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Voyage - Page 3

  • Balustres de Tulle

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  • Conques-en-Rouergue


                Conques-en-Rouergue est très exactement l'illustration de la prostitution touristique : ses habitants jouissent  en effet d'un bon niveau de vie grâce au prix de leurs restaurants et de leurs glaces, de leur parking extérieur, et de l'abaissement leur patrimoine artistique, souillé par les élucubrations d'un vieillard égrotant, j'ai nommé Pierre Soulages, peintre jadis extraordinaire muté en vitrailleur de palissades ; il a désormais son musée à Rodès, et régnera quelques siècles encore : en effet, les impostures ont la vie dure. Cette carte longiligne fut achetée dans la préfecture de l'Aveyron, d'où il est impossible de faire l'aller-retour en autocar dans la même journée, ce qui contraint soit à l'automobile, soit à la nuit coup-de-bambou à l'hostellerie.
        Voilà qui est vicieux, et marketing en diable.  Notre illustration est de 23 SUR 9 cm. Cette surface est partagée par une diagonale irrégulière, mordant d'1cm 1/2 sur la longueur du haut et d'une distance équivalente sur la larguer de droite, en bas. Les trois flèches de l'abbatiale de Conques (prononcer «Conches ») mordent sur la verdure : les petits arbres clairsemés du versant nord, inhabité, quelque peu pelé, à peu près verdoyant. Ces magnifiques bâtiments sont aux deux tiers de la longueur, un peu plus vers le bas que vers le haut : les règles de la prise de vue sont excellemment appliquées. L'abbatiale, maintes fois décrite, forme un ensemble de pierres blondes et de toits d'ardoise (nef, chœur et transept bien identifiables en perspective cavalière), et Dieu merci n'exhibe aucune des verrières de buanderie dont l'ex-artiste cité plus haut s'est efforcé de la saloper : en effet, les abat-sons ne présentent plus aucun de ces fac-similés de planchers vitreux.
        D'autres maisons, vues par le toit, occupent le coin gauche, cernées ou infiltrées de verdure vive. L'une des façades présente un colombage, un toit pousse son gros gland gris qui vaut bien le gros sexe brun décrit par Miss Deforges,  pignons et gouttières s'encastrant harmonieusement les uns dans les autres, sans pesanteur, avec une parfaite authenticité. Nul Office du Tourisme n'a éprouvé le besoin de les retoucher, de les moderniser – de les « améliorer ». Elles sont très bien au naturel. Tout en bas à gauche, une ingénieuse et brève oblique de petite route d'accès ou de contournement. Nous décelons aussi, au coin supérieur gauche, un triangle de lointaine canopée verte,  progressivement élargi vers la droite, décliné en volants d'éventail ou de coquillage tournant ; le clocher, les deux tours du portail y fichent leurs sobres pyramides. Au pied de ce monument de profonde piété s'étale une officine invisible d'ici, où les souvenirs, babioles d'Eglise et cartes postales, se vendent à des prix parfaitement accessibles aux budgets de Hollande ou d'Anglo-Saxonie. 

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        L'agglomération se poursuit dans un autre triangle de toits, tout aussi typiques, dans le coin droit du bas. Ainsi soit-il.

  • Suisse

    Il est de belles cartes postales; Celle-ci est hideuse. Elle mêle dix motifs maladroitement fondus destinés à vanter les charmes du Switzerland (c'est ainsi qu'on l'appelle au verso, en ce langage anglais qui souille tout ce qu'il touche). Le recto représente, de haut en bas et de gauche à droite, sans séparations de mise en page : un chalet, une falaise alpestre, des sonneurs de ces trompes que l'on pose en terre, de lointains sommets baignés de nuages ; une marmotte brandissant un drapeau suisse, deux cabines de téléphérique en pleine vertigineuse ascension, deux saints-nernard.
        La rangée inférieure offre à nos yeux incrédules un paquebot sur le Léman, une vache tachée de roux dont la mamelle gonflée soutient un pétale de Vergiszmeinnicht, dont un autre pétale embroche par superposition l'un de ces petits trains d'altitude, rouge et jaune comme un jouet sous les pentes neigeuses. C'est un bric-à-brac, un panorama dont chaque image parasite et ternit sa voisine. Accumulation indigeste où l'oeil de bonne volonté décèle un certain ordre : une première horizontale coupant le cou de la marmotte et de son pavillon helvète, suivant le haut de l'herbe au pied des trois sonneurs de pipes, lingne aisément prolongeable à droite par une crête de ravin.
      

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     Sous la marmotte une autre horizontale se devine, ondule entre les cornes et sur l'échine de la vache, ne prenant sa netteté qu'au dessus du petit joujou ferroviaire. Verticalement, si l'on y tient, le rebord de cliché du chalet coupe en prolongation le drapeau à croix blanche sur fond rouge, emprunte le cadre d'une fenêtre sur le téléphérique, une crête plongeante et tranche le chanfrein de la vache : cette ligne est créée par l'esprit... De même la queue du bovin, le cul du gros chien dans l'herbe et le milieu du panorama esquissent-ils une  ondulation verticale, permettant à la rigueur de tenir compte, chez le concepteur, d'un sens de la symétrie (3 fois 3 plus 3 fois trois à la verticale) habilement contrarié par le mouvant des lignes et l'intrusion d'un perce-neige entre le pis, la croupe et le train.
        Le tout démoigne hélas de la plus piètre mièvrerie destinée juste à l'émotion des rombières à chachat ou de leur lénifiant mari : c'est confortable, aimable, et bien joli sur les murs du salon - plutôt, de la cuisine : ça plaira à la bonne. Voyons ce chalet, quitte à ne pas achever ce travail : n'est-il pas confortable, à côté de ces branches de conifère enneigé, avec ses deux niveaux de balcons de bois brun, dont l'inférieur se chatouille d'un museau de marmotte hors échelle ? avec son drapeau suisse sur le seuil, par la magie des empiètements d'illustrations ? Comme on doit s'y sentir à l'abri, derrière ses poutrelles de bois et ses paires de rideaux symétriques ?
        Ne dirait-on pas que l'angle droit du balcon surplomne une rude pente à 70 degrés, dont les strates horizontales se voient rayées de vertigineux ravinements où vous glisseriez sans pitié ? "Hauts sont les monts, et profonds les vallons" - mais revenons aux Alpes : elles dressent à l'arrière-plan leurs falaises en rangée de dents plates, avec leurs ressauts d'éboulis, au-dessus de la rive d'un lac qui s'étire entre les jambes des hommes. Rien en effet ne doit manquer à cette évocation globale de tout ce qu'il faut voir (et entendre) dans ce beau pays. Trois bons bourgeois ou éleveurs de Suisse, sous leurs chapeaux et leurs lunettes noires, soufflent à l'unisson dans ces fameux cors helvétiques, si lourds qu'ils reposent sur l'herbe, la bouche triplement ouverte.
        Ils portent veste rouge et pantalon noir, et jouent à même l'herbe, maintenant à mains jointes les immenses tuyaux dorés parallèles, et ce grand motif aurait bien suffi à la carte tout entière : salmigondis pour touristes pressés.

  • Je vais et je viens

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        Je dois vous faire part d'une étrange aventure. Parfois en pleins champs, les ploucs et les Parisiens organisent une grande "frairie" ou fête de village. En plein Poitou, l'on dispose un parking, sur l'herbe, où des locaux vous guident ingénieusement, vers telle ou telle place libre. Ce jour-là, sans savoir ce que l'on fête, je suis l'un d'eux. Par petits gestes des mains je fais reculer tel ou tel, sur l'herbe coupée, sur l'andain disait-on. Mais celui-ci, souillé des pneus, ne pourra se récolter. La troisième voiture est conduite par un jeune chasseur, très aimable. Mais, travail oblige, nous ne ferons pas plus ample connaissance.     D'autres fonctions m'appellent à Toulouse, à plusieurs heures de route. C'est un pari que je me suis fait, une sorte de voeu, absurde et dangereux : faire le tour de la ville, à pied, par la rocade. C'est de quoi se faire tuer, surtout dans cette brume particulièrement tenace. Nous commencerons par le flanc ouest : la Cépière, la Faourette. Le côté est (Croix-Daurade, Aucamville...) - sera pour une autre fois; et même, soyons fous, je pousserai jusqu'à Montastruc-la-Conseillère : rien de plus beau que l'église de Montastruc-la-Conseillère. Et pourquoi pas plonger plein sud, vers St-Girons. Après tout, les nationales ne sont pas si dangereuses.
      

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     A cette heure-ci, je peux même emprunter les pistes cyclables. La brume se lève. Des formes humaines marchent à ma rencontre : un jeune père, une jeune mère et l'enfant, qui vont d'oùm je viens, expulsés, sur la route, ou la piste cyclable, c'est tout un. Ce sont eux, les monuments remarquables. Ils ne figurent sur aucun dépliant touristique. Et peut-être pourrais-je fouiller le fond de mes poches, y retrouver un vieux chéquier blotti là, et nous payer à tous les quatre une chambre de location, à St-Girons, Cintegabelle. Et puis je descendrais seul, en secret, de nuit, au rez-de-chaussée. Elle ne dirait pas non, nous resterions discret, car l'enfant a le sommeil léger.
        Puis je rejoindrais la chambre, minuscule, sous le toit, prenant le jour par une tabatière coulissante, un vélum de plastique. Et dans cette femme fugitive, s'inscriraient les traits d'Arielle, laissée si loin vers le nord (Mamers,Sarthe) ou de Véra, coincée dans une location perdue de Lozère : tout un rassemblement d'errances humaines, de petites habitudes, d'abonnements aux douches municipales. L'enfant serait une fille, Lucinda, qui tenterait avec application de lire toutes mes notes, dans un petit carnet rouge de voyage qui ne me quitterait pas, où je note mes trajets, les citations de mes lectures, et je me réjouirais de ses efforts :  "Bientôt, tu sauras lire couramment !" Nous serions heureux dans ce lieu indécis, parce que tous nous changerions de visages, progressivement, sans cesse, comme autant de nuages...

  • Croisière gastronomique

        J'aurais horreur des croisières, et plus encore gastronomiques. Il est pourtant bien sympathique, l'artiste en cuisine Michel Roth, à la tête de 10 Meilleurs Ouvriers de France, sur le Lyrial. Navigation de Venise à Dubrovnlk et retour, du 25 au 30 août 2016. Tout cela figure sur le carton publicitaire du Point n°2247. C'est un homme jeune, disons la quarantaine (quelle époque..), dûment toqué de blanc (le haut du bonnet dépassant le cadre), brun, le front forcément surbaissé, la face large, caucasienne et avenante, le sourire endenté, le regard direct et franc. C'est ainsi qu'un chef cuisinier doit se présenter, avenant, compétent, accessible, et c'est ainsi qu'il se présente : un cordon bleu, mais aussi blanc et rouge, se tresse élégamment sur le blanc de son tablier de professionnel haut de gamme.
        Ce collier tricolore se retrouve au sommet du rectangle de présentation, sur la ganse de la toque plissée. Notre palais ne sera pas déçu : la Croisière Gastronomique en est à sa "3e EDITION", avec la même équipe de maîtres-queux. Le Lyrial naviguera de façon "époustouflante" "au sein des Bouches de Kotor", alias Cattaro ; mais pour attirer une clientèle aisée ("A PARTIR DE 3 290€ / pers."), donc amatrice de stabilité et de tradition, rien ne vaut, juste à côté du cuistot-chef, blanc sur fond gris perle, une vue de gondoles pontées bleu ciel et dont les trois proues (feri de prova en vénitien) se dressent, blanches et parallèles, sur le côté gauche de cette vignette.
        

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    Le cadrage "face-épaules" ici laisse place à une vue générale de 28mm sur 20, qui réussit à étager six plans parallèles : en premier les proues, donc, puis les pontages, les poupes surélevées d'où officie le gondolier (nous en apercevons trois de plus en perspective). Ensuite, entre elles, un bras de lagune bleu clair, un autre appontement peut-être, bordé de piliers d'estacades (les détails s'amenuisent, mais nous distinguons, à l'arrière-plan, diverses constructions en hauteur, clochers ou campaniles). Cela forme donc un quadrillage, aux verticales et horizontales judicieusement équilibrées, de façon à ne pas encager le regard. Comment résister à ce programme enchanteur, de nos pupilles à nos papilles...