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L'or de la terre, de Clavel

Chers lecteurs, nous vous avions entretenus naguère de Harricana par Bernard Clavel, premier volet d'une saga intitulée "Le Royaume du Nord". Après le premier vient le deuxième, pas de surprise, il s'agit de "L'Or de la terre", excellent titre laissant entrevoir des visions de puissance.

Cimetière marin d'Ajaccio P.JPG

Nous n'y retrouvons que très incidemment les héros du premier volume, installés dans un bourg qu'ils ont fondé, qui s'est agrandi. Non : dès le début est mis en scène un couple d'hommes, de qualités différentes, le mûr, plein d'expérience, et le cadet, apeuré mais désireux d'apprendre.

Or, c'est le cas de le dire, ces deux explorateurs sont à la quête du métal précieux. Ils prospectent dans une île au milieu d'un lac, loin de tout, et détectent le minerai sans prix. La même histoire, en somme, recommence : la construction d'un pays, grâce aux volontés de risque-tout.

Après les agriculteurs reconvertis au commerce, voici les chercheurs de la fameuse ruée vers l'or, référencés à Jack London que je lus fort longtemps auparavant, à Charlie Chaplin qui traita ce sujet avec sa bouffonnerie grave inimitable, à Curwood et à maints autres. Sujet bateau donc, mais toujours nouveau pour nous autres Européens pantouflards, je parle pour moi.

L'astuce pour un découvreur de mine est de résister à tous ceux qui veulent lui acheter sa concession à vil prix pour en tirer ensuite des bénéfices juteux qui passent sous le nez du précédent propriétaire comme un vulgaire immeuble de rapport de la rue David-Johnston.

Il y faut de la volonté, de l'huile de coude, de la brutalité ; de la finesse face aux accapareurs, du discernement dans le choix de ses équipes, du doigté dans le maniement de ces hommes, de l'autorité assise sur la chance donc du flair. Il y faut aussi l'art de la bonne entente face aux dissensions toujours présentes. L'auteur sait toujours mêler avec une surprise sans égale concernant son art de composer les chapitres instructifs et les chapitres narratifs. Il fait revivre chaque personnage au sein d'une structure historique exactement documentée, brosse de grands tableaux de foule et de comportements collectifs, sait aiguiser les antagonisme et varier les dénouements de crises partielles. Puis tout s'ordonne autour d'une idée morale : quand il y a trop de personnes dan sun certain endroit, trop de chercheurs et de creuseurs aux seuils de moralité diversement élevés, des frictions se produisent. Le "placer" - entendez le gisement - de nos héros est situé sur une île au milieu d'un lac, et sur la rive s'est créé un bourg attiré par la richesse comme un tas de mouches humaines par le miel bien doré. Mais survient un homme orchestre diabolique de bonne humeur, qui ouvre un bordel, qui vend des boissons, bref, qui se fait sa petite place sur le grouillement fasciné. Bagarres, crises d'autoritarismes face aux révoltes, couvaison très habilement menée de quelque gros malheur à venir.

Pourquoi ne pas le dire, il faudra que le découvreur, promu grand patron bien riche, force ses hommes à creuser encore et toujours et fort maladroitement, pour que la catastrophe minière se produise. L'habileté de l'écrivain consiste alors à doser le sentiment de montée des périls et d'inéluctabilité avec une espèce de suspens vain, puisque tout a été mis en place pour éclater : le lecteur serait déçu que cet orgasme cataclysmique ait été si minutieusement préparé pour ne pas éclater.

Ici deux points de référence encore, puisque Bernard Clavel oeuvre dans le connu- inconnu : suffisamment de points de repère pour ne pas effaroucher le lecteur ( un ouvrage sur les bobines de fil en Colombie risque de trouver un public des plus restreints), mais suffisamment d'inconnu aussi (le genre de sujet sur lequel on croit savoir déjà quelque chose, mais sur lequel il reste encore beaucoup à apprendre) - pour éviter toute impression de déjà vu.

Quant à la catastrophe minière, elle ressortit aux scénarios de gros malheurs qui totalisent de confortables audiences. Et dans ce cas précis, l'on peut se rapporter à Zola, dans Germinal, dont nous sommes relativement éloignés vu le caractère non pas anecdotique à proprement parler de la revendication ouvrière mais particulier - Bernard Clavel traitant plus de l'affrontement de personnalités que de conflits véritablement traités sous l'angle socialisant globalisateur , mais aussi et surtout à un roman social devenu pour enfants, Sans famille.

Et là, Bernard Clavel, le mythe en moins, réussit à capter le filon de la littérature populaire - je dis le mythe en moins car nous ne lisons plus aussi religieusement qu'autrefois, et les enfants ne lisent plus du tout.

Cependant ceux que leurs parents sont parvenus à faire lire ( c'est d'ailleurs plus une question de destinée, y compris celle de notre civilisation, que d'éducation) lisent du Bernard Clavel. L'adulte sera passionné.

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