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Le Singe Vert - Page 56

  • Reflux

    Le fossé d'un coup s'était creusé. Le sol s'était dérobé. Tel ancien instructeur militaire et vieux beau, monsieur Dufil,  sensiblement plus âgé que moi,  raconta que les filles une année cessèrent de le voir - avant cela, il avait été bel homme, avantageux, portant beau ; malgré la différence d'âge, elles se disaient en le lorgnant : « Il devait être bel homme  en son temps ». Soudain, d'une rentrée à l'autre, elles n'ont plus levé le nez de leurs classeurs. Il ne vit plus que têtes baissées  prenant  notes sur notes sans désemparer - «de ce jour », confiait-il, « j'ai compris que j'étais de l'autre côté» .  Dans le camp des vieux. Pour ma part, ce fut très exactement l'inverse : c'était moi jusqu'ici qui considérais les filles avec intérêt, voire convoitise ; du jour même où je m'aperçus à quel point mes petites élèves, même de 18 ans ou plus, n'étaient plus à tout prendre que des tendrons, des gamines ! - elles cessèrent sur-le-champ de m'émoustiller ;  une rentrée des classes où je les vis petites gonzesses, trop vite poussées, qui se grattaient frénétiquement l'air hagard, en se demandant ce qui leur arrivait, ce que c'était que ce jeu, que cette Loi - je ne les ai plus désirées, c'était bien fini, j'ai voulu prendre ma retraite.  
      

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     Reflux du charnel, reflux de la vocation. Moi aussi j'étais vieux (jamais les filles ne m'avaient trouvé beau ; du moins jamais elles ne l'auraient dit). Sauf Dijeau peut-être, qui m'aurait bien sauté - « ça va pas non ? »  disait sa voisine – cette dernière, Peinton, je lui ai donné trois cours d'allemand ; quand j'eus posé ma main sur la sienne, elle ne revint plus ; me dit ensuite, devenue fort laide « Je ne sais pas pourquoi, mais les garçons, ça ne marche jamais », d'un air de lassitude inouïe, mi-alcoolo,  mi-lesbiaco. Puis-je dire que cet amour des ados, émis, reçu, tournait parfois au manque de respect, de leur part, et de la mienne : ils se moquaient gentiment de moi, me pensaient leur égal ; or je me souviens bien que les soldats se livraient à un jeu, dans la cale ouverte du bateau qui nous ramenait du Maroc : un homme de troupe se tenait au centre, où il se faisait subrepticement toucher, puis devait deviner celui qui l'avait ainsi atteint.
        L'autre bien entendu se retirait vivement, dans une feinte bousculade. Si le touché décelait le toucheur, ce dernier prenait sa place. Mais le sergent ne voulut jamais se joindre au groupe, même s'il était invité sur un ton bon enfant. «Pour ne pas perdre son autorité » me dit mon père. Moi non plus je ne voulais pas perdre mon autorité. D'où les malentendus. Ami, mais prof. Sans l'un ni l'autre, c'était impensable. Ma première surprise d'amour se concrétisa pour Noël 2014. J'avais alors 23 ans, et l'on m'avait confié une classe de sixième. J'ignorais tout de la pédagogie, posais ma question, l'interrompais par une autre, précipitais mon débit, accordant toujours la priorité au déroulement du cours sur la  stricte discipline (l'art de la pédagogie, chers ignorants de mon métier, le Grand Art ou Grand Œuvre, consiste à orienter les questions de façon qu'ils se figurent à eux tous, et chacun d'eux, avoir tout découvert tout seuls ; ces charmes ont toutefois leurs limites, et ce qui me lassait le plus, à la fin, c'était de prévoir sans risque de me tromper les questions, les réactions, les insolences, qui survenaient à point nommé : il ne m'intéressait pas, ou plus, de manipuler des esprits).
        En ces temps reculés, nos proviseurs avaient droit de regard sur la pédagogie de leurs subordonnés ; ce temps reviendra peut-être hélas, car il n'est rien de plus humiliant, et la mode est à l'humiliation, au caporalisme

  • Problèmes logistiques

    Merci à ceux qui me suivent sur ce blog, créé en remplacement d'un autre, que j'ai fini par récupérer. Les visiteurs, avec le nouveau mode de comptage, se révèlent bien moins nombreux. Cela flanque un coup à l'ego, mais il y a plus d'exactitude. Multiplier les comptes est peut-être un moyen d'attirer plus d'audience, je n'en sais rien. Voici une photo pour commencer. Je ne parle pas des récents évènements tragiques, estimant qu'il y a déjà bien assez de conneries publiées là-dessus sans y ajouter les miennes. Avec toute ma cordialité, à charge de revanche . Porte à Tulle.JPG

  • Atalante aux cuisses nues

    Cette petite facétie sagittaire est rappelée dans une lettre où le poète sollicite un dégrèvement d'impôts : certificat de vérité. Ne manque plus qu'un raton laveur. Alors, comme le ton s'étiole, Sidoine Apollinaire se lance dans un sinueux rappel mythologique, sous forme d'énigme, avec un double balancement comparatif : tour de clown acrobate, rivalisant avec Alcon. Ce nom grec n'est pas une plaisanterie : un homme tua d'une flèche l'énorme serpent qui étouffait son fils. Plus fort que Guillaume Tell le Fictif. Il éprouva "plus" de crainte "que" l'enfant, nato (...) plus timuit, "enlacé par un serpent", serpentis corpore cincto. En même temps, il se montrait "moins habile à balancer ses traits", ses javelots, lui aussi, quand il ne s'agissait que de les lancer "contre l'ennemi". De plus (quel poète, ce Sidoine), il donna la vie et la mort à la fois !
     

    La terrasse en plongée.JPG

       De même Majorien délivrera-t-il l'Empire romain pris dans les anneaux étouffants des Barbares... V, 157, 60 08 08. Mais le corps du serpent et celui de l'enfant s'étaient tant emmêlés ! La lecture conjointe du grand Gibbon m'éclaire sur l'hypocrisie des occupants barbares, qui n'hésitaient jamais à outrepasser leurs droits pour peu que leurs caprices les en sollicitassent, et la complaisance des gouvernements romains qui les appelaient leurs hôtes et leurs amis... Pendant ce temps, Majorien donne dans le vide de grands uppercuts avec sa main gantée : decernere cestu. IL "fait du sport". Il écrase Eryx, immémorialement mort, et Sidoine déroule ses évocations de passé glorieux, invoque Sparte et le "gymnase de Thérapné" où Pollux "terrassa Amyctus sur les sables des Bébryces", dont je me fous éperdument.
        Sidoine était-il con ? Ou toute son époque ? Ou les milieux du pouvoir seuls ? Furent-ils tous ainsi frottés d'ail militaire, tandis que de puérils ludions poétiques leurs torchaient le cul de leurs babioles en tâchant de bouffer leur argent ? Me serais-je donc entiché d'un esprit frivole, nourri de sottises – "Quelle vigueur dans les jarrets !" s'exclame-t-il, Qui vigor in pedibus ! - plutôt le "jeu de jambes" des boxeurs. Comment peut-on extrapoler de la force physique à la capacité de soutenir un Empire ? Euryale dans l'Enéide prétendait-il à quelque gouvernement ? C'était le pédéraste de Nisus, tous deux périrent noblement ; voici "Parthénopée, fils d'Atalante", qui vient à la rescousse : un coureur, digne de sa mère, dont Sidoine ne peut s'empêcher de rappeler l'exploit cent fois relaté, accrochant ses wagons sans trève les uns aux autres pourvu qu'il puisse sans fin déblatérer ("lui dont la mère, volant sur la poussière d'Etolie, avait fait frémir Hippomène") - hélas ! nous seront encore infligés les épisodes de ce conte, sans en omettre un seul détail (Eryx, Pollux et Parthénopée ne furent qu'effleurés : il fallait bien célébrer quelqu'un ! Ce sera "la jeune athlète",
    Atalante, cuisses au vent, "sous les yeux du public frémissant".

  • La maison qui domine, version claire

    La maison qui domine, version claire.JPG

  • Citations mystères

         92.    Les imbéciles ! ils paieront ça ; ils paieront leur dédain pour tout ce qui est beauté,grandeur, noblesse de la vie... leur rêve de                    toute une humanité en savates, en gilet de laine,
                        en bretelles flasques, qui acceptera de vivre dans des cabanes à lapins, sur des ruelles de gadoue,
                        du moment qu'il n'y aura plus de patrons, plus de femmes trop bien habillées, qu'on en fichera le
                        moins possible, et qu'il sera assuré aux ex-damnés de la terre un minimum de six heures par jour pour
                        jouer à la belote ou pêcher à la ligne.

    Belle pine d'ardoises à Tulle F.JPG


                        Jules ROMAINS
                       
                                  "Les Hommes de Bonne Volonté"
                                         id. ibid. T. XXIV
                                       "Comparutions" p. 69
                       
                       
                       
                       
                       
                       
                                  
                       
                            93.    On nous dit qu'en suivant Hitler le
                        peuple allemand proteste contre des injustices
                        qu'il aurait subies, ou se prépare à assouvir un
                        besoin de revanche. Oui, sans doute. Mais il
                        acclame encore plus l'homme qui, par des
                        incantations délirantes, l'arrache à des années de
                        dépression nerveuse, qui, par des cérémonies
                        néo-barbares, lui prodigue les secousses,
                        l'ébriété ; qui, en lui faisant persécuter les
                        Juifs,brûler les bibliothèques,lui procure, à                   lui, peuple cultivé, le plus grand scandale
                        intérieur. Les Allemands savent qu'avec Hitler,
                        quoi qu'il arrive, ils ne s'ennuieront pas.
                       
                                           Jules ROMAINS
                                  "Les Hommes de Bonne Volonté"
                                T. XXV - "Le Tapis Magique" p. 127
                       
                       
                       
                            94.    Pourquoi ce qui est délicieux à vivre
                        serait-il honteux à décrire ?
                       
                                         id. ibid.  p. 199
                       
                       
                       
                            96.    Je me disais souvent que la carriŠre de
                        s‚ducteur de femmes devait ^etre trŠs difficile,
                       
                       
                    qu'il était donc un peu trop commode de la
                        m‚priser chez autrui, que les raisins étaient trop
                        verts, etc... Il en r‚sultait une admiration
                        involontaire, et assez aigre, pour ce type
                        d'hommes ; l'id‚e que dans leur genre ils
                        formaient une classe hautement douée et
                        privil‚gi‚e. Et comme tous n'offrent point de dons
                        physiques ‚clatants, il fallait aller jusqu'à leur attribuer soit une sorcellerie, soit un
                        rayonnement vital d'une puissance myst‚rieuse,
                        bref des formes de sup‚riorit‚ que rien ne
                        remplace, qu'aucune ‚tude ne procure, et dont, si
                        l'on veut ^etre tout … fait sincère, l'on ne se
                        console point d'^etre privé.
                       
                                           Jules ROMAINS
                                   "Les Hommes de Bonne Volonté"
                                 T. XXVI - "Fran‡oise" pp. 55 / 6
                       
                       
                       
                            96.    ...il est immoral de faire les choses
                        loyalement, et il est moral de les faire
                        hypocritement.
                       
                                         id. ibid. p. 226
                       
                            97.    Ce qu'on annonce de mauvais est presque
                        toujours vrai.
                       
                                           Jules ROMAINS
                                   "Les Hommes de Bonne Volonté"
                                  T. XXVII "Le 7 Octobre" p. 296