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La dernière bien bonne de Bouvard

Nous aborderons dans l'extrait qui va suivre le problème de la religion, qui n'a pas tourmenté particulièrement notre animateur. "La foi est affaire personnelle", affirmait mon interlocuteur, après quoi il se resservait en cassoulet". Que voulez-vous faire en face de la mort ? "L'homme est un bouffon qui danse au-dessus d'un précipice". Blaise Pascal - mais non pas "Blaise Tasseur", imbécile. Que du convenu, que de l'esprit, que du pétillant, eh bien, j'aime : pourquoi vouloir péter plus haut que son cercueil. Finalement nous vous le recommandons de bon coeur, ce petit volume 10966 des éditions "J'ai lu". Les lamentations de Bossuet ne sont pas toujours de mise, aux Marquises :

J'veux qu'on rie

J'veux qu'on danse

Quand c'est qu'on m'mettra dans l'trou.

Bordel artistique.JPG

Vous voyez qu'on peut tous s'y mettre, et qu'il ne faut mépriser personne. A toi Philippe, grand jouisseur devant l'Eternel :

"Des jeunes gens préféraient à une existence agréable une vie monacale durant laquelle, avec l'assurance d'être admis au paradis, ils n'attendraient que la mort. Le comble du masochisme me semble atteint chez des trappistes qui n'ouvraient la bouche que le matin lorsque, se croisant dans le cloître, ils se lançaient un joyeux "Frère, il faut mourir !" Même lorsqu'il était flagrant que Dieu s'était inscrit aux abonnés absents, on lui rendait grâce comme aux rois sous l'Ancien Régime, à savois qu'il était le plus puissant, le plus juste, le plus généreux, et que, quelle que fût sa volonté, il fallait qu'elle soit faite.

"Aujourd'hui, je me demande quand même si je n'aurais pas mieux fait de chausser les sandales du cistercien que les souliers vernis du reporter mondain que je fus. Vers la cinquantaine, à la lumière de ma propre expérience et de certaines confidences, je m'avisai que si les plus mécréants d'entre nous boudaient ouvertement les Temples où l'on adore (encore un excès de langage) la Sainte Trinité, ils s'étaient constitué, étayée par une métaphysique de bazar, une petite religion personnelle mélangeant superstitions d'enfants et fantasmes d'adulte.

"Ainsi, Alain Delon m'a-t-il appris un jour qu'il adressait au ciel une petite oraison quoditienne de sa façon." Attention le coup de patte. Rappelons pendant que j'y pense que l'on en devient pas moine pour mener une vie de mort-vivant, mais pour vivre une aventure passionnante. Bouvard sur Delon, que je croyais plutôt bouddhiste : "Lama Delon, vient nous servir à boi-re" : "Le temps de cet aveu, la star était redevenue un catéchumène. Moi-même, encouragé par des agnostiques professant que "si s'adresser à Dieu peut constituer une assurance, pourquoi se la refuser ?" , j'ai dû céder à cette tentation lorsque je souhaitais le rétablissement d'un proche ou la réalisation d'un projet important. Je me souviens d'un passage à Lourdes à l'époque où "le Théâtre de Bouvard" donnait des représentations un peu partout. Avant le spectacle du soir, nous étions allés visiter la Grotte. Et, alors que mes comédiens plaisantaient, j'avais remarqué la mine extatique de notre impresario peu coutumier du fait. En regagnant l'hôtel, je l'avais interrogé sur la nature de sa prière : "J'ai demandé à la Vierge de faire une bonne recette tout à l'heure." Toutes pratiques fantaisistes et cavalières à l'égard d'une divinité habituée à un rituel codifié de façon très précise depuis vingt siècles."

Il ne s'agissait donc pas d'une prière d'Alain Delon, mais d'un impresario resté anonyme : jamais de vraie méchanceté dans l'humour de Bouvard. "Je n'ai pas assisté à d'autres miracles qu'à celui qui a valu à un ancien cancre, promis à l'échaufaud par un papa déçu, d'avoir sauvé aussi longtemps une tête pas complètement vide.

"En revanche je ne suis pas près d'oublier la transe surnaturelle dans laquelle la messe d'enterrement de Jean-Claude Brialy avait plongé Carlos, mon vieux camarade et mon voisin de travée, sous la nef de Saint-André-des-Arts. Le chanteur populaire, le champion des raconteurs de bonnes histoires, le joyeux luron, ayant troqué son éternel portable contre une communication céleste, avait fait place momentanément à un personnage que je ne soupçonnais pas, comme s'il était déjà parti pour l'autre monde en compagnie de notre copain défunt. A la fin de la cérémonie, il redevint disert comme d'habitude. Lorsqu'il disparut quelques mois plus tard, je ne pus m'empêcher de penser que, sentant sa fin proche, il avait reconnu le terrain". L'anecdote et l'apparente frivolité cachent des abîmes. Ne pas hurler de désespoir, les voisins dorment.

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