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Le Singe Vert - Page 54

  • Petit salon chinois rond



            Ces trop fameux dépliants touristiques furent à la mode au milieu des années 50, voire 80 en Autriche. Il nous fut déjà donné l'occasion de décrire un de ces rectangles surchargés du Château de Schönbrunn, que nous avons dû visiter à toute vitesse entre deux groupes de touristes, faisant nous-mêmes partie de l'un d'eux. Il s'agit du salon chinois rond.
    Rien n'a changé depuis Joseph II, sauf des climatiseurs soigneuselent dissimulés. La langue rouge qui s'avance de biais, en bas, figure peut-être le sol, en feutrine caoutchoutée, ou peut-être une nappe. Il est pour le moins curieux que ce sol supporte deux épais canopes de porcelaine précieuse, car on ne pose pas ainsi de tels chef-d'oeuvres sur le sol. Cependant, une mince épaisseur courant sur le petit côté présage d'un vrai tapis. Cela pourtant ne laisse pas de surprendre, bien qu'un tl tapis épouse finalement avec exactitude l'arrondi du salon chinois. A droite au fonf, rapetissé par la perspective ici nécessairement acélérée, une tblette aux pieds contournés, frêle comme une bcihe ou un bichon frêle et figé.
        Le mannequin flétri.JPGA gauche, d'étranges marquetures parquétales m'avaient semblé quelque portrait de famille impériale, déformée par quelque maladroit procédé d'anamorphose, alors que l'ébéniste a mis tout son coeur à rassembler tout ce qu'il a pu d'ingéniosités contournées pour parfaire cet espace. Comme tout est différent de ce qu'il en est à ce que l'on voit ! Ocre, rouge vif arrondi, bleu-vert plus chinois que chinois (le même mot poru la même couleur), parquet de droite enfin foncé comme chez nous, et la petite table immobile. Cela fait l'arc-de-cercle plus avancé à gauche qu'à droite, pour épargner la monotonie. Juste au-dessus, 9 panonceaux rectangulaires cernés de rinceaux identiques, moyens, tut petit, puis plus grands en revenant vers notre droite.
        Le parti-pris d'étroitesse ne permet pas de distinguer les motifs qui les ornent, Le sixième déborde de part et d'autre du canope tripode le plus au fond. Le septième soutient le ventre de la tablette disons lévrière, le huitième est à peu près entier, le dixième et le plus à droite étale vers nous une surface pus spacieuse, surmontée  du même bleu-vert malsain que le canope, à la façon d'un panache rigide échappé du sommet du vase. Cette rangée près du sol est surmontée d'une autre, aux longueurs plus ramassées, de façon à former cette fois des carrés, aux rinceaux latéraux cette fois plus larges, alignés sur les rectangles d'au-dessous.     C'est tout aussi laid ou inutile, en un mot fascinant d'insignifiance. Mais sur les deux battants ferés de porte, cela devient un modeste élancement vertical, trois fois plus haut. Et si le spectateur observe bien ces carrés ou ces deux rectangles au nombre cette fois de huit, il lui semble bien apercevoir des reflets : aux numéros 1 et 6 : encaustiques surexcitées ou miroirs?  Les hauts panneaux de porte présentent les mêmes entrelacs outrés que le parquet de gauche : on voit bien à présent qu'il ne s'agit pas du tout de portraits princiers entassés. Mais le numéro 5, plus haut, plus large que toute cet alignement, est un miroir. Dans lequel nous voyons distinctement le reflet d'un angle en pendentif, un demi-cintre, une haute fenêtre, une architecture intérieure compressée, avec voussures, carrés bleus, correspondant à des persiennes semi-closes comme dans les musées.
        Dans ce miroir surencombré se devine l'inévitable lustre qui pendouille, et dont l'original s'éparpille sous nos yeux parmi les innombrables gribouillis métalliques tortillés sur le bois blanc. Tous ces panneaux luisants, ce miroir glauque, sont autant d'yeux qui vous regardent, ou du moins vous reflètent, ou pourraient vous refléter. Une véritable prison, une galerie close de chambre des supplices, celui de la vie de cour. Quatre autres panneaux, les plus hauts, garnis de boiseries luisantes, avec chacun ses lueurs rouges inidentifiables, à mi-hauteur desquels, sur les vantaux cette-fois, deux camions 1930 se font face, capot contre capot, le dessous levretté.
        Le grouillement se scande aussi, au-dessus de la double porte aussi bien qu'au-dessus du miroir encadré d'or,  d'un couple de toisons, ou de robes larges du bas, sortes de peaux de bêtes ou de robes vidées de leurs femmes, où s'entredevinent cete fois des tableaux sur bois : le miroir est sommé d'un buste généreux, d'un bras étendu faisant flotter un voile plus ou moins mythologique : nichons soudains surgis d'un arrondi concave ou convexe, selon qu'on voudra le voir. Puis le quatrième étage de ces médaillons, chacun au milieu de son candélabre à deux branches. Au terme enfin de cette laborieuse escalade de stucs, ,le visiteur distingue nettement le triple et quadruple cercle du plafond, sur une interminable et fausse porcelaine : festons, portraits devinés.
        Il est matériellement impossible de tout décrire : au-dessus de la visqueuse cheminée, je vois encore un miroir, où tout s'abyme à l'infini...

  • Je rêve

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        Le milieu enseignant m'aura indélébilement marqué. C'est une profession disparue, dotn l'existence de nos jours suscite la stupéfaction : qu'on ait pu ainsi enfermer les enfants dans des salles de classe, afin de les « socialiser « , relevait d'un pur contresens : rien ne ressemble moins à une société qu'une salle de classe. Les enseignants de plus se vexaient pour un rien. Mon père, ce héros, se voyait tout déstabilisé par une simple remarque d'un nommé Vincent, quatorze ans. Il s'était assis sur une banquette de skaï rouge, grommelant, attendant en vain des excuses : mais ledit Vincent n'est jamais venu. Mon père ne m'avait fourni que des explications confuses : il me parlait de la signification de free, en anglais. Il n'enseignait pourtant pas cette langue ; les rudiments qu'il en possédait, il les avait acquis en prison, juste après ma naissance.
       La paillasse surchargée.JPG Puis il s'est tu. Derrière lui, au-dessus de la banquette, la cloison exposait tout un système de panneaux coulissants, à la japonaise, mais sous forme de rectangles horizontaux très allongés. Il a tenté de les actionner, mais ils sont restés bloqués. « Il faut faire attention aux mécanismes, papa – y compris aux miens... - Les mécanismes, je les casse » Je n'ai pas demandé mon reste et suis sorti de cette improbable pièce où mon géniteur attendait de non moins improbables excuses. Une église était en face, j'y suis entré : c'était à Pasly, où les élèves avaient jadis rendu mon père à moitié fou ; pourquoi aussi allait-il mater les filles en train de pisser ? Bien sûr, les parents étaient tous ivrognes.
        Mais ce n'était pas une raison. L'église, ils n'y allaient jamais – sauf le jour des morts, allègrement confondus avec la Toussaint. « Il faut remédier à cela ! » dit le maire. « Transformons notre église en bar ! » Et comme personne ne la fréquentait plus, cela fut fait ; quand j'y suis entré, j'ai admiré en vérité la transformation : une sorte de pub anglais ou madrilène, avec banquettes capitonnées, à l'ancienne, et des cabines tout intimes, aux caissons de cuir ouvragé.  Comment avait-on pu en si peu de temps transformer un lieu de culte en lieu de cuite ?  luxueux assurément, mais désert. En poussant certains parielleaux, qui, ceux-là, glissaient harmonieusement, je découvris que derrière eux la nef se poursuivait, avec un bel autel central, juste contre l'orgue : de l'audace encore – quel décorateur admirable !
        Me serait-il possible de jouer de cet orgue ? c'est la première chose  que je vérifié dans une église : la présence, ou non, d'un buffet d'orgues (celui-ci reposait directement sur le sol), et son accessibilité. Je me suis donc avancé vers celui-ci, et n'avais pas encore soulevé le couvercle :  Survient un flic en grand uniforme, qui me demande de me présenter au commissariat, bien que je ne sois pas coupable, parce que je le suis quand même. Correct et insolent. Il repart.
    J'ai réussi à faire coulisser les parielleaux.

  • Catalogue Saxon

    Daxon est peut-être en perte de vitesse. Il a sans doute négligé le développement fulgurant des ventes par internet, envoyant toujour à sa clientèle d'amples catalogues. Empruntant cependant aux dessins de plusieurs émissions télévisées, elle oppose sur deux pages deux tenues vestimentaires sur deux femmes, Annie et Anna. Sur celle de gauche, cette dernière expose un look casual, ce qui signifie "apparence négligée", tandis qu'à droite cette sexagénaire présente une "apparence élégante" ou look smart,en anglais, mais avec un ordre des mots français. Ce qui frappe d'abord, c'est la coiffure : nos deux ménopausées exhibaient d'informes ondulations. Anna se voit remodelée par une coupe au rasoir, à mèches efilées faussement décontractées, dégagée sur l'oreille, sans doute éclaircie.
        Au lieu d'étaler à gauche une large face franche et fatiguée, elle s'en cache la moitié de sa main gauche, comme si elle pouffait de rire, ce qu'elle fait. Elle se présente tournée d'un quart, souriante, l'œil tout vif de sa transformation. D'autre part, sa robe d'avant, rouge parsemées de fleurs des champs, marquée par une ceinture au-dessus des hanches et aggravée par un volant transparent, se voit avantageusement troquée contre un petit haut vert bouteille, exposant toujours le bras, mais replié vers la bouche comme nous l'avons dit. C'est bien plus vivant, bien plus spontané, du moins d'apparence. La femme sérieuse sait donc rire, et tend de son bras droit, pour nous le gauche, une veste négligemment exposée , tout a fait assortie à son pantalon, et susceptible d'être enfilée sur ses bras nus en cas de coup de frais.
        Les motifs respectent son goût pour le décor floral, vert pomme et rose foncé, mais aligné de façon plus verticale et stricte : les jambes de pantalon, légèrement écartées mais pieds à plat, suggèrent une sveltesse correspondant au retombé du corsage, tenu par le col et négligemment présenté. Pour en finir avec ce bras replié sur un sourire, notons qu'il fut largement libéré par la suppression de trois lourds bracelets. Et voilà comment l'on transforme une fausse battante, qui arrive en fin de pas, la main protégeant le sexe, en jeune grand-mère souple et digne, souriante et décontractée, sachant toujours jouer de sa féminité. Fin, également, des sandales à lourds talons compensés de liège, au profit de haut talons carrés.

    L'envol des bêtes.JPG


        En bas, l'observateur observe une demi-contradiction : le "look" est maintenu, mais casual devient "détente" (ce qui n'implique donc pas condamnation), et le look smart est devenu "look classe". Compliments à la styliste, et à la photographe.

  • Costume, Principal et cadeaux


      

    Verdure.JPG

     Pour ma première véritable rentrée, je m'étais présenté en costume, solennel ; j'étais bien le seul, plus « habillé » que le principal lui-même. Une fois je me suis excusé, à l'entrée où il se plaçait pour serrer la main à tout le monde, d'être souvent maladroit dans mes rapports humains. Grand seigneur, il avait laissé entendre que ce n'était rien. Mais pour cinq minutes de retard, je l'ai vu marcher de long en large dans le hall d'entrée, m'attendant le sourcil froncé, ridicule comme un Père Fouettard. Je le revois encore, ce gros dindon rougeaud, me donner des conseils pour « me faire aimer », avec des gourmandises de psychologue à deux balles qui aurait enfin sondé les arcanes de son disciple... Il me dit que les enfants ne pouvaient pas me suivre, que tout était chez moi précipité, bordélique : « Il y a deux classes qui se tiennent mal dans cet établissement, Monsieur C., et ce sont les vôtres ! » - en présence des élèves... Il me dit qu'on m'avait surpris à me rouler dans l'herbe, je manquais de pondération, il fallait faire attention. Ce principal portait le nom d'un boulevard parisien. En ce dernier Noël d'avant 2015, les parents n'estimaient pas incongru de faire un présent au professeur de leurs enfants.
        Mes vingt-cinq élèves de 6e 1 rivalisèrent de cadeaux, même ceux qui m'avaient le plus humilié (il n'y a rien de plus humiliant, croyez-moi, que l'indiscipline de petits merdeux ; « J'en suis encore toute tremblante », disait une caissière) : Valet, petit con insolent, qui me prenait pour un "tout, mais tout petit garçon", m'a offert une minuscule lampe de poche de trois sous en faux plaqué-or ; je l'ai conservée longtemps. Tous ces enfants natifs de 2003 sont à présent quinquagénaires. Je n'avais que douze ans de plus qu'eux. Mes cadeaux recouvraient toute une table de la salle des profs, parce que je n'avais pas su où les mettre, mais je n'étais pas peu fier d'étaler ainsi le produit de tant d'amour : aucun de mes collègues n'avait dépassé deux ou trois offrandes.
        Le proviseur, toujours entre deux gueuletons, rubicond, furax, vrombissait autour de ma table-exposition en tâchant de ne rien regarder. Ce fut au point qu'une jeune brune, à présent mémère, lui offrit pour la rentrée de janvier un superbe cadeau personnel, et comme nous étions tous à nous récrier – on l'avait surpris plus d'une fois l'oreille collée à la porte d'un cours - elle dit simplement : « Cet homme est seul ; il est immensément seul. » J'espère vraiment qu'ils ont couché ensemble. Le proviseur est mort l'année suivante. Personne, à St-Blase, ne l'a regretté. En revanche, la 5e2,  que je chouchoutais, dont j'aimais le plus les filles, ne m'offrit qu'une ou deux insignifiances, parmi lesquelles un numéro du Canard Enchaîné soigneusement enveloppé, que j'avais déjà lu (les filles se murmuraient l'une à l'autre à l'oreille : « Il l'a déjà. »).
        Je feignis une vive surprise, et le contentement le plus marqué. On se croit aimé, on ne l'est guère ; et ceux qui vous ont le plus chahuté conservent le meilleur souvenir de vous. Cette même année survint la Galaxie Quatorze, de nos jours encore incompréhensible : plus question de cadeaux petits-bourgeois lèche-cul. J'ai retrouvé plus tard, en Turquie, la coutume des cadeaux, quoique en moins grande quantité ; mais j'étais aimé sans l'être. Ce n'était plus qu'une tradition, qui disparut là aussi l'année suivante.

  • Tiens, ça marche

    Ce blog marche, c'est un véritable miracle. J'aimerais bien que l'on m'en supprime un ou deux, mais l'administration visiblement a autre chose à faire. Elle peut me contacter par téléphone, ma voix ne mord pas. Au pied des canisses, le hérisson F.JPG