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Jordanèèèsss-euh Jordanèèèsss-euh

Bénie l'intuition qui nous vint de consulter l'encyclopédique moteur de recherche Google et de découvrir enfin l'inaccessible Jordanès alias Jornandès, traduit par l'ineffable Nisard ; estimable érudit qui n'eut que le tort de triompher de Musset à l'Académie française ; il fut brocardé, couvert d'insultes, et certes, il ne se montre pas tendre : « les érudits », affirme-t-il, « n'ont pas besoin de traduction ». Me plongeant donc, m'ébrouant, dans le texte élémentaire de Jordanès, je dois penser que Mon Erudition frôle les sommets ; mais j'en suis encore à deux ou trois contresens par page... L'éminent Jordanès copie et vulgarise Cassiodore, Pomponius Mela Bienprofond, « en les gâtant », précise le féroce Nisard, « ignoramment », bel adverbe. Jordanès énumère les tribus de Scanzia, la Scandinavie, que l'on prenait pour une île : Granii, Aganziae, Unixae, Ethelrugi, Arochiranni. On ne sait rien de ces peuplades; peut-être les Éthelruges étaient-ils une tribu de Ruges : ethel veut dire noble, et parait être une épithète mise avant le nom de Rugi. Déjà saute aux oreilles internes ces noms prestigieux, juste tirés du rien pour y retourner s'évanouir : les tribus, gothes ou autres, se mêlaient, se redispersaient, changeaient de nom, se recomposaient, ce qui rend extrêmement hasardeuse leur identification.

Une preuve d'érudition réside aussi dans les aveux d'ignorance : à ce titre, Nisard y participe. Il traduit le chapitre III comme suit, phrase à phrase : Revenons, redeamus, à l'île Scanzia, que nous avons tantôt abandonnée. Les Anciens avaient de ces bonhomies, qui leur faisaient reconnaître leurs digressions. C'est ici le ton de la conversation, tandis que d'autres sombrent dans la préciosité, voire administrative : il n'est que de lire, du moins de déchiffrer, les circulaires des contemporains de Clovis. Mais revenons, à notre tour, à Jordanès, traduit par la belle plume nisardienne : C'est d'elle que fait mention, au second livre de son ouvrage, l'illustre géographe Claudius Ptolémée – portant le nom des derniers pharaons, cité ici nommément, quand il dit : "Il y a dans l'Océan du nord une grande île qui s'appelle Scanzia". Mais notre Egyptien, qui s'exprimait en grec, n'avait guère dépassé le sud de la Scandinavie pour les témoignages qu'il avait recueillis.

Ce sont les Arabes qui nous l'ont fait connaître, et les Byzantins, à ne pas confondre avec les bites en zinc. Nous croyons aborder à des contrées désertes, où surnagent çà et là de vagues documents et des ombres de peuples : mais ce sont des grouillements, ainsi que sous les pierres détalent les cloportes ; ces régions, ces époques, ont été aussi abondantes que la nôtre, et l'on s'y submerge, au point de ne plus voir qu'elles, au point de s'étonner que nos contemporains ignorent Bède le Vénérable ou Isidore de Séville, pour ne parler que des plus fameux. Hermagoras ne sait point qui est roi de Hongrie. Parquets au point de Hongrie. Apostrophe polie d'un voisin de train, me voyant lire François Rabelais et s'étonnant à haute voix, l'indiscret, le plouc, que je lusse Cervantès. Je répartis que Rabelais était fort moderne, mais j'eusse pu aussi exciper de l'ancienneté d'icelui : je me fous et contrefous de ce dont les fausses informations nous abreuvent, des âneries économiques débitées par les crânes chauves de la télévision, et de tous ces problèmes insolubles, de toutes ces impuissances que l'on nous étale en pleine face comme de la merde – à moins de s'engager, n'est-ce pas Sartriquet...

Combien il se gaussait des asticots qui écumaient les cimetières et se repaissaient de morts ! Mais il en faut, Monsieur Sartre ! Je ne le dirai jamais assez : "Dans la rue y avait la guerre / dans les classes on lisait Molière" – paroles de Gainsbourg je crois ? Et que vouliez-vous donc faire, ô Serge, ô Jean-Yves Simon ? Leur distribuer des kalachnikovs, aux gosses ? Rassurez-vous, certains le font. Vous êtes fiers, je suppose, de vos "engagements" ? Ou de vos calomnies venimeuses à l'égard des Israéliens, qui sont comme chacun sait les néonazis du siècle ? ...Revenons, revenons donc, redeamus, à Jordanès. Ce que c'est pourtant que de se laisser emporter. Elle figure, cette Scandinavie, la feuille du cèdre, après forte tempête du moins ; ses côtes se prolongent au loin, et puis se resserrent pour l'enclore ; l'Océan s'introduit sur ses rivages. Père Okéanos, dont les algues géantes et les encalminements font obstacle aux explorations. Elle est située vis-à-vis le fleuve de la Vistule, qui sort des montagnes de la Sarmatie, et qui, en regard de l'île de Scanzia, se jette dans l'océan septentrional par trois embouchures séparant la Germanie de la Scythie. Comme aurait dit M. Perrichon, "pensez, mes enfants, qu'il y a plus de 1500 ans la Vistule coulait déjà ici, à nos pieds" - Nizard, tu fis bien des émules, depuis le pharmacien Homais jusqu'à nos jours.

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Empruntons donc nos faibles lumières à l'ouvrage récemment lu, pour signaler que les Sarmates et les Scythes ont beaucoup vagué, se sont fait localiser tantôt ici tantôt là, au gré de leurs divagations certes, mais aussi des fantaisies géographico-historiques de l'époque. Les Sarmates, cette fois, sont en Pologne occidentale contemporaine, et les Scythes en Pologne orientale et autres Biélorussie, que les ignares tiennent à nommer Belarus – mais c'est comme ça qu'ils disent ! Certes, certes ; mais avant de parvenir en Belarus, il nous faudra franchir le Deutschland et la Polska, et la connerie n'a pas de frontières.

Poursuivons ! En avant, cuistres vaillants ! À l'orient, au sein des terres, cette île a un lac fort vaste, c'est de ce lac, comme d'un ventre, velut quodam ventre, que sort le fleuve Vagi, qui roule à grands flots vers l'Océan. Nous avions pensé au lac Vaener, dont l'émissaire, parfaitement identifiable, arrose Stockholm. Or Nisard semble plus dubitatif. Ce fleuve serait donc l'inépuisable vagin des peuples. La surpopulation aurait ainsi jeté les superflus vers les terres du sud et Rome. D'après mon livre, ce ne serait pas la seule raison de ces invasions. "Ne sauriez-vous parler que d'après un livre ? N'avez-vous donc aucune originalité ?" Rappelons Musset : "Il faut être ignorant comme un maître d'école" pour s'imaginer original. "C'est imiter quelqu'un que de planter des choux".

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