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J'en rêve de ces trucs, j'te jure...

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    C'était un musicien, presque aveugle, au regard tordu. Il s'habillait avec soin, sous sa barbe volontaire. Il avait emménagé dans ce logement de la rue de Pessac, avec un ami, en tout bien tout honneur. "Comment vous rejoindre ?" Un troisième homme les recherchait... Mon musicien vivait avec la belle et conne Charlotte : c'est surtout elle que j'avais envie de rejoindre. Mais il faut soigneusement cacher cela ! Donc me voici, sur indications de ce troisième homme, fourré dans une voiture en stationnement, au sommet d'une colline en pleine ville, en bordure d'un immense carrefour : directions "Jaurès", "Péguy", que sais-je... et démerdez-vous !
    Le démarreur émet des bruits d'agonie, l'échappement de grosses fumées, une pétarade, et le véhicule s'ébranle. Vétuste, mais miraculeusement pourvu d'un système GPS qui me mène sur des rails jusqu'à destination. C'est une ville vaste et sauvage, tout m'y est inconnu. Tant on a construit, tant on a détruit :
cette profonde trouée, progressivement élargie entre les immeubles. Tout est méconnaissable. Pourtant c'est bien Bordeaux, où je me suis malgré moi incrusté comme une huître. Et l'adresse, dont "le troisième homme" et moi nous souvenions, n'est plus la bonne de puis longtemps : l'employé d'une agence immobilière où je me renseigne en désespoir de cause me reçoit les bras croisés avec aplomb :
     "Comment ?" me déclare cet individu, exact sosie d'Alain Delon : "Vous ne saviez donc pas que c'est moi, et non pas un autre, qui lui ai vendu le domicile où il réside actuellement ?" - ma foi nom, comment l'aurais-je appris ? mais c'est qu'il se foutrait de moi, ce suffisant ! ...gonflé comme un crapaud qui fume ! Et bien installé : son bureau, garni de baies vitrées sur quatre côtés, domine tout le quartier de cette ville devenue décidément bien montueuse, et tout en me parlant, il fait négligemment tourner du bout des doigts un vaste globe à l'ancienne digne du Dictateur de Chaplin. Il est ma foi impossible que Bordeaux, bien plate, soit devenue à ce point accidentée, au point que les rues ne font que monter et redescendre. Le trou dans le plafond.JPG
    La seule explication serait que par la trouée d'immeubles de tout à l'heure je sois parvenu, par "une faille dans l'espace-temps" selon la formule consacrée, dans une ville telle que Liège, ou Bruxelles, "peu propice au flâneur" disait déjà Charles Baudelaire...
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Après tout je me fous bien de ce musicien, de sa femme et de son colocataire : toute cette engeance doit bien avoir vieilli autant que moi. Qu'importe aussi la ville où je me retrouve. A présent je m'y sens à mon aise. J'y ai retrouvé sans peine le studio d'où tous les vendredis je suis autorisé à émettre une émission radiophonique. Alors, comme c'est aujourd'hui vendredi, que tout est soigneusement préparé, là, dans ma petite mallette, je fais mon émission, tout seul, comme d'habitude. Redescendu de mon studio, je tombe sur une admiratrice inconnue - quel beau métier ! - qui me félicite, non seulement pour cette émission, mais pour celles qui l'ont précédée !
    De quoi en vérité l'entraîner sans trop de protestations à l'intérieur du bâtiment, grande, rose et bien en chair, pour l'embrasser sur la bouche; même, je conduis ses doigts glacés par l'ouverture de ma chemise pour les réchauffer sur mes côtes elles-mêmes couvertes de gras. Second baiser, exaltation montante, cela faisait longtemps que je n'avais pas vu un homme - apparemment, les deux assistantes qui ouvrent soudain la porte sur nous deux non plus, car elles nous fusillent du regard... et ma grosse conquête les suis illico dans le couloir, me laissant là comme un navet sur une table. J'ai tout de même l'immense compensation auditive de l'entendre commenter à voix forte ma capacité de séduction, comme pour justifier sa chaleur subite à l'endroit de ma personne.     
    C'est bien s'exciter pour une simple pelle ; je referme ma braguette prématurément ouverte... Rabattons-nous sur une femme connue de longue date, une amie de ma femme, avec laquelle je n'aie jamais songé à la tromper, car tout arrive. Sortie de ville et campagne profonde, village d'enfance : j'avais six ans, Dieu sait jusqu'où m'entraîneront tant de prestigieuses non-aventures. Buzancy. Je peux bien en dire le nom. Même là, notre époque a frappé : étrange, tout de même, de voir s'inviter chez soi, lorsqu'on a six ans d'âge, l'amie personnelle de sa future épouse. En ce temps-là, l'oeil noyé d'entropine, j'introduisais dans de petites maisons en carton, soigneusement confectionnées par moi, des mouches, qui agonisaient sous mes yeux, empoisonnées par les parois.
    Que venait faire ici cette visiteuse du futur ? Ce jour-là, j'avais renoncé aux mouches, mais devant moi la table présentait un "tapis de souris" ; et dans l'épaisseur de cette espèce de mousse lisse, des fentes parallèles permettaient le déplacement de curseurs métalliques, comme sur une table de mixage. Cela produisait une musique envoûtante. Quel bonheur pour un enfant de se croire, d'emblée, compositeur de talent. Le petit Christophe savait qu'un jour, il serait Beethoven ; il serait bien puni plus tard de cette innocente vanité, quand il soufflerait (maximum de son talent) dans un pipeau de plastique troupieaux, troupieaux... Pour l'instant, l'enfant enchanté s'écoutait produire des ondes Martenot,  phrase courte et mécanique mélodieusement répétée.
    Il se mouvait en rêve dans une grande villa, très claire et sans mouches, en Afrique du Nord : la combinaison des sons instrumentaux reproduisait, en syllabes allongées, le mot  magique d'AL-GE-RIE. Autour du jeune Christophe la famille, et les amis, s'étaient réunis, respectueux, dans la musique et la lumière. Mais assez vite, le tapis de souris s'assécha. La force magnétique du liquide perdit son efficacité. Les curseurs et leurs longues fentes s'effacèrent, et l'enfant se retrouva seul, devant un tapis de mousse sèche, inutile

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