l'Eternité. Poésie qui irriguera, enfin, toute la rive droite de nos lettres, de Balzac à Barrès, de Flaubert à Péguy, de Malraux à Gracq, de Déon » (que vient foutre ici ce freluquet ?) « à Raspail,  et même jusqu'à Jean d'Ormesson, qui s'est voulu l'héritier contemporain de sa panoplie littéraire », mais n'est pas Chateaubriand qui veut.
    A présent, du néant chrétien, passons au néant athée : « Cioran, l'athlète de la désillusion », inspirateur après sa mort du Canard Enchaîné, dont un dessin montrait la tombe, d'où s'échappait la bulle tordante et suivante : « La mort m'a beaucoup déçu. » De Cessole commence : « D'emblée, il connut L'inconvénient d'être né,la disgrâce de La chute dans le temps, et, mystique sans dieu (avec une minuscule), accabla de ses blasphèmes Le livre des leurres comme Le Mauvais Démiurge. Porté par sa nature aux extrêmes, il ne fut pas insensible, dans sa jeunesse, à L'élan vers le pire et prétendit camper sur Les cimes du désespoir, puis, exilé, revenu de ses illusions et de ses fureurs, vacciné contre Histoire et utopie, il diagnostiqua Le crépuscule des pensées et déclina somptueusement les Syllogismes de l'amertume. Avec un paradoxal Précis de décomposition, il accéda à la notoriété et obtint le respect de ses pairs, ce dont il n'avait cure », ce dont on me permettra de fortement douter : qui refuserait à sortir de l'obscurité ?
  

Vas-y Pépé, on m'a parlé de toit..JPG

 Comme ils se bousculent tous pour passer dix secondes à la télé ! Poursuivons : « Oscillant entre Aveux et anathèmes et Exercices d'admiration, son œuvre – un mot que détestait ce pourfendeur de l'histrionisme et du narcissisme littéraire - »  c'est comme moi, je suis très fier d'être modeste - « pourrait être sommairement résumée comme un mélancolique et lucide Bréviaire des vaincus face à La tentation d'exister. » Saluons la performance du critique parvenant à loger tous les titres de Cioran dans une flamboyante introduction. Observons aussi que le programme cioranais répond dans une certaine mesure au caractère réfractaire de toute existence, en ramenant cette dite existence au niveau du néant.
    Nous ne sommes que des pets de mouches, et Chateaubriand écrit : « Chacun de nous voudrait laisser sa trace sur cette terre ; eh oui ! chaque mouche a son ombre ! »  Pour le suicide, c'est au fond du couloir et n'oubliez pas de tirer la chasse. En voilà bien deux, tiens, qui prennent les choses d'encore plus haut que Moâ. Cassééééé. « A la manière des portraits d'Arcimboldo, l'on pourrait ainsi, rien qu'avec les titres de ses livres, retracer l'itinéraire d'Emil Michel Cioran »(-escu) « et esquisser son profil. Penseur plus que philosophe, car, à l'instar de Nietzsche, il dédaigna de figer sa pensée dans l'illusion d'un système, il privilégia comme mode d'expression l'aphorisme et le paradoxe qu'il mania avec un art consommé, renouant avec la grande tradition des moralistes français tels La Rochefoucauld, Vauvenargues, Rivarol, Chamfort, Joubert, mais aussi des ironistes allemands ou scandinaves, Lichtenberg, Schopenauer, Kierkegaard et Karl Kraus. Ce « métèque » de Transylvanie qui, à 30 ans passés, renonça à sa langue nourricière, passant du roumain au BERNARD COLLIGNON    LECTURES     « LUMIERES, LUMIERES »
de CESSOLE            « LE DEFILE DES REFRACTAIRES »        60 02 19     64


français, tint la gageure » et non pas la gage-heure tas d'ignares « d'illustrer, mieux que la plupart des écrivains indigènes, un idiome justement réputé pour sa rigueur et sa finesse, mais qui s'achemine sans doute vers son épuisement.
    « Depuis la parution, en 1949 chez Gallimard, de son premier livre en français Précis de décomposition, la notoriété croissante de Cioran s'est accompagnée de nombre de malentendus ou, pis, d'interprétations malveillantes. On a, tour à tour, dénoncé en lui un « prophète des temps concentrationnaires et du suicide collectif », un « resquilleur de l'Apocalypse », un « pervertisseur de la jeunesse », un « démoralisateur public », un « escroc du néant », un « homme de lettres plus qu'un homme de l'être », avant, ultime coup de pied de l'âne, de salir sa mémoire et tant que « complice du fascisme et de l'antisémitisme ». Ah quand même. « Ces critiques, l'écrivain les a en partie provoquées : « J'ai tout fait, écrivait-il, pour susciter des malentendus, des jugements ingénieux et séduisants mais infondés. Les autres portent d'habitude un masque pour s'agrandir, moi pour me diminuer. »
    « Qui donc se dissimulait derrière le nom de Cioran et les deux initiales E.M. de son double prénom ? Dès qu'il commença à publier en français et que la singularité de son ton » et de son saumon, « le brio de ses paradoxes, l'éblouissant éclat de son style attirèrent sur lui l'attention de la critique, Emil Michel Cioran prit le parti de se dérober à la     curiosité publique, de refuser honneurs et distinctions, de ne jamais s'abaisser à se « prostituer » pour de l'argent. Bref, de vivre dans le Paris du XXe siècle comme Diogène dans son tonneau, avec pour compagne d'élection la solitude, la pauvreté, et la paresse.
    « Jamais, tout du moins en France, on  ne le vit à la télévision, on ne l'entendit sur les ondes, on ne le lut dans les journaux, on ne le vit à une foire du livre ou à une séance de signatures, où les écrivains, tels des caniches de salon, sont invités à « faire le beau » pour recueillir le suffrage de Madame Michu » dont ils sont bien contents tout de même qu'elle les lise, faudrait savoir. « Jamais enfin, après qu'il eut accepté le prix Rivarol pour son premier livre, on ne put lui faire accepter d'autres prix. Une probité sans concessions ni défaillances, dont ne peuvent témoigner parmi ses contemporains que Gracq, Michaux et Beckett, ces derniers comptant parmi les rares amis célèbres de l'ermite du Luxembourg. » Ce qui relativise, voire pulvérise, les objections crétines de votre serviteur.
    Vous aurez donc tout profit à lire, par petits chapitres, Le défilé des réfractaires, par Bruno de Cessole, dont j'ai stupidement oublié tous les autres chapitres. Et v'lan, hi-han hi-han. 

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