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Cicéron, Sur les provinces consulaires

CA NE VOUS FERAIT RIEN DE VISITER MON BLOG TAS DE NAZES

 

    Il vous faut perdre toute illusion sur la capacité que vous auriez un jour de vivre, de conclure et de mourir en état de réconciliation avec vous mêmes, et il ne suffit pas de prendre de l'âge pour accéder aux plus hautes plages de la pensée. Vous éprouvez ce matin le sentiment d'une honte profonde pour la conduite de votre vie, de toute vie. Et vous vous demandez si les lignes que vous allez tracer, comme une messe quotidienne imposée par vous-mêmes, doivent se soumettre aux caprices hormonaux de votre régie interne, ou bien si le lecteur ici doit prendre le pas sur l'homme sentant. C'est insoluble et vous mourrez ainsi. « Je ne veux pas rappeler que ceux qui les occupent présentement » (les provinces de Syrie et de Macédoine) « les ont obtenues dans des conditions telles qu'ils n'y ont pas abordé en fait avant d'avoir condamné le Sénat, éliminé votre autorité de la cité, fait subir à la confiance publique, à la sécurité permanente du peuple Romain, à ma personne et à tous mes biens les plus honteux et les plus atroces des outrages ? » Malgré la note 1 tout en latin que je ne débrouille pas, vous voici confrontés aux tortueux tournures d'un pro du blabla.
    Je hais Cicéron.  Plus encore que Sidoine. Cicéron est une véritable savonnette, à l'aise entre les mains humaines, où il glisse des unes aux autres avec dextérité. S'il dit qu'il ne parlera pas d'une chose, c'est en en parlant, les grammairiens vous ont appris que c'est de la « prétérition ».  Donc, de certains consuls, Gabinius et Pison, comme il est dit dans la notice, avaient prémédité, sur le bateau même, de renverser la République par leurs exactions exotiques : après son consulat, tout un chacun se retrouvait ruiné, se faisant ensuite attribuer le proconsulat dans certaines provinces, bien riches, afin de rétablir leur budget par quelques impôts soigneusement encadrés par la loi. Il semblerait même qu'avant d'embarquer, ces deux proconsulaires avaient bafoué l'autorité sénatoriale, mis en danger la sécurité du peuple, et tâché de démolir les maisons du pauvre Cicéron.
    Mais ce dernier n'en parlera pas : c'est comme si c'était fait. « Je ne veux pas rappeler leur conduite, dans nos murs et dans notre ville, une conduite si néfaste qu'Hannibal lui-même n'a jamais pu  souhaiter autant de mal à notre ville qu'ils en ont fait eux-même. » Le tout est de savoir ce qu'est la vérité : est-ce la vie, ou bien la mort ? Et ces Gabinius et Pison se sont-ils vraiment comportés de façon aussi scandaleuse ? Ils ne différaient pas, nous dit-on, de leurs contemporains dans cette époque corrompue : mais quelle époque ne l'est pas ? Quitte à s'exprimer par clichés, nos faits et gestes historiques ne sont-ils pas dépourvus de toute dimension à l'égal de ces tourbillons de mouches autour des bouses ?
    Il vous manque l'ordre et le jugement : cela fait beaucoup. Il vous en reste assez pour  soupçonner Cicéron d'amplifications accompagnées d'un beau jeu de manches. Après tout, ne devait-il pas se réconcilier avec ce beau monde ? Cicéron n'a—il pas tous les avis à la fois, merveilleusement humain, tout indifférencié ? « J'aborde seulement la question des provinces ». Voilà qui est habile ! Nom de Dieu, j'écrirai n'importe quoi et vous ne m'en empêcherez pas, ô chaînes. Un jour on m'aimera pour ce que je suis, un fou intempérant, un tout ce que l'on veut. Après avoir jeté le trouble chez les juges par tant d'antécédents délictueux, Cicéron feint de ne se rabougrir qu'à un point de détail : mais ce peu de chose, d'aspect purement documentaire et technique, pouêt pouêt tagada, s'est vu entaché de tout un arriéré de méfaits pendables.
    Passons donc à ces provinces, toute petite partie des griefs : « L'une d'elle, la Macédoine, que protégeaient auparavant non pas des fortifications militaires, mais les trophées de nombreux généraux », et ici, une virgule. Nous en aurons besoin, car c'est une période qui commence. La phrase sera longue et compliquée comme une insulte roumaine. Et pour faire bonen mesure, la note en bas de page – cauchemardesque ! - énumère ces noms de triomphateurs à la mords-moi-le-nœud : T. Flamininus (le même qui proclama l'indépendance de la Grèce?), L. Paullus, Q. Caecilius Metellus Macedonicus, et je passe le reste, « qui s'illustrèrent dans la guerre de Macédoine » : laquelle ?
    Il fallut régulièrement pacifier cette région, berceau d'Alexandre : autrement dit tuer. La fameuse Pax Romana ne viendra que bien plus tard. Bien des cadavres après. Mais  ne pleurons pas là-dessus : après tout, l'homme est fait pour ça. Et Cicéron reprend : [la Macédoine], « où, depuis longtemps, nombre de victoires et de triomphes avaient maintenu le calme » virgule, notre phrase prend son élan, la vague de houle se hausse et se recrête, attendons dans le suspense inhalateur, « est aujourd'hui persécutée par des barbares à qui leur cupidité a ravi la paix » : c'est à cela que l'orateur voulait en venir : nous avons de nouveaux Verrès, nous avons une autre Sicile.  Nous tenons un autre Clodius (plus tard, plus tard...).
   Le biberon des pieds.JPG     L'invective, l'insulte, mon Dieu empêche-moi de virer enrager, laisse aller ton corps, « si bien que les Thessaloniquiens, placés au cœur de notre empire, ont dû quitter leur ville et fortifier leur citadelle »  à son sommet, comme les Athéniens devant Sparte, ou les Romains devant Brennus. Ce qui expliquera plus tard l'appel en faveur de César, qui écarte définitivement tout danger de retour des Gaulois en bas de Rome. Quitte à dénoncer, beaucoup plus tard encore, les exactions de César. Bref, ces deux proconsuls à eux deux incarnent toute la décadence et l'illégalité.
    Ce qui devait n'être dans la phrase qu'un rebondissement permet de renquiller sur les pauvres gens de cette bonne ville, sur l'interruption des voies de communications, « et que notre belle route stratégique, [joignant] l'Hellespont à la Macédoine, est infestée par des incursions barbares et même coupée et déshonorée par des campements de Thraces. » On entre là-dedans, on en sort comme d'un moulin. Noter l'insistance du mot « barbare » : on ne leur avait pas appris que les autres civilisations n'étaient pas inférieures à eux. Mais au Diable l'immobilisme idéologique ! Il faut que l'histoire avance, que la Nature se perpétue, au prix d'une constante autophagie.
    Il ne sont pas beaux, les Thraces, ils ne sont pas comme nous. « Ainsi ces nations qui, pour jouir de la paix, avaient versé des sommes considérables à notre général » - grâce, grâce...

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