Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Livre - Page 20

  • Lévy-Strauss, Lacan, et autres chiants

    Ces éléments de Lévy-Strauss, « Ce rappel, dit l'auteur - très superficiel et très lacunaire – permet d'éclairer l'oscillation que nous avons repérée dans  Fonction et champ… entre deux positions sur la nature de l'ordre symbolique. En effet, si ce sont les dons, les lois de l'échange et de l'alliance qui donnent son fondement à l'existence humaine, alors ce serait bien la loi d'interdiction de l'inceste qui marquerait l'origine de la culture, c'est-à-dire du langage ». Qu'est-ce que l'homme en effet : celui qui interdit l'inceste, ou celui qui ensevelit ses morts avec cérémonie, comme pourraient l'indiquer les dernières découvertes de la paléontologie ?
        Nous nous permettrons de plus un doute sur l'équivalence posée entre « la culture » et « le langage ». Articulé, alors. Et encore (il n'y aurait donc pas de « culture animale »). « Mais c'est l'inverse que va soutenir Lacan » (à propos de l'inceste) « et ce de manière de plus en plus sûre, jusqu'à poser, dans Subversion du sujet et dialectique du désir (1960) que « la loi s'origine du désir », et non pas que le désir s'origine de la loi. Le désir serait donc inné. Nos lois ne font que suivre, avec retard, l'évolution de nos mœurs et de nos désirs. Voyons cela :
        « Et s'il écrivait encore, dans Fonction et champ… que « si l'homme parle, c'est que le symbole l'a fait homme » (très judéo-chrétien), Lacan ne cessera par la suite de privilégier le signifiant dans le symbole ou dans le signifié jusqu'à faire du signifié une création des permutations du signifiant ». Il nous semble être là dans la droite ligne de l'existentialisme, selon lequel l'existence précède l'essence. Nous aurions donc imaginé le symbole à partir de l'existant. Et le désir serait, aussi, quelque chose qui existe, matérialistement parlant, avant l'imagination. Ce serait donc un instinct copulatif, pour rester dans le domaine génital.
        « Ainsi écrit-il, dans  L'instance de la lettre…, que l'on échouera à soutenir la question de la nature du langage » (articulé) « tant qu'on ne se sera pas dépris de l'illusion que le signifiant répond à la fonction de représenter le signifié, disons mieux : que le signifiant ait à répondre de son existence au titre de quelque signification que ce soit » (voir la dernière phrase du séminaire sur la Lettre volée). » Si nous avons bien compris, notre tête est remplie de signifiants sans signification, de bouts de bois que nous avons vus, de flaques d'eau que nous avons vues, en un magma existentiel cérébral parfaitement arbitraire. Et dès que ces choses font leur entrée dans notre cerveau, elles deviennent des signifiés, elles acquièrent un sens ?
    Interversion en effet des termes, de l'ordre de succession des termes : de Platon, de Lévy-Strauss et de son judéo-christianisme, nous passons au Sartro-Lacanisme. « Et dans le même texte », poursuit Maître André, « il produira une formule de métaphore montrant que c'est dans la substitution du signifiant au signifiant (et non du signifiant au signifié) que se produit un effet de signification, un passage du signifiant dans le signifié. » Nous serions des enfants qui jouent aux cubes, et qui s'aperçoivent que ça peut servir à construire une petite maison. « Thèse qu'il reprend, en la précisant, dans son essais sur La théorie du symbolisme d'Ernest Jones, en 1959, dans une phrase très précise :
    « Il faut définir la métaphore par l'implantation dans une chaîne signifiante d'un autre signifiant, par quoi celui qu'il supplante tombe au rang de signifié, et comme signifiant latent y perpétue l'intervalle où une autre chaîne signifiante peut y être entrée ». C'est du Najaud-Belkacem. Cependant, nous n'avons dans nos têtes et nos littératures et nos religions que des signifiants, des drapeaux, des croix qui s'entrechoquent, et qui ne signifient rien qu'eux-mêmes. S'ils se mettaient à vouloir dire autre chose qu'eux-mêmes, ils pourraient être expliqués, sombrant et perdant ainsi toute force, et sombrant dans le banal bêtement explicable. « Eh bien, pour Lacan l'effet de signifié que produit le signifiant dans sa permutation ou sa substitution, c'est précisément le sujet. T'as vu le beau lapin qui sort du beau chapeau ? Mais alors, le sujet, ce serait la dégradation du signifiant qui ne veut rien dire en signifié qui veut dire quelque chose !
    Le sujet ne serait que du « vouloir dire », de l'absence d'existence ? De la justification d'existence, comme «par raccroc » ? Mais alors ma pauvre dame, on ne peut donc plus croire en rien ? L'individuation de chaque sujet se fait à partir du moment où chaque sujet peut interpréter à sa guise, et de façon infiniment émiettée, la force du signifiant brisé ? « Avec la théorie du sujet », ou plus précisément sa nouvelle genèse, « nous touchons vraiment à la racine de cet enseignement. Car ce n'est pas forcer les choses que de dire que dès 1932, dans sa thèse sur la paranoïa, c'est de poser le sujet qu'il s'agissait », question essentielle. « Par la suite, dans ses premiers textes psychanalytiques (ceux qui se trouvent rassemblés dans la deuxième partie des Ecrits) l'enjeu est de dégager une autre instance subjective que celle du mot » - deuxième lapin, deuxième chapeau, pourquoi pas.

    DSCN0713.JPG

    « Disons que, partant de la paranoïa, Lacan s'est trouvé d'emblée confronté à la question de l'aliénation du « malade », à celle de la méconnaissance en quoi consiste la croyance qui est au centre de la folie : elle n'est pas tellement différente, structurellement parlant, de celle que l'on constate chez le névrosé. C'en est même le modèle le plus épuré. » Car le plus aigu. N'oublions pas que ces réflexions doivent graviter dans une orbite thérapeutique. Lacan : points de repère » de Serge André, est paru aux Editions du Bord de l'Eau en 2010. 

  • Majorien et la corruption

    Bougies mémorielles.JPG

    Nous sommes tous en lutte contre la corruption, contre l'inéluctable que nous connaissons sans l'aide de la moindre pythonisse. La scène que nous lisons est on ne peut plus bourgeoise : "Les astres le proclament dans leurs constellations, clamant hoc sidera signis, je dirais "dans leurs dispositions", les hommes le réclament dans leurs vœux". V, 146, 2060 07 21   "Pourquoi" poursuit-il, "évoquer les astres, quand  l'amour lui a fait un destin plus beau ?" L'amour des peuples. L'espoir du guerrier salvateur. Le petit peuple, si vilement flatté aujourd'hui, ne possédait en ce temps nulle préoccupation politique. Peu lui important qui le gouvernait, pourvu qu'il pût vivre en paix, sans compter les pièces dans sa bourse.
        C'est pourquoi l'histoire des populations et de leurs mœurs, pour passionnantes qu'elles soient, ne doit pas se substituer à cette autre mathématique de la succession des princes et des héritages territoriaux. Infinie fluctuation des usages, dans un récipient clos, infinie fluctuation des dynasties, dans un autre récipient plus luisant mais clos, telles doivent être les deux pôles de l'activité humaine, dans l'Histoire. Et que les astres ou l'amour interviennent, les liens de l'homme et de l'univers, mécanique ou sensible, s'en trouvent renforcés. Rien qui doive là susciter l'hostilité des points de vue : "rien n'est plus fort que l'affection des peuples". Nous irons donc chercher "les éminentes qualités de Majorien", puisque cet intertitre apparaît dans nos marges. Nous ignorons qui les a conférées, si c'est Loyen André lui-même, ou si cela provient d'un autre. Attendons-nous aux tartines obligées, sur les glorieux ancêtres, l'éducation spartiate, l'endurance au chaud et au froid, les premiers succès ; je plonge



        "Bien qu'adolescent, il ne se montre jamais avide de posséder : est cupidus nunquam. Est-ce donc un privilège de l'adolescence ? Ne pas oublier que ce mot n'est pas chargé du respect que nous lui attribuons aujourd'hui, en phase avec "masturbation", "fragilité", "sensibilité". Il s'agit d'un âge de pleine jeunesse, ardent, puéril encore, à l'instar des enfants qui font un caprice dès qu'ils en voient un autre avoir quelque chose qu'ils n'ont pas. Le christianisme est passé par là, et se vautre depuis suffisamment de temps sur les cœurs pour les avoir modelés : "il est au contraire modéré dans ses désirs". Ce brave chrétien, sans que Jésus l'Imaginaire soit mentionné, distribue ses biens aux pauvres et ne désirera pas le commandement pour les avantages matériels qu'on en peut tirer : grosses payes, beaux vases et blondes à gros seins : "encore pauvre, il distribue déjà des richesses" – la largesse, largition, sera toujours appréciée au Moyen Âge, pourvu que ce  ne soient pas sur les fonds d'Etat.
        Il serait d'ailleurs intéressant d'étudier la modification du sens de l'amitié : quand devient-elle désintéressée ? Quand les hommes ont-ils commencé à blâmer le gaspillage clientéliste ? ...Louis XVI et Marie-Antoinette... Nous avons encore le temps : Majorien "ne se contente pas de conseiller de grandes entreprises : il s'y attache". Conseilleur, mais payeur. Lieux communs assurément, habilement utilisés pour un empereur qui n'hésitera pas à courir en tête de ses troupes, au lieu d'intriguer du fond de son palais ; au fait, a-t-on vu Ricimer charger à cheval depuis qu'il tire les ficelles à Rome ? Il était ami de Majorien, sous le commandement d'Aétius. Avec Majorien, il renversa Avitus, qui avait transféré la capitale à Ravenne.
        Flatter Majorien, c'est pour l'instant flatter Ricimer : Sidoine loue les "pensées élevées" de l'empereur, qui "presse la réalisation de ses espoirs".  "Faut-il à nouveau décrire ses jeux ?" Non, Sidoine, nous t'en supplions. "Une seule de tes journées" – Sidoine passe de la troisième à la deuxième personne – "a surclassé tous les exploits que l'on prête à ton javelot". Notre bellâtre aux invincibles pectoraux se lance dans l'archerie : "trois flèches lui ont suffi pour faire trembler devant lui un serpent, un cerf, un sanglier", anguis, ceruus, aper. On a bien rigolé entre potes, de ce gros rire collectif des péplums que poussent des acteurs rougeauds de l'Ohio.

  • Le jeu de la feuillée

        Le jeu de la Feuillée fut écrit à la fin du règne de saint Louis ou dans les premières années de son fils et successeur Philippe III de France dit le Hardi, à ne pas confonde avec celui de Bourgogne, bien postérieur. En date. L'auteur, comme son père, s'appelle le Bossu, bien qu'il ne le soit pas, et se voit aussi nommer « Adam de la Halle », comme son père également. Au Moyen Âge on portait rarement le nom de son père ; d'ailleurs, en dehors d'Arras, on l'appelait Adam d'Arras. Il serait mort au service d'un seigneur, en expédition dans les Pouilles, en Italie. C'était un grand lettré, trouvère, excellent musicien aussi, mais sa musique ne nous est pas parvenue. L'avant-propos, dû à l'excellent Ernest Langlois dans la collection « Les classiques français du Moyen Âge » aux éditions Champion, en 1964, fourmille de discussions à l'usage des spécialistes, qui font mes délices et mon incompréhension partielle, envoûtante, justement : j'ai l'impression de porter un chapelet de décorations auxquelles je n'ai pas droit…
       

    Le seuil.JPG

    La feuillée n'est pas cette tranchée de campagne où vont déféquer les soldats qui n'ont pas encore fait défection, mais ou bien une longue tonnelle installée pour faire de l'ombre en plein Pas-de-Calais (on disait « Artois »), ou bien une espèce de dais en feuillage disposé au-dessus d'une statue de la Vierge au milieu d'une place d'Arras. Les spécialistes (voir plus haut) en discutent encore en attendant de se faire égorger. Une assemblée se tient là, et nous restitue par son bavardage (en dialecte picard) certains aspects de la vie médiévale : notre auteur se met en scène avec toutes ses connaissances, et nous devons bien connaître chacun pour apprécier le charme inexistant de cette revue de chansonnier.
        Or des documents (ou cocuments) nous sont fournis par les archives médiévales, imparfaites et répétitives, lesquelles nous disent entre quelle et quelle date (un an d'intervalle) sont morts tel ou tel. Adam de la Halle ou le Bossu apparaît lui-même dans d'autres textes, écrits par lui ou par d'autres poètes. Certains recoupements sont donc possibles, mais il est souvent impossible de conclure ; c'est d'ailleurs à cette conclusion que s'attachent la plupart du temps tous nos médiévistes universitaires, qui s'accordent dans leurs peurs frileuses. Adam donc, fils de notable, aurait interrompu ses études pour revenir épouser une jeune fille qui ne l'était plus, grâce à lui ou à cause de lui, ce qui commençait à se voir au tour de taille.
        Ou bien (il y a toujours un « ou bien »), Adam se serait séparé de sa femme pour une durée de trois ans pour étudier, finalement, à Paris, et ils se seraient revus plus tôt, parce que Paris, la Cité pour être plus précis, c'est très cher. Il nous faut donc rabattre sur le texte lui-même, qui ne livre ses secrets qu'après décorticage et grands broiements édentés de mâchoires érudites : trois fois que je lis ce Jeu de la Feuillée, au hasard cahotant des programmes... et la troisième fois, je sentis enfin revivre tout ce Moyen Âge, au moment fixé par la sainte Vierge ou par les fées, puisqu'elles doivent paraît-il venir sous la feuillée, disent les participants, à minuit. La Vierge n'est-elle pas la meilleure des fées, même si c'est un peu hérétique ? Ce sont donc des moqueries convenues, des plaisanteries avec note en bas de page afin de rire au bon endroit, une langue obscure qui semble mal mâchée (moins coulante évidemment à l'écrit qu'à l'oral), un décousu dû à la multiplicité des personnages (il faut bien que chacun ait son mot à dire), un scénario qui semble aussi brouillon qu'une comédie de France au cinéma.
        Et timidement, les personnages se sont mis à vivre : un fou (un « dervé ») qui bat son père, des femmes qui bavardent, des hommes qui bavardent, un prêtre, des critiques sur les uns ou les autres,                                                                                                                                                                                                            dans un dialecte à la ch'ti, bourré de chuintantes et de nasalisations. Voilà. Jamais je n'ai su trouver la clé de ce temps-là, dont les œuvres, non traduites, demeurent souvent bien moins intéressantes que les commentaires de nos siècles à nous. Ils comprennent, en avant-propos, des citations, provenant de jeux-partis, avec un trait d'union. Il s'agit d'un dialogue entre deux interlocuteurs exposant une thèse différente : « Les jeux-partis dont sont extraites ces citations ont été composés peu de temps après le mariage d'Adam ; avant 1272, date de la mort de Bretel » - en effet, sinon, l'auteur n'aurait pas fait parler ledit Bretel, ou bien aurait précisé qu'il était mort.
        Ces pièces-là, c'était un peu comme le journal du soir… Mais ces jeux-partis, qui se faisaient en public, ont été composés avant Le Jeu de la Feuillée : cela veut dire qu'Adam le Bossu s'était déjà mis en scène. Il composa donc, dans l'ordre, des jeux-partis, Le jeu de la feuillée, et un Congé, où il prend congé, justement, et gentiment, de tous ses concitoyens d'Arras avant de repartir pour la capitale, où il s'était pourtant bien promis de ne plus remettre les pieds. Dans ces joutes verbales, « le renoncement aux études est présenté comme définitif. L'idée de retourner à l'école a pu ne venir à Adam que quelque temps après son mariage, probablement lorsque sont apparues aux deux jeunes gens les difficultés matérielles de l'existence. » Si vous ne me croyez pas, reportez-vous p. VIII note 1, », où « deux vers du Congé font allusion à ces difficultés : il est dit que l'auteur n'a plus l'inspiration pour faire des chants, des « cans » en picard. « Si la Feuillée est de 1276  (après la mort de saint Louis), le mariage étant antérieur de quatre ou cinq ans, tout s'explique naturellement. » BERNARD COLLIGNON    LECTURES COMMENTEES        62 07 06
    ADAM LE BOSSU    « LE JEU DE LA FEUILLEE »            40



    J'allais justement vous le dire. « Certes, pareil revirement dans les projets d'Adam n'exigeait pas un si long temps, et si l'on date le Jeu de 1255, il n'est pas nécessaire de supposer un intervalle de plusieurs années entre sa représentation et la compositions des partures ». 21 ans de flottement tout de même pour la date de composition. A supposer que tous ces épisodes relatés soient exacts. Les « partures » sont un autre nom des « jeux-partis » ou « joutes verbales », nous dirions un face-à-face. On convenait de celui qui parlerait le premier, l'autre devant défendre l'opinion adverse ce qui ressemble beaucoup aux jeux-partis politiciens contemporains… « Cependant, reprend le commentateur, la lecture du Jeu et celle du Congé donnent l'impression que l'idée d'aller à Paris ne date pas de la veille, et surtout que le mariage n'est pas tout récent. D'autre part, si l'on recule de vingt ans la composition du Jeu de la feuillée, et par conséquent celle des jeux-partis, on rajeunira d'autant Bretel, et l'on comprendra mal qu'Adam le traite d' « anchien ». » D'ancien, de vieux birbe qui ne comprend plus rien à l'amour.
        Nous vous laissons décider de votre attirance pour cette charmante comédie gentille, restée très célèbre, Le jeu de la feuillée, par Adam de Bossu dit de la Halle. Avé !