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Tolstoï est grand

Pour apporter le réconfort à ses lecteurs, il faut non seulement lui présenter de grands et beaux exemples, mais aussi des exemples à détester, comme le fait aussi de son côté Dostoïevski. "Mensonge de la femme, qui affecte le dévouement et calcule comment elle vivra, lorsque le mari sera mort. Universel mensonge, auquel s'oppose, seule, la vérité d'un domestique compatissant, qui ne cherche pas à cacher au mourant son état et l'aide fraternellement. Ivant Iliitch, "plein d'une pitié infinie pour lui-même", pleure son isolement et l'égoïsme des hommes ; il souffre horriblement, jusqu'au jour où il s'aperçoit que sa vie passée a été un mensonge, et que ce mensonge, il peut le réparer. Aussitôt, tout s'éclaire, - une heure avant sa mort. Il ne pense plus à lui, il pense aux siens, il s'apitoie sur eux ; il doit mourir et les débarrasser de lui.
    - Où es-tu donc, douleur ? - La voilà... Et bien, tu n'as qu'à persister. - Et la mort, où est-elle ?... - Il ne la trouva plus. Au lieu de la mort, il y avait la lumière. - "C'est fini", dit quelqu'un. - Il entendit ces paroles et se les répéta. - "La mort n'existe plus, se dit-il.
    Ce rayon de lumière ne se montre même plus dans La sonate à Kreutzer. (Note 1 - c'est la Sonate pour piano et violon n° 9, dédiée par Beethoven au violoniste français Rodolphe Kreutzer ; cette sonate est jouée par un des personnages principaux de l'ouvrage, d'où le titre de cette longue nouvelle, ou de ce court roman). "La première traduction exacte de cette oeuvre en français a été publiée par M. J.W. Bienstock, dans le Mercure de France (mars et avril 1912)." Traduction de la Pléiade en 1960 par Sylvie Luneau, et de monsieur Michel Aucouturier en 2010. "C'est une oeuvre féroce, lâchée contre la société, comme une bête blessée, qui se venge de ce qu'elle a souffert. N'oublions pas qu'elle est la confession d'une brute humaine, qui vient de tuer, et que le virus de la jalousie infecte. Tolstoï s'efface derrière son personnage, et sans doute, on retrouve ses idées, montées de ton, dans ces invectives enragées contre l'hypocrisie générale : hypocrisie de l'éducation des femmes, de l'amour, du mariage - cette "prostitution domestique", - du monde, de la science, des médecins, - ces "semeurs de crimes". - eh bien, moi qui prenait ça pour les opinions mêmes de Tolstoï, il va falloir que j'en rabatte, au temps pour moi.
    Noter que Tolstoï en avait autant contre les scientifiques "je sais tout" que contre les artistes qui se prennent pour des artistes. "Mais son héros l'entraîne à une brutalité d'expressions, à une violence d'images charnelles, - toutes les ardeurs d'un corps luxurieux, - et par réaction, toutes les fureurs de l'ascétisme, la peur haineuse des passions, la malédiction à la vie jetée par un moine du Moyen Âge, brûlé de sensualité. Après avoir écrit son livre, Tolstoï lui-même fut épouvanté : "Je ne prévoyais pas du tout, dit-il dans sa Postface à La Sonate à  Kreutzer, "qu'une logique rigoureuse me conduirait en écrivant cette oeuvre, où je suis venu." Note 1 : "La traduction française de cette Postface par M. Halpérine-Kaminsky a paru sous le titre : Des relations entre les sexes,dans le volume "Plaisirs vicieux" -  Mes propres conclusions m'ont d'abord terrifié, je ne voulais pas les croire, mais je ne le pouvais pas... J'ai dû les accepter. Le Cher, sans doute.JPG
    Il devait, en effet, reprendre, sous une forme sereine, les cris farouches du meurtrier Posdnichev contre l'amour et le mariage :
    Celui qui regarde la femme - surtout sa femme - avec sensualité, commet déjà l'adultère avec elle.
    Quand les passions auront disparu, alors l'humanité n'aura plus de raison d'être, elle aura exécuté la Loi ; l'union des êtres sera accomplie. La Création, ajouterai-je, sera résorbée : expansion, contraction, expansion - et si l'Univers n'était qu'un sphincter ? "Il montrera, en s'appuyant sur l'Evangile selon saint Matthieu, que "l'idéal chrétien n'est pas le mariage, qu'il ne peut exister de mariage chrétien, que le mariage, au point de vue chrétien, n'est pas un élément de progrès, mais de déchéance, que l'amour, ainsi que tout ce qui le précède et le suit, est un obstacle au véritable idéal humain..." - nous dirions plutôt déhumanisé, en tout cas antichrétien.
    C'est ainsi que Tolstoï, comme tous ceux qui croient, de la droite à la gauche, nous présente un tableau théorique à la fois libérateur, exaltant - et parfaitement rétrograde. Lisez donc ses romans, et ne fouillez pas trop dans l'arrière-cuisine du grand Tolstoï, car c'est ainsi qu'il est grand : Tolstoï balchoï. 

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