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Bouvard et les morts


    Les morts seraient moins tristes s'ils savaient qu'ils pourront encore se tenir les côtes en regardant les vivants : titre fleuve, comme les affectionnait Séguéla (Ne dites pas à ma mère que je travaille dans la publicité, elle me croit pianiste dans un bordel). Les titres à rallonge, quand il ne s'agit pas de titres de noblesse ("Durand de la Fouchaudière de Bout de Mainmatin de Bonneheure de Corvée de Chiottes"), après avoir été signe d'une grande et profonde science instructive, ont fini, par l'intermédiaire du pédantisme, par s'appliquer à des choses de peu d'importance démesurément gonflées, comme chez Rabelais. Ici, nous aurions écrit "s'ils savaient qu'ils pourraient", mais l'amour de la belle langue française chez Philippe Bouvard nous garantit la correction de cet infinitif, car les morts pourront effectivement se tenir les côtes, puisqu'ils n'auront que cela à tenir.
  

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 Bouvard, de son prénom Philippe ("il existe bien un saint Philippe, mais ce n'est pas moi") faillit se faire éjecter des Grosses Têtes après 40 ans de succès pour cause de vieillesse. Mortifié, il se battit pour conserver son poste : "Une place au micro", titrait aigrement un confrère, faisant allusion à la taille microscopique de notre auteur, qui joue les vexés pour masquer qu'il a été vexé. Depuis 2014, remplacé aux Grosses Têtes par l'ubiquitaire Laurent Ruquier, il anime désormais sur Radio-Luxembourg l'émission "Allô Bouvard". Il est donc particulièrement bien placé pour s'imaginer mort dans ce fascicule (220 pages), tenant sous terre un journal de journaliste extrêmement savoureux pour ceux qui l'aiment.
    Il estime qu'il serait bon que certaines personnes fassent annoncer faussement leur mort, afin de constater la réaction de leurs contemporains, collègues, famille et prétendus amis - mais comment voulez-vous écrire du nouveau, ou du vrai, sur la mort ? Nous avons droit aux pirouettes, aux jeux de mots, à l'esprit parisien, agrémentés par le fumet de la viande s'exhalant du soupirail : nous imaginons sa bonne bouille ricanante et sans prétention, ses intonations, toute la fumée de la sauce (il était fin gourmet), sans la viande réelle. Nous ne pouvons que hurler, ou plaisanter courageusement, rageusement, lucidement, ou lâchement. Mais si c'était d'un autre, moins vivant, moins présent, si nous ne parvenions pas à joindre à cet étincellement de pétards souvent mouillés la silhouette, la démarche, la gouaille d'un présentateur devenu fétiche, nous n'en éprouverions nulle hilarité.
    Rassurez-vous, c'est tout de même au-dessus de Ruquier ou de Frank Dubost. Ce n'est pas tout à fait du Wilde non plus, dont on disait qu'il menait la conversation con grande maestria, répliques désormais à tout jamais perdues malgré les éclats de dire. Seulement, parfois, nous cherchons ici l'originalité, le piquant, sans les trouver. Nous tombons souvent dans l'Almanach Vermot. Il bavarde, il dit des évidences, brode les lieux communs dans une langue parfaite, un vrai d'Ormesson du comique. Parfois plat, Bouvard, mais jamais vulgaire ou populacier, ni déplacé. Je l'ai lu le premier avril 2015, et le 2, à Bourges. Presque d'une traite. Une fois sur un banc public .
    Nous reconnaîtrons à ce livre jeté sans importance sur le papier, les qualités d'une flûte à champagne lancée à la face de la Camarde, d'un pied de nez, d'une bonne blague funèbre,
    Amusez-vous foutez-vous d'tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous comme des fous
La vie est si courte après tout
Paroles : Sacha GUITRY / A. WILLEMETZ Musique : W. HEYMANN. Chanté par Henri Garat Juste avant la guerre

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