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  • Ulenspiegel de Flandres

    C'est simplement du français qu'il faut lire avec l'accent flamand, comme je m'y suis exercé pour les premiers chapitres.

    Je fus donc souvent enthousiaste, parfois réservé à la vue de quelques longueurs, lorsque l'auteur se sent obligé (de fait, il l'est) de respecter son cadre historique et de mener le récit jusqu'au bout. Mais l'intérêt l'emporte, et de loin, Belge ou pas. Explorons ce riche volume :

    " - Venez tous deux, dit le citoyen. Gros cierges dgA.JPG

    Ulenspiegel retourna chez le baes et lui dit :

    " - Je viens de voir le doyen, il se portera caution pour les aveugles. Pendant que vous veillerez sur eux, que la baesine vienne avec moi chez lui, il lui répètera ce que je viens de vous dire."

    Ma fois, je ne me souviens plus du détail de la duperie, mais nous avons affaire ici à un thème bien connu de la fable médiévale, qui est le bernage d'une troupe d'aveugles que l'on fait bâfrer, leur faisant croire à chacun que c'est l'autre qui possède l'argent du paiement. Il n'était pas cruel, en ce temps-là, de se moquer des aveugles. On trouve développées maintes farces de ce type

    dans le "Lazarillo", ouvrage picaresque anonyme de l'Espagne du XVIe siècle. C'est dans la première partie, conformément à la tradition, de l'ouvrage de De Coster. Mais nous verrons ensuite comment on en vient à la politique et à la lutte armée d'Ulenspiegel et de son peuple, peu enclins aux spéculations sur les régimes, pourvu qu'ils respectent l'argent et la vie d'autrui :

    "Il le fit, et l'hôte garda le chapeau.

    "Bientôt il sortit de l'auberge, alla chez le paysan, monta sur son âne et courut le grand pas sur la route qui mène à Embden. Les smaledyke broeders, ne le voyant pas revenir, s'entredisaient :

    "Est-il parti ?"

    Encore une fois donc, il est question de régler la dépense d'un festin, car les légendiers ne répugnent pas, et De Coster s'y conforme, à lire deux ou trois versions différentes d'une même ruse. Dès l'instant que l'on roule l'aubergiste, et les religieux, comme ici ! D'abord se nourrir, et la prime au plus malin : telle est la morale de cette première partie et de l'ensemble de la légende d'origine.

    Un autre appétit doit aussi se satisfaire :

    "Je n'ai, dit-elle, faim ni soif que de toi.

    "Le roi cria encore sept fois terriblement. Et il y eut un grand fracas de tonnerre et d'éclairs, et derrière lui se forma un dais de soleils et d'étoiles."

    Surprise ! Notre héros, qui jusqu'alors ne pensait qu'à satisfaire sa soif de boissons et de femmes, se voit investi par une longue vision d'une mission de délivrance. Une espèce d'apocalypse se révèle à lui, en un long rêve allégorique, et le voilà chargé de délivrer la terre de ses pères. Il devra "chercher les Sept" ; la solution de cette énigme importe peu : l'essentiel est qu'elle soit posée, fournissant le fil rouge d'une quête qui occupera désormais le corps du récit.

    Ulenspiegel rencontre son premier "contact", comme on dit en matière de résistance : Simon.

    "Ulenspiegel dormit au grenier, près des chats ; le lit de Simon était en bas, près de la cave.

    "Ulenspiegel, continuant sa feintise ivrognale, monta trébuchant l'escalier, feignant de manquer de tomber et se tenant à la corde. Simon l'y aida avec de tendres soins, comme un frère."

    Sans doute s'agit-il de mettre à l'épreuve la véritable fidélité de Simon à la bonne cause. Ruse de guerre, encore une fois grâce à la boisson et à la mangeaille, lors de noces figurées : les trois appétits du monde au service de la libération :

    "Et ceux qui étaient dans les chariots donnèrent tout leur vin aux soudards.

    "Et ils furent par eux bien applaudis et fêtés.

    "Le vin manquant dans les chariots, les paysans et paysannes se remirent en route au son des tambourins, fifres et cornemuses, sans être inquiétés."

    Et c'est ainsi que les faux paysans purent pénétrer dans Maestricht assiégée, ayant traversé généreusement les lignes ennemies.

    Autre ruse, dans la taverne où pullulent les traîtres et les traîtresses, comme nous l'avions vu tout à l'heure :

    "Un sou par jour, crocodile, dit Ulenspiegel, car tu seras serve de ces quatre belles filles, tu laveras leurs cottes, draps et chemises.

    " - Moi, seigneur Dieu ! dit-elle.

    " - Tu les as longtemps gouvernées, vivant du profit de leurs corps et les laissant pauvres et affamées."

    Et c'est ainsi qu'Ulenspiegel punit la mère maquerelle, toujours prête à livrer les révoltés aux autorités, tout en sauvant de ses griffes les braves filles publiques qu'elle emploie. Ce sont en effet à peu près les seules femmes qu'aujourd'hui encore je puisse supporter. Mais ceci est une autre histoire. Le Christ n'a-t-il pas dit après toout aux filles de Jérusalem (et le curé de nous faire croire qu'il s'agissait des jeunes filles pauvres et déshéritées ! brave curé...) "...vous serez toutes avec moi à la droite du Père" ?

    Et toute justice se trouve accomplie à la fin, et même si littérairement le procédé est discutable, de quel soulagement ne sommes-nous pas possédés, nous autres lecteurs enfantins et sans malice, ayant retrouvé notre âme de jeunesse donc, et bien contents que tant de cruautés soient enfin punies – trop tard hélas :

    "Katheline, regardant Joos Damman, dit bien amoureusement :

    " - C'est l'heure de l'orfraie. J'ai la main d'Hilbert, Hans, mon aimé. Ils disent que tu me rendras les sept cents carolus."

    Justice sera enfin rendue à cette pauvre femme rendue folle par la trahison amoureuse et par la torture...

    C'est donc une œuvre pleine de bons sentiments que je vous propose de lire cette semaine, et qui vous prouve que la bonté peut fort bien se conjuguer avec la littérature, n'en déplaise "à certains esprits chagrins". C'est un grand livre belge et universel, cela s'appelle "La légende et les aventures d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak", ce fut édité en 1867, et c'est en vente dès que vous le commandez. Bonne lecture.

  • Le docteur bigot

    Première vision d'Uzerche dgA.JPG

    Le docteur Pascal Maatz habite chez lui tout clos. Grand
    et chauve, couronne bouclée grisonnante et fêtard,
    nombre de partenaires sexuels imposant, du moins
    pour un homme. Fut également marié, puis divorcé,
    à ses torts : Ludovika née Hirschheimer avait accouché
    la quantité, considérable en Occident, de trois
    enfants – ce matériau fera l'objet d'une autre
    narration. En ayant donc par-dessus le crâne, rendue fébrile
    et vindicative par tant de passades extranuptiales
    (rien de tout cela ne semble présenter la moindre
    vraisemblance : je ne vois que désert sexuel tout
    autour de moi...), Ludovika obtint la garde exclusive
    des trois garçons. Certains pensent qu'elle épousa
    son avocat, grand amateur d'enfants. Ils seraient tous partis dans le Cantal : au bout
    du monde. Le Dr Maatz connaît la route ;
    en remontant vers le nord-est par Fumel et Rouget,
    on gagne vite Aurillac, voire St-Flour. Mais
    à quoi bon. Confiscation donc de descendants âgés
    aujourd'hui de 8 à 14 ans, qui oublient leur père
    corps et bien. Rien dont l'homme se détache aussi
    aisément que des liens de paternité (Pascal Maatz
    ne dispose pas d'une sensibilité exceptionnelle :
    comment supporter, sinon, d'entrer ainsi,
    professionnellement, et par effraction, dans
    le corps des gens ? - exception faite cependant de ses
    émotions pieuses dans son oratoire, trop chaud l'été,
    trop froid l'hiver, juste sous les tuiles du toit, où
    nul ne doit avoir accès). Il en change lui-même les fleurs. S'y livre à
    des ostentations secrètes de piété : acteur et public.
    Enfant déjà il installait, sous ses combles, une chapelle
    à Marie, nourrie de représentations
    saint-sulpiciennes : fades crucifix, chromos
    de madones – sur le sol un Antoine au discret cochon.
    Adulte à présent, Pascal célèbre son culte sur
    un prie-Dieu rapetassé, face à quelques objets larcinés
    sur les tombes (depuis, saisi de contrition,
    il demande pardon aux morts), sans oublier la grande
    Vierge tout en bleu et Thérèse Gobe-Glaires
    (de Lisieux). Il se recueille ainsi entre deux
    consultants, leur faisant croire à des urgences.
    Fâcheux pourtant qu'on le voie redescendre de sa
    soupente en remontant, à la dérobée, sa braguette.
    Il fréquente Bordeaux, 18 rue H., une habitude,
    selon Mauriac in Genitrix : Magda, de la génération
    du baby-boom (45/69) : propre, rangée,
    en gris, pas trop physique, la cinquantaine honnête
    avec un sac à main cabas  ; un peu popote, une
    fois par quinzaine, pour l'hygiène. Le docteur ne veut pas savoir qui passe avant,
    qui passe après - « quatre ou cinq fois par jour
    lui dit-elle, on n'est pas des vaches tout de même » .
    Un jeudi sur deux. Il pourrait aussi bien
    séduire n'importe quelle femme dans un délai
    raisonnable – mais pas que ça à foutre [sic]