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Renart Le roman de Guillaume de Dôle


    Le roman de Guillaume de Dôle s'interprétait naguère comme une suite au Roman de la rose. Nos spécialistes l'en ont détaché. Il ne s'agit plus de conquérir la Dame assiégée dans le château-fort de ses vertus, ni de vouer la femme aux gémonies traditionnelles, mais jusqu'ici du moins, de célébrer la bonne chère, le luxe et l'affabilité royales. Ce serait même  de l'empereur d'Allemagne, Conrad, qu'il est question, qui tombe amoureux de la belle Lïénor, juste en l'entendant célébrer par son trouvère de service, Juglet nomine. Le thème est celui de l'amour de loin, mais qui ne s'est pas amouraché de sa petite correspondante américaine. Toujours est-il que cet empereur envoie son messager auprès du frère de cette accorte damoiselle, qui se nomme Guillaume de Dôle, en Franche-Comté.
  

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 Ce n'est partout qu'un vaste festin, avec robes retroussées, musique, vins et poulardes. Nous avons devant nous plus de quatre mille vers encore, ce ces petits octosyllabes vifs et essoufflés. Voici Lïénor mandée à la cour du saint empereur germanique, ce dont sa mère esjouit fort : c'est tot honor qui nous vendra. La langue est d'oïl, encore accessible : rien de plus honorable que d'être ainsi demandée, pourvu que vertu soit sauve, ja n'y faudra, "cela ne manquera pas" - li cuers le m'a tos jors bien dit, belle fierté, sincère amour, début du feuilleton, bal de la débutante e tutti quanti. Mais le messager presse: en avant sans doute pour les draps "les plus beaux du monde", la vaisselle "dont on ne vit jamais la pareille" (dentaire) et autres énumérations fastueuses. Uns sien chevaleirs qui porvit / la letre si li a - Filz, vos irez, ce dit la mere. leüe : nous pensions à l'ignorance, les dames ne savent point lire, mais il était d'usage nous dit-on qu'une lettre fût d'abord parcourue (verbe "porvir") par un clerc ou un chevalier (ici) avant d'être remise à son destinataire de haut rang :
    Li empereres vos salue ; / après, si vos mandë et prie, lués qu'avrez  (dès que vous aurez) ceste letre oïe, / que ja n'y querez nule essoigne (nulle excuse) / por aloigne ne por besoigne (sans retard ni besogne urgente) / que vos n'ailliez a lui lués droit, / qu'il n'iert mes liez (car il ne sera jamais heureux) jusqu'il vos voit. Lettre brève, galante en son début,
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enamourée en sa fin, mais bien autoritaire en son corps : convocation sans délai, l'empereur exxige de tout laisser en plan pour soulager son coeur d'aristocrate endolori. Comment se dérober ! Filz, vos irez, ce dit la mere. / Grant honor vos fet l'emperere / quant il si belement vos mande. Il va de soi que le grand frère servira de chaperon.
    Une fille bien née de la Franche-Comté ne saurait ainsi chevaucher seule ni enmi de rustres chevaliers. Or ce frère, ainsi que l'empereur et toute gent de cour, se préoccupe avant tout de sa chasse et de ses aises : Dame, ainz irons à la vïande / et puis aprés si ferons el. D'abord bouffer. La rime est plaisante : l'empereur vous mande - ma mère, d'abord la viande. Haha ! ce qu'on se bidonne. Avant les préparatifs du jeune couple frère et soeur, nous aurons droit aux apprêts du festin, ce que faisait déjà Homère. Et lorsqu'on a bien bu et bien roté dans sa manche, on peut se mettre en branle et se faire sauter sur son cheval, allure tape-cul. L'en done l'eve par l'ostel, c'est-à-dire l'eau, car on a de l'hygiène en ce temps (plus personne à présent ne se lave les mains avant de passer à table) ; l'eve, c'est l'eau (d'où l'évier), mais le rapport avec notre mère à tous n'est qu'une coîncidence phonétique, dont maints commentateurs ont fait des gorges chaudes) - si assieent li chevalier. Sans "s" au pluriel, car le "s" est la marque, au contraire, du singulier.
    Nous n'y coupons pas : après le repas de l'empereur, ou les repas, nous devrons apprendre que tout le monde a bien bouffé : Cil qui tot set sanz ensegnier / quanqu'il apartient a honor / prist le vallet l'empereor / qui mout estoit de bone part ,/ si se vont seoir d'une part / de la table a un des corons. Et là, Fitzgerald, il nous faut de la glose et du commentaire. Le fils apparemment "sait tout sans avoir rien appris", ce qui était la prétention des nobles. Il sait tout ce que l'on doit à la courtoisie, en tout cas, d'instinct, par sa noble éducation ; il serait de la dernière impolitesse de laisser illico l'envoyé repartir sans lui avoir offert un festin, puisqu'aussi bien c'est l'heure du repas.
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    Et l'honneur de l'empereur n'en sera pas amoindri, non plus que le sien, qui est d'obéir. Les ordres sont les ordres, mais le respect mutuel règne : l'envoyé est "de bone part", entendez de bonne famille, da buona parte, il aura donc la place d'honneur, non pas dans les corons, mais à une extrémité de la table. Char orent assez et poissons / a cel mengier à grant plenter. On s'est donc bien bourré la panse, car le grand seigneur est celui qui régale, qui offre, qui estime ses convives à proportion de ce qu'il offre. Largesse est vertu de noble. "Biaus amis, or avez esté, / fet-il, maintes fois miex serviz" - prononcez "mieux" je vous prie. L'hôte joue de modestie, car la chère impériale est abondante, mais moins raffinée sans doute qu'au bord du Rhin chez Sa Majesté Conrad, qui n'est ni le Premier de Germanie, ni le Deux dit "le Salique", ni le Trois de Hohenstaufen, qui ne fut jamais couronné.
    Mout mengissiez (vous auriez mangé) or a enviz / cette viande a vavassor (nourriture de petit noble) / en la maison l'empereor. "A enviz" veut dire ici "de mauvais gré". Ce sont là politesses de maître de maison. Et le serviteur de renchérir, car il n'est pas question de dénigrer, même par courtoisie, la table de l'Empereur Romain Germanique : " - Sire, dit-il, ce n'est pas doute, / mes (mais) venaison qui flere toute /de senglers ("qui embaume", après préparation s'entend...). Laissons-les pour l'instant à leurs agapes.








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