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Demi-frères

 

	François ne ressemble à Maatz que par l'implantation de ses cheveux ; encore ne sont-ils pas tombés,
mais virés au blanc dès la trentaine. Outre les souliers haut de gamme et l'étude de la langue tchèque
(hommage à grand-mère Agata), François dit Frank Nau s'intéresse au tarot, sans en tirer bénéfice,
mais non sans déduire, en privé, certaines choses et circonstances : leur pléthore symbolique recèle
immanquablement, tôt ou tard, une trame explicative, « non moins assurément » dit le docteur
« que l'analyse histologique d'une feuille de chou. »
Les raisonnements induits par le tarot se présentent sous forme de nébuleuses : le cartomancien
déduit par analogie, comme le procédé « x + 6 » du dictionnaire, ou n'importe quel philosophe médiéval ;
rien de plus opposé, donc, aux raisons de la médecine. « Et pourtant... » - dès l'instant où deux faits,
deux concepts, peuvent s'assimiler, ce qui ne manque jamais de se produire, quelles que soient les causes
ou les conséquences. D'où, chez le cartomancien, ce flou artistique analogue aux entourloupes catholique,
marxiste ou freudienne : quoi que vous pensiez en effet, quelles que soient vos objections ou réserves,
toujours l'un ou l'autre de ces croyants parviendra à placer très exactement ce que vous dites,
ou ce que vous taisez, « dans le cadre où son art a borné l'Univers ».

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François le savetier, qui n'a jamais brillé dans la logique, voit sa vie à travers le tarot. Il interprète
librement sa guise chaque lame. C'est aussi pour ne pas entacher la réputation de son frère médecin
qu'il affiche l'identité controuvée de Frank Nau (« neuf », en hindi). Il n'a pu le faire inscrire à l'état civil,
mais se désigne, sur son enseigne et sur l'auvent de son camion, "Frank Nau", "Fort-Saint-Jacques",
Dordogne. C'est un homme "sensuel, sans problème" - du moins se décrit-il ainsi dans les petites annonces :
"Sens. ss. pb." François et Pascal sont fils d'un chirurgien de Nantes, cardiologue rigoriste ; il est aisé de voir
auquel des deux frères le redoutable père accordait ses préférences.
Mais la mère adorait le petit Frank, son "fils en coton" comme elle l'appelait, bouclé avant
d'avoir blanchi. Dès la mort de ses parents, voici trois ans, Frank Nau manifestera de grandes
dispositions sexuelles, comme si en vérité le capuchon d'autour lui avait été ôté des yeux. Sa maîtresse
actuelle, une Allemande, issue des Mertzmüller de Rauffendorf : une grande blonde à tresses, strip-teaseuse
en scène et à domicile, ce qui ne laisse guère à ses voyeurs que le choix de la stricte abstinence.
Que François (Frank...) Nau, savetier à Vergt-de-Périgord, soit parvenu à s'attirer les bonnes grâces
d'une telle créature, une artiste ! tient du miracle. Miracle sociologique, miracle conjugal : lui, le raté
de la famille ("...ton frère qui a obtenu son diplôme de médecine !"), baise l'une des plus belles créatures
de France et d'Allemagne - la mère sans jalousie demeurant en excellents termes avec son fils,
l'admirant même plus que l'autre.
Nul ne contestera qu'il soit plus facile, à bien y regarder, de franchir sept années d'études après le bac,
dont deux en externat indemnisé, que de pouvoir inscrire sur son carnet de conquêtes non seulement
une femme, ce qui en soi constitue déjà un exploit, mais l'un de ces blocs de glace qui lève la cuisse
en cadence ou se dénude au Crazy Horse itinérant de Rodez ou de Montpellier, mille francs la place,
champagne en sus, devant les provinciaux
congestionnés .

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