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  • Fattica

    Je suis fatigué. Wo lèy. Ik ben moe. Panter des clous dans l'aggloméré, je vous le recommande. Charrier un meuble et le remonter, à l'étage et dans sa forme, ça reste à faire. Occupons-nous. Soyons heureux. Notre cercueil au moins sera livré tout monté. Puis descendu. Le fossoyeur faisait le tour des assistants, blême, casquette tendue comme une langue. Je n'ai pas osé donner de l'argent, parce que ma femme m'aurait engueulé. Le jour des funérailles de sa grand-mère, ça l'eût mal foutu. Quand même.

    Monsieur l'artisse, tu pourrais me contacter si tu reconnais ton oeuvre, au lieu de m'attaquer courageusement par derrière avec trois avocats payés à guetter les infractions ? ...Parce que je ne fais absolument PAS CONFIANCE en la justice de mon pays.

     

    Le Singe Vert.JPG

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  • Arthur Golden, "Geisha"

    Arthur Golden est un spécialiste du Japon ; nous serions curieux de savoir ou du moins de voir ce qu'est ce style "toguro" : rien sur Wikipedia, sauf ce samouraï très méchant pour mangas nippons. "Enfin, sortant de l'arrière-salle, Mameha fit son entrée dans un riche kimono crème, ourlé d'un motif aquatique." Le kimono révèle aussi bien le rang social que le raffinement de sa propriétaire.

    Le Singe vert du passage à niveau.JPGD'autre part il est culturellement naturel qu'une future toute petite geisha s'intéresse à ce qui sera un jour une partie d'elle-même et de son âme séductrice, car tout est symbole. Recopions Wikipedia, ce qu'il ne faut jamais faire : "Le choix d'un kimono est très important ; le vêtement ayant tout une symbolique et la façon de le porter comportant des messages sociaux qui peuvent être très précis. Tout d'abord, une femme choisit le kimono suivant son statut marital, son âge et la formalité de l'événement." Nous n'en dirons pas davantage, non sans nous demander s'il était bien conforme à cette entrevue de porter un vêtement aussi luxueux. "Tandis qu'elle ondulait vers la table, je me tournai et m'inclinai particulièrement bas sur ma natte".

    Jamais notre fausse narratrice ne manque d'indiquer ses inclinaisons. Peut-être un auteur vraiment japonais ne l'eût-il pas marqué à ce point. "Quand elle fut parvenue là,

     

    LE SINGE VERT DU PASSAGE A NIVEAU CHER ARTISTE MANIFESTEZ-VOUS AU LIEU DE ME COLLER UN PROCES AU CUL MERCI

     

    elle se laissa tomber à genoux face à moi, prit une gorgée de thé, et me dit : "Eh bien..." Il n'y a pas de chaise. La table est basse. Les Japonais ont-ils plus de varices que nous ? "Chiyo, n'est-ce pas ? Raconte moi donc comment tu as réussi, cette après-midi, à quitter ton okiya. Madame Nitta n'est sûrement pas favorable au fait que ses servantes s'occupent en plein jour de leurs propres affaires, ou bien ?..." Chi-yo ne s'étonne pas d'être abordée sur un ton protecteur : elle est reçue, en tête-à-tête, par une grande dame. "Je ne me serais jamais attendue à une telle question, et je ne savais pas très bien ce que je devais dire, même s'il eût été impoli de ne rien répondre du tout. Mameha buvait son thé en silence et me regardait avec sur son visage ovale une expression amicale. Elle me dit alors : "Tu penses peut-être que je vais te faire des reproches. Mais je veux juste savoir si tu as éprouvé des difficultés pour te rendre ici."

    Voilà qui change des rebuffades et des humiliations.

    De quoi désorienter plus encore.

     

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    Nous sommes à présent début 1940, et notre geisha comptera bientôt vingt printemps. La guerre va durer six mois, le Général Tottori, sale et mal élevé, devient le danna de Sayuri, avec une petite touffe de poiol aubas du ventre d'où peine à émerger une pine sans attrait. Mais elle a rencontré un jeune homme, pas très riche. Comment tout cela va-t-il finir ? Nous ne saurons que dans quelques moi, car à onze pages d'allemand tous les quatre jours, de 414 à 574, cela fait 160. Donc, divisé par onze ... cela fait quinze séances. 15 fois quatre, 120 journées, pas de Sodome, quatre mois, à la louche, soit début avril. Mon Dieu mon Dieu ! ce n'est point désagréable, mais cela m'occupe l'esprit un peu trop.

    Ainsi donc j'écris des chefs-d'oeuvre, mais je ne sais pas me tenir en société, et je peux aller chier. Quelle grossièreté pour un fréquantateur de geishas ! je m'y perds, entre tous ces vieux messieurs richissimes, coiffés sur le poteau (pas le leur) par un jeune homme charmant, et un général grossier, qui baise en buvant de la bière. Elle respecte le sieur Nobu, autrement dit Nobu-san. Elle suppose qu'il la regrette. C'est lui qui reproche à cette jeune femme de la fuir. Mais, "que devais-je donc faire ?" dit-elle (et non pas "se défend-elle", car on peut "dire quelque chose", alors qu'ici le verbe "se défendre" serait intransitif). Ce qui rend ce livre si facile à lire, c'est que tout y est exprimé.

    Il n'y a point d'ellipse. Juste de la narration, et du dialogue explicite : "Je pensais que vous aviez définitivement disparu". Mais elle a cherché à le revoir. Elle a erré autour d'une maison de thé où il se rendait régulièrement, hors du quartier habituel. "Si Takazuru n'était pas venue me voir en larmes, pour me dire combien vous la traitiez mal, je n'aurais jamais appris où je pouvais vous trouver". Takazuru est un tronc d'arbre sur lequel un igre se fait els griffes ; ce tigre, c'est Nobu-san. Il se soûle, et complimente cette pauvre fille sur l'odeur de propreté dégagée par ses cheveux. Et comme elle se réjouit - enfin un compliment ! - il ajoute que pour une fois, "ça change".

    On n'est pas plus aimable. Aussi, Takazuru est-elle venue trouver Sayuri, la regrettée, pour la prier d'arranger les choses. "Eh bien oui, je me suis sans doute comporté un peu grossièrement envers elle". Savoir si par-dessus le marché on couche ou non avec la geisha n'est pas chose aisée à démêler : c'est une forme de rapports très codifiée, la geisha peut refuser, même si l'homme l'entretient. Sauf s'il s'agit de son protecteur officiel, son danna. Mais le statut de la geisha surpasse de loin celui de la pute : elle est respectueuse, et respectée. "Elle n'est pas aussi intelligente que toi - ni, surtout, aussi jolie" - ma traduction ne tient pas compte des subtilités allemandes, elles-mêmes transcrites des subtilités anglaises.

    J'ai cependant observé que les prostituées restent très sensibles aux attentions et aux compliments. C'était du temps où je pouvais bander. Ô nostalgie ! "Et si tu crois que je puisse être en colère contre toi, tu as tout à fait raison". Ô clients pleins de subtilités ! ô véritables rapports humains dépourvus de brutalité ! intermédiaires si riches entre soumission et mondanités ! sincérité en l'absence de sexe ! On peut aimer sa partenaire d'amour codifié sans risquer de balle dans la tête ! mais que savons-nous des rapports de luxe ? je n'ai connu que les putes à trottoir. Cela intéresse peu. "Puis-je demander comment j'ai pu à ce point fâcher mon vieil ami ?" En parfait japonais littéraire.

    Sous les mondanités, la subordination. Mais tous les avantages de la subordination, réversible, par l'exaltation des pouvoirs du charme et des amours plus ou moins feintes. L'homme dominateur et soumis, la femme soumise et dominatrice. Mais, pour finir, dominée par le patriarcat : on n'échappe à un homme que pour en choisir un autre, plus raffiné, plus riche, plus susceptible d'être aimé, ou du moins, estimé. "Nobu s'arrêta" (ils sont en promenade) "et me regarda d'un air terriblement triste". Il reste à dire que ces sentiments ne sont peut-être pas plus artificiels et convenus que nos sentiments à nous autres occidentaux : les héros de ce temps-là jouaient avec la plus grande subtilité sur le fil qui sépare le naturel du factice.

    "Je sentais monter en moi comme une vague d'inclination à son égard, comme je n'en ai éprouvé dans ma vie que pour très peu d'hommes". Il est vieux, elle a de l'estime pour lui, un sentiment très fort et très subtil, qui n'est pas cependant de l'amour, mais plus que de l'amitié. La "Zuneigung", en allemand, quelque soit le terme anglais d'origine, exprime le "penchant", la sympathie". Toutes ces nuances du tendre auxquelles on échappe hélas trop souvent dès la fin des adolescences, toutes ces gammes qui cessent peu à peu de se déployer. "Je me figurai combien je l'avais regretté, combien je m'étais fâcheusement joué de lui". En effet : avoir fait monter les enchères de sa propre possession, du moins l'avoir laissé faire par son okiya, son établissement, puis s'être dérobée, au profit d'un général malotru - voilà qui pouvait fâcher un acquéreur sensible.

    Plus on paye, plus on aime. Ce qui semble s'appliquer à la prostitution, même de grand standing, se trouve aussi pourtant au Moyen Âge français : l'ami, c'est celui qui vous offre de l'argent, ou des cadeaux. Un seigneur doit avoir de la "largesse". "Que sont mes amis devenus" parle aussi de l'argent que Rutebeuf ne recevait plus. L'amour et l'argent, et le cadeau, n'entretenaient pas des rapports aussi apparemment désintéressés qu'ils feignent de l'être de nos jours. Nobu-san a l'impression de s'être fait plaquer. Tromper. Escamoter. "Mais malgré ma honte à la reconnaître, ma sympathie à son égard se mêlait à une trace de pitié"...

  • Cuisinière

    CHLOE CHARLES TELERAMA 3443 DU 9 61 16 -  63 04 02

    L'ILLUSTRATION REPRESENTE ANNE JALEVSKI, SOURIANTE, A LA FENETRE

    Souriante, à la fenêtre.JPGChloé Charles, 27 ans sur la photo, a gagné ses galons de chef-cuistotte, spécialité en dehors de mes préoccupations et de mes goûts, donc nécessairement vulgaire, car jamais je ne cache mes préjugés, fussent-il eux-mêmes les plus vulgaires qui soient. Elle est présentée dans un cercle, une bulle, alors que la photographie complète, visible sur la toile, présentent cette jeune femme en tenue de combat ou de profession, avec un tablier mauve et je ne sais quel plat au bas du corps. L'article de Télérama fut écrit deux ans plus tard. Elle porte donc autour du cou le lacet de tablier, plus un fin liseré plus clair, évoquant discrètement le « cordon bleu » qu'elle est.

    Ce cordon bleu, distinction honorifique, maintenait jadis la Croix de Malte sur les torses bombés de la meilleure aristocratie. Le corsage ou le tablier de dessous arbore une blancheur immaculée. Sort de ce petit V un cou ferme et puissant comme celui d'Albertine chez Proust, orné de cinq ou six grains de beauté discrètement disposés sur une peau blanche et crémeuse. Le /photographe a contrasté le menton et le sept huitième (profil à peine tourné vers nous, juste une demi-arcade et l'amorce des paupières au-delà du nez droit) en les enveloppant d'une ombre sensuelle : l'arrière-plan flou figure un cadre de miroir ou quelque plinthe de restaurant (le Septime en l'occurrence).

    Mon ignorance crasse de l'art culinaire n'a d'égal que celle de la photographie, ce qui prouve chez l'auteur un manque béant de sensualité : un reflet blanc barre tout le visage et s'enlève en perpendiculaire jusqu'au sommet du front bien dégagé. Le visage paraît en dessous de cette surimpression ou de ce reflet, comme un plat sous un nappé. Comment procéder pour obtenir un tel effet ? la photo complète montre une rue derrière une vitrine de restaurant. Les deux diamètres perpendiculaires se croisent sur une bouche souriante, naturelle, aux belles dents, exprimant la jeunesse, la santé, la bonne cuisine écologique professée par Chloé Charles, ainsi la joie de travailler, de s'accomplir et d'exceller. .

    Le port de tête droit, légèrement porté en arrière, ne montre ni affectation ni dédain. La cheffe est naturelle, bon enfant, professionnelle, et sourit avec une confiance - très communicative. 

     

  • Fottorino, Le dos crawlé

    Au restaurant OUvrard.JPG

    "Mes parents habitent dans la Corrèze. L'été ils sont aux champs du matin au soir alors ils me placent chez l'oncle Abel pour lui donner une autre compagnie que sa brocante, les  robes de ma tante et le fantôme du cycliste. Mon père il me garde un peu en juillet à remuer les bottes de paille. Je sens pas ma force avec mes biscoteaux qui soulèveraient un âne mort il dit. Mais ma mère le dispute et on m'envoie changer d'air à l'océan." Je me demande s'il a quatre ans ou dix ans. Est-il bien nécessaire qu'un fils de paysans (ça existait encore cette race-là) s'exprime avec ces phrases et cette pensée de débile ? Mais il me semble que je me répète.

    En tout cas, monter le foin dans le grenier au bout de la fourche, je l'ai fait dix minutes, et je ne le ferai plus : il faut sauter comme un abruti, et se faire engueuler parce qu'on ne saute pas assez. Paysans. "Pour aller se tremper on doit marcher jusqu'à la corniche et suivre l'odeur des beignets qu'un gars en tablier blanc pousse dans le sable sur une charrette à bras. Derrière la pile de gâteaux qu'il appelle "mascottes à la crème d'abriiii-cooots" c'est la mer partout. A marée haute je pose les yeux sur les beignets qui font comme des bouées rien qu'à les regarder. Vers onze heures je me prépare pour la plage quand une voiture de course s'arrête devant la maison d'oncle Abel. Le moteur reste allumé car les chevaux dessous le capot ils ont pas l'air commodes. Je crois que c'est des tigres comme dans la réclame pour Esso." Il est un peu taré le gosse, ou bien il fait semblant pour l'humour, mais c'est bien imité.

    C'est l'auteur qui fait de l'humour en pastichant le parler de l'enfance, enfin, ce qu'il croit être l'enfance. "Monsieur Contini dépose LIsa ou plutôt il la jette. Il demande à l'oncle s'il peut la laisser pour la journée "parce que sa mère...". J'entends pas la suite à cause des chevaux qui veulent décamper. Monsieur Contini est déjà reparti avec sa ménagerie de course." En prenant les adultes au pied de la lettre, le héros et l'écrivain les mettent face à leurs incohérences, et à leurs phrases en fait inachevées, disons, face à eux mêmes. "Oncle Abel il sait pas dire non alors qu'il a du passé plein son fourgon à décharger dans la cour. Il pas besoin d'insister pour que je prenne Lisa et c'est à ce moment que ça commence à me brûler au ventre. 2 Lisa est une petite blonde avec des barrettes au milieu des cheveux et cette manière des filles de dire "arrête" quand elles veulent qu'on continue. Elle a dépassé l'âge de raison et ça se voit parce qu'elle veut toujours avoir raison même quand elle se trompe. Quand elle parle elle bouge la tête comme celle du chiot montée sur ressort dans le fourgon d'oncle Abel. Lisa est fille unique ça veut dire qu'il n'y en a pas deux pareilles. Lisa elle a ni frère ni soeur et elle trouve que c'est mieux car elle a déjà serrée à l'arrière de la voiture de course." L'auteur s'amuse, finalement.

    Nous avons déjà, dans ce genre, les aventures du petit Nicolas de Sempé. Notons tout de même que les filles qui disent non pour "concon" tinue, c'est déjà dans Salinger. "En vrai ses parents ont une crevette de quatre ans mais on la voit jamais rapport à ce qu'elle est mongolienne et qu'elle habiterait très loin en Mongolie croit Lisa. Moi je sais bien que la Mongolie c'est chez les dingues. Son père travaille dans une banque et sa mère est très occupée toute la journée le soir aussi des fois. Lisa se plaint de ne pas les voir souvent." Bon sketch. "Je lui dis que c'est pas la mer à boire. Elle dit que sa mère est imbuvable." Ca vous a plu ? Moi aussi à la longue. Ne pas perdre de vue donc le fait que c'est un adulte, Eric Fottorino, qui raconte par la voix d'un enfant l'histoire de l'oncle Abel - Louis la Brocante, et de tous ceux qui l'entourent. Le dos crawlé, situé près de Royan, est en vente partout dans la collection "Folio", n°5515.

  • Texte de Daniel-Rops, entrelardé de réflexions plus ou moins stupides

    prend, et toujours se multiplient ces passerelles, tout vous rappelant forcément quelque chose, avec la régularité imprévisible des synapses – notre cerveau en gros cœur de Jésus en plastique sans cesse palpitant à l'étalage. Tu ne devrais pas être là ! Double sens. Va vite au lit, mon petit, et ne lis pas trop tard ! « Mon petit » ? Mon Dieu... Elle appelle ainsi, également, son beau-fils, Raphaël, qui porte le même nom de famille que la fille de la paysanne, fille naturelle du sénateur qui a décidément éjaculé dans tous les vases.Elle se pencha, regarda le livre que tenait la jeune fille, mais ne dit rien. Chiche que c'est Nietzsche.

    La boucle est bouclée. Qui venait de paraître en français. Avec ses maximes fières – très haut placée, la barre. Ce n'était pas le jour de lui faire, une fois de plus, entendre que ses goûts littéraires ne valaient rien. . À quelle heure partiras-tu demain, maman Laure ? Ce que je devine : dire et bien faire sentir à ma fille, dont je ne parle pas ici, jamais, que je l'estime telle qu'elle est, pourvu qu'elle ne veuille pas me convertir à ses intérêts, comme je n'ai plus tenté, très vite, de la convertir aux miens. À neuf heures trente, évidemment, afin d'être à Paris le soir. Lenteur des trains d'alors. Toujours pas de Guerre 14. Là périront Gabriel ou Raphaël, René peut-être, brillants lieutenants. Ou bien Laure, ou bien Jean, tel ou telle ; avant quelle catastrophe vivons-nous, en 2061?

    Combien de siècles avant quel Jésus-Christ ? « Tu me diras au-revoir avant de partir ? - dialogue plat et vrai. Se reverront-elles ? Est-ce l'adieu ? Nous sommes à 89 pages de la fin. En ce temps-là c'était commode : la fin du roman coîncidait avec le début de la Guerre, et tout le monde crevait ou survivait. D'ailleurs j'entendrai bien Etienne sortir la Couinette (le cocher passé chauffeur et la belle auto début du siècle qui couinait des ressorts). Elle se leva. Une petite toux sèche la secoua deux fois – donc il s'agit de la jeune fille, pourrie de tuberculose. Répétons-le : Flemmings breveta la pénicilline. Mais elle était déjà prête. Grâce à des Français.

    La Grande Boucherie pouvait se déchaîner. Elle ramassa la couverture de fourrure dont elle s'enveloppait et se dirigea vers la porte. Comme des mouches. Plus tard nos descendants diront : « Comment donc faisaient-ils pour se contenter de vies bornées à 101 ans ? » Chez Choiseul ne disait-on pas : « Dans notre famille ON meurt à 50 ans » ? Dis à papa qu'il nous laisse tomber comme une vieille chaussette. Il est bien loin papa. À Paris. Plus question du Bugey. Il fait carrière. Sous ses pieds serpente la trappe, le vieux chantage sur son crime si lointain, prescrit, mais dévastateur s'il est révélé, s'il est cru. Évanescente Alix..

    Il serait peut-être temps à présent, de revenir sur un épisode combien lointain : en ce temps-là, Maman Laure n'était qu'une petite pionne de boîte à curés. Elle faisait connaissance, dans le train, d'un ardent jeune homme, Jean lui-même, qui lui prêtait puis lui donnnait une traduction de Nietzsche, par lui-même, professeur d'allemand. Il était écrit là que l'homme, "par-delà le bien et le mal", devait se débarrasser de toute cette petite morale petite-bourgeoise du petit chrétien qui sacrifiait les faibles à l'épanouissement de son propre moi. Il fallait rester fidèle à soi-même, ce que l'on appelle "son âme". Alors, dégagé de toute pitié destructrice, on jouissait enfin du bonheur de sa plus haute réalisation particulière.

    Or le génie de Daniel-Rops consiste à faire suivre ces entretiens fiévreux de chemin de fer par l'agonie d'un magnifique prêtre, qui sonde les replis de toutes les âmes, et, tout mourant, rapelle à Laure qu'elle bouillonne de jeunesse, et qu'il ne faut pas perdre son âme, non plus. Mais que cette âme, loin d'être l'épanouissement de sa nature entière dans une grane jouissance, est l'émanation de Dieu, seule existence, seule essence qui vaille la peine d''être cherchée sans fin. Voici la ljeune héroïne, telle Hercule, à la croisée des chemins, que symbolisnet ces deux os croisés sous les têtes de mort : recherche du Tout dans le Moi, ou du Moi dans le Tout ? Pour l'instant, le réflexe est de dire "plus tard... plus tard..." Malgré les risques de commérages, elle se donne donc à cet homme, où elle le prend, Puis l'histoire suivra son ccours, jusqu'à cet assassinat de la rivale, et à l'adoption de ses deux enfants. Donc, deux versants s'offrent à elle pour tteindre le sommet : celui de Nietzsche, liberté, folie ; celui de l'Eglise, l'âme. Ne jamais perdre de vue son âme, ou ne jamais perdre de vue son énergie. Ce qui revient au même, seulement, les escarpements sont disposés tout à fait différemment. Et voici les réflexions qui se bousculent dans le coeur de Laure Malaucène (eh oui...) :

    "Quand elle avait entendu l'abbé Tarlouze pardon Pérouze lui parler du juste ou de l'injuste, et lui interdire d'exiger, elle avait compris; mais non accepté. Il lui arriverait d'imaginer l'instant où Jean la quitterait, où elle devrait céder à son affreux destin. Et alors ce n'était pas l'idée de sa souffrance future qui la torturait, c'était le sentiment de tout ce qu'elle avait déjà souffert. Elle se ressouvenait de la nuit maudite, dans les marais de Lavours, de cette douleur cuisante éparse en tous ses membres, de son accablement de son désespoir. Elle revoyait ces ombres maléfiques qui étaient venues tourner autour d'elle quand elle avait dû se laisser aller à terre pour se reposer un instant, et elle remâchait le mot qui lui revenait sans cesse à l'esprit : "Injuste ! Injuste !" Injuste aussi cette honte, qui lui avait été infligée par Irène ; injuste, ce vain amour que Jacques Malessert lui avait dédié ! Injustes, sa maigre vie, sa cellule, ses classes monotones !" Même l'injustice ressentie par les autres, elle la ressent. Elle a dû fuir d'une maison parce qu'on voulait amicalement la violer. "Injuste, sa beauté inutile qui ne lui donnait pas le bonheur. Et le comble était mis à toutes les injustices, puisque l'homme qui l'aimait ne pouvait pas lui appartenir entier. Elle aurait voulu dire tout cela à l'abbé Pérouze mais elle savait bien qu'elle sourirait. Et elle savait aussi qu'elle avait tort. D'ailleurs, le chanoine était de plus en plus malade ; elle avait essayé de le revoir, mais la vieille femme ne lui avait pas permis d'entrer dans sa chambre : le médecin interdisait toute visite." Ainsi les dernieres paroles qu'elle aurait entendues seraient l'ultime mise en garde.