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  • La fin de Gulliver

    Je me souviens bien aussi de ses imitations de Daniel de Foe, car ce dernier expliquait en long et en large les tribulations maritimes de son héros Robinson Crusoe... En effet Swift ne s'y connaît absolument pas en navigation. Ce qu'il faut dire aussi (ces trous de mémoire !) c'est que le gouvernement parfait des Houynhnhnhms ou hommes chevaux ressemble parfaitement à une utopie, c'est-à-dire que les habitants de ces contrées toutes situées dans le Pacifique (et l'on découvrait, en ce XVIIIe siècle, celui de La Pérouse et de Cook, une infinité de terres australes) font régner un climat de vertu et de bon gouvernement absolument insupportable. Cette dernière partie est d'ailleurs la plus riche en exégèses de toutes sortes, car Gulliver, qui s'exprime toujours à la première personne, appartient à une race inférieure, mi-humaine mi-simiesque, sale, paresseuse, féroce. Or il est tout de même très différent de ces Yahoos au nom si chevalin, au comportement si atrocement humain. Un Yahoo raffiné en sorte. Son maître, un grand cheval noble, est obligé de se défaire de lui, et de le mener sur une côté, pour qu'il rejoigne son lointain pays en proie à la corruption. En effet, les autres Houynhnhnhms, appartenant à une nation, que dis-je à une race parfaite, reprochent à ce grand noble cheval d'entretenir et de traiter sur un pied 'égalité et même d'amitié un Yahoo, répugnant, malgré toutes les différences qui le séparent de sa tribu de sauvages hirsutes.
        Alors : les Yahoos sont-ils les Irlandais ? interprétation élémentaire... Plus subtilement : le pasteur Swift se considérerait-il à mi-chemin entre ses contemporains dépravés et cupides, et les anges chevaleresques et hippiformes constituant l'idéal de la nature vertueuse ? Ces êtres si vertueux engendrent d'ailleurs une société aussi irrespirable que celle de la Cité idéale de Platon. Elle n'est composée d'êtres si parfaits que c'est exactement pour cela qu'elle ne saurait tolérer plus longtemps la présence de cet être d'imperfection nommé Gulliver : la société des Houynhnhnhmms fait très exactement, au sens littéral du terme, un phénomène de rejet.
        Notre explorateur est contraint de fuir. Tandis que les exégètes anglophones se déchirent, plongeons-nous dans ce passage méconnu où les efforts de Swift pour être vraisemblable ne font que souligner l'invraisemblance justement de la situation : enlevé par un aigle géant (car au pays de Brobdingnag les animaux sont proportionnés à leurs gigantesques habitants), puis relâché au-dessus de l'eau dans une boîte géante aménagée pour son confort, Gulliver est recueilli par le capitaine d'un vaisseau qui justement passait par là. Il retrouve la civilisation. Laissons au narrateur la parole ; "il", c'est le capitaine :Cochon corse.JPG
        "Il avait donc fait ramer ses hommes de ce côté, puis, ayant passé le câble dans un des anneaux, il avait donné l'ordre de remorquer le coffre, comme il disait, jusqu'au navire ; et, une fois accosté, il avait tenté une autre manœuvre : passer un deuxième câble par l'anneau fixé au couvercle, et hisser le coffre à l'aide de poulies. Mais tout l'équipage réuni n'était pas arrivé à le soulever de plus de deux ou trois pieds. C'est alors, conclut le capitaine, qu'on avait vu ma canne et mon mouchoir qui s'élevaient au-dessus du trou, et qu'on avait pensé qu'un malheureux devait être enfermé à l'intérieur. Je demandai si lui-même, ou l'un de ses hommes, avait aperçu dans les airs des oiseaux d'une taille prodigieuse, vers le moment où l'on m'avait découvert. Il répondit qu'il en avait justement parlé à ses matelots pendant que je faisais la sieste, et que l'un d'eux lui dit avoir observé trois aigles volant vers le nord, mais qu'il n'avait pas noté qu'ils fussent d'une taille exceptionnelle. Je me dis que cela s'expliquait par la grande altitude à laquelle ils volaient, mais le capitaine ne put deviner pourquoi je lui avais posé cette question. Je lui demandai alors à quelle distance il pensait que nous étions de la terre. Il me dit qu'autant qu'il pouvait le savoir, nous en étions au moins à cent lieues : "Vous vous trompez au moins de moitié, répliquai-je, car au moment où je suis tombé à la mer, je n'avais pas quitté le pays d'où je viens depuis beaucoup plus de deux heures." L'idée lui revint immédiatement que j'avais le cerveau fêlé, et il me le laissa clairement entendre. Il me conseilla même d'aller m'étendre dans la cabine qu'on m'avait fait préparer. Mais je lui affirmai que je me sentais très bien, grâce à ses attentions et à son aimable compagnie, et que j'étais dans mon bon sens autant que jamais dans ma vie. Il prit alors un air grave et me demanda en toute franchise si ce n'était pas le remords de quelque horrible crime qui m'agitait l'esprit. Car je pouvais avoir été puni sur l'ordre d'un prince, qui m'aurait fait enfermer dans ce coffre, de même que les grands criminels, dans d'autres pays, sont obligés de s'embarquer sans vivres dans un bateau qui prend l'eau."
        Et voilà comme il est mauvais, quand on en a beaucoup vu au cours de ses voyages, de tout révéler : Marco Polo ne fut-il pas enfermé dans un asile parce qu'on ne croyait pas sa relation de l'Empire de Chine ? N'est-il pas étrange de trouver cette immense épave, tout à fait semblable à l'arche de Noé, garnie d'un passager dérivant au large de toute côte ? Les marins réagissent avec le pragmatisme de leur profession, se trouvent en possession de la preuve d'un autre monde habité – l'ancien se remettant tout juste de la découverte de l'Amérique. Ce
    passage a été précédé de la relation du même sauvetage, cette fois de l'intérieur de l'habitacle, qui servait au nain Gulliver lors de ses déplacements. Ce n'est donc pas un coffre, mais une cabine que la petite fille géante tenait sur ses genoux pendant les voyages de notre héros, car tout le monde dans le royaume souhaitait voir cette minuscule créature où se dissimulait un entendement si semblable à celui des humains normaux... Les efforts de l'équipage pour soulever cette arche improvisée correspondent tout à fait à l'effort de vraisemblable commandé par les circonstances. Notez comment le "malheureux enfermé à l'intérieur" devient rapidement "un criminel" potentiel, sitôt qu'il veut dire la vérité. Peut-être donc aurez-vous la curiosité de relire tout ou partie de cet ouvrage qui fit le délice des enfants jusqu'à l'avènement de la génération de la Grande Connerie : Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, Folio n° 597, traduit et annoté par Jacques Pons d'après l'édition d'Emile Pons, préface de Maurice Pons...

  • Pas d'hommes

    Cardinal Fesch B.JPG

    Photo prise au printemps 2052, dans l'ancien appartement de S. et D. Un linoléum nu, lisse, luisant, propre, mort. Au premier plan à droite : une nappe et son pli Puis, au fond, de gauche à droite : un fragment de fauteuil tapissé, avec un accoudoir et trois balustres ; un pied légèrement contourné. Des motifs floraux en camaïeu bistre. Une porte intérieure ouverte sur un frigo blanc, avec poignée chromée. Un rideau de fenêtre blafard. La porte ouverte plaquée au mur. Contre elle, une planche à repassée pliée à la verticale, avec son enveloppe aux motifs gris bleu, coupée vers le haut. Un tuyau d'aspirateur en crosse recourbée vers le haut, ledit aspirateur comme recroquevillé sous une cage à oiseaux apparemment vide, sur un piédestal en tige.

    La cage à barreaux perpendiculaires est elle aussi tronquée vers le haut. Suit un tabouret naperonné de grosse dentelle blanche, portant un vase vaguement asiatique, bleu foncé avec des motifs bleu pâle. Toujours aligné contre le mur, une bibliothèque de quatre niveaux, où figurent des magnétocassettes. A droite enfin, seule masse foncée à l'exception de l'aspirateur et du vase chinois, le grand écran de télévision, allumé (une femme en blouse blanche et un homme derrière son épaule), des appareils de réglages incompréhensibles au profane, avec, en bas, un coffrage à hublot auditif permettant d'approfondir les basses. Un ensemble glacé comme du papier, sans la moindre saleté humaine.

  • Les immondes connasseries de Dickens

    " - Moi aussi, Dot, moi aussi, dit le voiturier.

    " - Je l'aime pour toutes les fois que je l'ai entendu et pour toutes les pensées que son innocente musique éveille en moi. Quelquefois, à la chute du jour, quand je me sentais un peu solitaire et découragée, John, - avant que le bébé ne soit là pour me tenir compagnie et égayer la maison, - quand je pensais combien tu serais isolé quand je viendrais à mourir : ses chirp, chirp, chirp venant du foyer semblaient me parler d'une petite voix si douce, si chère, et mon ennui se dissipait comme un rêve. Et quand j'avais peur - j'ai eu peur quelquefois, John ; j'étais bien jeune, tu sais - que notre ménage soit mal assorti ; j'étais presque une enfant et tu ressemblais plus à mon tuteur qu'à mon mari ; je craignais que tu n'arrivasses pas à m'aimer comme tu le désirais ; alors ses chirp, chirp, chirp m'ont consolée et remplie d'une nouvelle confiance. Je pensais à ces choses ce soir en t'attendant, mon chéri, et c'est à cause d'elles que j'aime le grillon !

    " - Et moi aussi, répondit John. Mais, Dot, quelle crainte vaine était la tienne !" Putain c'est chiant. " Ah ! ma chérie, il ya si longtemps que je t'aime ! bien avant de t'avoir amenée ici pour être la petite maîtresse du grillon !

    Chat corse P.JPG

    " Elle posa un instant la main sur son bras et le regarda anxieusement comme si elle voulait lui dire quelque chose. L'instant d'après elle était à genoux devant le panier, parlant avec volubilité et s'affairant autour des paquets.

    " - Il n'y en a pas beaucoup ce soir, John, mais j'en ai vu d'autres derrière la voiture, des gros, - et, bien qu'ils donnent plus de mal peut-être, ils payent assez bien, donc inutile de se plaindre, n'est-ce pas ? Et puis tu as dû en livrer au cours de ton voyage !" Tous les clichés y sont ; il vient, ce grosz Malheur ?

    " - Oui, dit John, et beaucoup.

    " - Tiens, qu'est-ce qu'il y a dans cette boîte ? Bonté divine, John, c'est un wedding-cake 1 ! 1. Gâteau de mariage" - bon, je sais, ce doit être typique, et "intraduisible", mais aucun mot ne recouvrant exactement aucun autre de n'importe quelle langue à n'importe quel   autre, on aurait aussi bien pu le traduire. N. D. L. T.)

    " - Une femme devine cela tout de suite, dit John avec admiration. Je suis sûr qu'on pourrait cacher un wedding-cake dans l'endroit le plus invraisemblable, une femme le découvrirait tout de suite." Tu parles Charles, un homme aussi. "Oui, je l'ai pris chez le pâtissier.
    " - Et il pèse je ne saurais dire combien, au moins cent livres ! s'écria Dot, faisant de grands efforts pour le sortir. Pour qui est-il, John ?" Et on arrête là, sur cet étouffe-chrétien de 50k. Que de bavardages. Comme disait l'autre con, "Si j'avais su que c'était si bête, j'aurais amené les enfants." A vot'bon coeur Messieurs-Dames, Le grillon du foyer, de Charles Dickens.

  • La belle revue

    Merci Marianne pour le procédé ironique que je viens de mettre en oeuvre. Marianne se fait l'écho cette nouvelle façon de penser, qui renvoie dans leurs choux tous ceux qui en raisonnant prétendent qu'il sont les seuls à détenir la vérité en matière économique et humaine. Mais il faudrait maintenant refaire ce livre, Viviane, ou le faire refaire par un économiste, un vrai, un distingué, pas Jean-Marc Sylvestre avec son nouveau râtelier.

    Bourgeois et sa fille P.JPGIl expliquerait tout cela avec des tableaux de statistiques, des courbes de variations du commerce extérieur, et il y aurait deux ouvrages, pour chaque sorte de sensibilité : les maîtres de forges d'un côté, et les admirateurs de Victor Hugo de l'autre. Car lui aussi a lutté pour l'amélioration des conditions de travail de l'ouvrier.

    Il est exact, qui le nie ? que depuis que la monnaie a fait son apparition, elle régit tout, que les échanges commerciaux sont la base de toute activité humaine ; soit. Mais il y a quelque chose qui remonte encore plus loin : c'est la merde. La survie de l'espèce humaine dépend encore bien plus du bon fonctionnement de ses intestins. S'il en est ainsi, pourquoi ne pas nous inonder de revues, de magazines, d'émissions radio et télé sur le fonctionnement des boyaux de tous ?

    Quelle exaltation !

    Passons au feuilletage, parlons des anciens et nouveaux pauvres :

    "Notez la férocité de l'indifférence alentour ou, même, la réprobation dirigée contre eux. Et ce n'est là qu'un exemple parmi des multitudes d'aberrations barbares, géographiquement proches, voisines absolument. Etablies au sein même de nos minauderies."

    Plus loin, Viviane Forrester me semble-t-il s'exalte un peu facilement, car il n'y a pas de quoi admirer, mais enfin, cela change du mépris :

    "Mieux : que l'on devienne sourds, aveugles, inaccessibles aussi à la beauté que produit si souvent, dans cette horreur magique, l'héroïsme de la lutte menée par des humains, non contre la mort, mais afin de rater avec plus de ferveur l'étrange, l'avare miracle de leur vie. Leur aptitude merveilleuse à s'inventer eux-mêmes, à exploiter le bref intervalle qui leur est imparti. L'indicible beauté issue de leur ambition démente de gérer cette Apocalypse, de repérer, de construire des ensembles ou, mieux, d'élaborer, de ciseler un détail, ou, mieux encore, d'insérer leur propre existence dans la cohue des disparitions."

    Voyez-vous, ce sont des passages comme cela qui nuisent au livre, parce qu'à la lettre, ils ne veulent rien dire : c'est de la poésie, de la bouillie poétique plus exactement - on s'exalte, on s'exalte, et il n'y a là aucun exemple concret, ras du sol, la grande bourgeoise s'excite le cervelet littéraire devant la beauté des pauvres, et pendant ce temps-là, le littéraire cherche la beauté, je parle du texte, mais plus encore, et plus grave, l'économiste bâille eet se di t: baratin. Dommage.

    Passons à plus concret ?

    "Un financement de longue haleine, car, pour les licenciés devenus chômeurs de manière si arbitraire, il ne sera pas question de retrouver rapidement de l'emploi dans des secteurs géographiques professionnels ainsi sinistrés, et difficile parfois d'en retrouver jamais.

    "Quant aux fuites de capitaux hors de tout circuit fiscal, elles priveront de ressources les structures économiques et sociales de l'Etat escroqué. Peut-être s'agit -il d'une illusion d'optique, mais on a comme la vague impression que les détenteurs de "richesses" évadées ne sont autres que... les admirables "forces vives" de "la nation" lésée !"

    Oui : nos décideurs ne voient en effet pas plus loin que les intérêts à courts termes... Terminons par une dénonciation en règle de cette fameuse "pensée unique ":

    "Mais partout aussi les mêmes leitmotive qui ponctuent ces discours, affirmant que ce dispositif mondialisé qui installe et fait s'enraciner un système économique autoritaire, indifférent aux habitants de ce monde - mais par nature antagoniste à leur présence à leur présence inutile, déjà proche d'être parasitaire, car désormais non rentable - que ces mesures manifestement néfastes ont pour but essentiel, cela va sans dire, de "combattre le chômage", de "lutter pour l'emploi".

    "Leitmotive formulés avec une nonchalance croissante, de plus en plus mécaniquement, car personne n'est dupe. Chacun semble étrangement complice : et ceux qui ont la bonté de bien vouloir encore se donner le mal d'user de ces périphrases courtoises à l'égard de populations qui n'ont plus d'avis à donner, mais qui leur réclament ces promesses, supportent leurs parjures, et ne demandent rien, après tout, que d'êtres exploitées ; et ces dernières, qui, tels des enfants réclament sans cesse la même histoire à laquelle ils ne croient pas mais font semblant de croire, car ils ont peur du silence et de ce qui n'est pas dit, qu'ils pressentent et ne veulent pas savoir."

    Lisez sans tenir compte des préjugés "L'horreur économique" de Viviane Forrester. Nul n'est parfait, mais ça change de Madelin et d'Encornet, dont la seule préoccupation, le seul programme, est d'être contre le gouvernement, quoi qu'il arrive. Intelligent, non ?