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Le comique lorsqu'il est chiant

Cette fois-ci ce sera très dur. On m'achète en cadeau de Noël un "Grand livre des histoires drôles", 2012, ce qui laisse supposer une livraison annuelle. C'est de la cruauté mentale : plus de 1400 platitudes, agrémentée de dessins mous et sans plus d'esprit que lesdites blagues. Mes rapports avec ma fille ont mis beaucoup de temps à se détendre, car trop souvent je ne lui présentais qu'un ramassis de propos absurdes plus ou moins rigolos. Alors, elle m'a pris "à la clown". Comme il faut s'y attendre, ce ne sont que des histoires gentilles, de belles-mères et d'animaux, classées par genre, avec un numéro pour ne pas sans arrêt raconter les mêmes.

Le grand défaut est de manquer de rapidité. Les meilleures blagues sont les plus courtes. Or, la rage des auteurs de toujours présenter des anecdotes dans un style soutenu amène à la rondeur, qui empêche toute brusquerie en émoussant toutes les pointes - déjà, nulle histoire de cul, ni de juifs, ni de Belges, moins encore de pédés juifs belges. Tout juste des grivoiseries pour sixièmes redoublants (seins et fesses, une allusion tout de même à la Grotte de la Squaw). Une histoire drôle, pour moi, ça se raconte à toute vitesse, avec surprise. Il est évident que la célébrissime "Docteur quand je mange de la purée je chie de la purée, quand je mange de la compote je chie de la compote, que faire ? - Eh bien mangez de la merde" doit se raconter à vitesse supersonique, la fin se sentant, si j'ose dire, d'une lieue.

Le mot merde, d'ailleurs, comme bite, pine, couilles, est résolument proscrit. Le livre peut se mettre entre toutes les mains. Nous savions les comiques réactionnaires, et les enfants aussi, ce livre énorme nous le confirme. Pas d'histoires de macchabées, non plus ; ni de religion, ni de politique. Le rabotage complet. Les femmes sont coquettes et prudes à la fois, les maris obsédés et stupides, c'est donc d'un gnangnan éprouvant; A moins que, à moins que... Reprenant en public certaines de ces blagues à deux balles, je les ai instinctivement allégées, ôtant les commentaires qui foutent tout par terre, parce que tout de même, on a compris, on n'est pas si con en dépit du dicton.

Et mes auditeurs se fendaient d'un rire au moins poli. Donc, ces textes dits humoristiques sont rattrapables. Il suffit de les raccourcir, de les aiguiser, mais aussi de les mettre en scène, en situation. Les gestes, les mimiques y ajouteront également. Observez en effet les sketches d'une Foresti ou de Muriel Robin : très peu de choses. "Si on supprimait tous les "o" : "B'n'jur, m'sieur l'bucher, je vudrais un gig't"- ou alors, "si toutes nos paroles s'accompagnaient d'un écho - enfin c'est marran-an-ant - c'est rigolo-o-o" - vous voyez qu ela puissance comique est voisine de zéro, niveau cour de maternelle. Mais les intonations de Muriel Robin, ses mimiques à la fois naturelles et outrées, comme perpétuellement indignées, sa promptitude à passer de la vulgarité à la tendresse, en un mot, sa personnalité (pensons aussi à Pierre Palmade) font passer tout cela dans de vastes torrents de rigolade. Imprimez tout cela, de Franck Dubosc à la Roumanoff, et vous obtiendrez des enfilades de clichés particulièrement éculés, qui ne se rattrapent que par la guignolade permanente, épuisante, du bouffon sur ses planches ! Clown, comique, c'est tout un métier. Qui détruit. Le soir de la mort de son fils, ou de sa femme, il faut être sur scène et débiter ses conneries pour le plus grand bonheur du dernier rang ! "Une femme entre dans un magasin de nouveautés : "Oh ! cette robe est affreusement indécente ! Quand je me penche, on voit mes seins et mes fesses ! Je la prends tout de suite !" Excellent canevas.

Eléments maritimes dga.JPG

Lu, comme ça, ce n'est qu'insignifiant, voire agaçant.

Mais feue Sylvie Joly, ou Bigard ! l'auraient transformé en chef-d'oeuvre de mimiques et de minauderies à se rouler par terre ! Le dessin, en face, me plaît davantage : un peintre sur une échelle

renverse involontairement un gros pot de blanc sur un chat noir venu de la gauche et qui passe sous ladite échelle. Je me marre, parce que j'aime bien la connerie des animaux. Ils sont inquiétants, ces bestiaux. Un chat qui prend son élan et qui se casse la gueule, nous voilà tout en émois zygomatiques : "Ha ha ! tu te crois malin mais finalement tu es aussi con que nous !" Plus finement, un porte-malheur passe sous une échelle et se transforme en porte-bonheur, et nous pourrions fouiller l'analyse, car les renvois ou ricochets ici sont assez riches.

Si vous expliquez un effet comique, si vous le décortiquez, vous châtrez le rire : c'est automatique.…

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