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Le grillé du foyon

Pied, touriste et guérite.JPG

Le grillé du foyon, plus exactement Le grillon du foyer, de Charles Dickens, aux éditions Delagrave, "Bibliothèque Juventa", adapté de l'anglais par M.Chinon, figure dans une édition de 1933 en compagnie d'autres contes, dont Le cantique de Noël, ce qui n'est aujourd'hui que par coïncidence. En dépit de l'avant-propos laudatif destiné à rapporter brièvement les admirables qualités de Charles Dickens ainsi qu'un aperçu de ses oeuvres (où ne fignrent pas De grandes espérances), nous avons eu bien du mal à nous départir de certaines préventions tenaces : nous ignorons dans quelle mesure ce recueil était destiné à la jeunesse, mais le fait est que ces pages dégoulinent de bons sentilents, de politesses melliflues et autres sentiments attendrissants au point de faire passer pour du Corneille La petite maison dans la niaiserie. Pourtant, à relire Le conte de Noël, divisé en trois parties, "Le premier des trois Esprit, Le second des trois Esprits, Le troisième Esprit", nous avions par un exercice d'empathie rejoint un certain émerveillement, une certaine joie, à l'histoire de cet usurier, Mr Scrooge, Ebernezer, juif comme tout usurier qui se respecte, ennemi farouche des voeux de Noël, exerçant rapacement son usure sur toute une série de familles misérables dont il suçait l'argent jusqu'à la famine et la mort.

Mais trois esprits apparaissaient à cet homme farouche, le premier sur le passé, du temps où il était un jeune homme de grande espérance et tout frais tou trose, le deuxième sur son lit de mort à venir, tout nu, dépouillé même de son linceul, car les victimes avaient tout enlevé de chez lui pour se rattraper financièrement et se venger, le troisième pour lui indiquer, alors qu'il se roulait à terre en suppliant, la façon de se tirer de ce mauvais avenir, en se transformant radicalement. Ce qu'il fait, en trouvant Noël merveilleux, en augmentant le salaire de son employé, en tapotant les joues des petits enfants dans la rue, et en remboursant ses dettes. L'humour alors parut acceptable, les attendrissements riches en enseignements humains, et les terreurs bien terribles.

Là-dessus nous nous étions aperçu, de façon bien éphémère hélas, que ces clichés et mièvreries révélaient une profonde connaissance de l'âme victorienne et du peuple anglais. Mais il avait fallu en passer par une avalanche de clichés, de moustaches gelées, de compliments sans fin que l'on se renvoyait, de manichéismes à deux balles (c'est nous les bons, c'est eux les méchants) ; tout est au niveau d'un enfant de cinq ans, la Comtesse de Ségur fait figure d'héroïne romaine, et nous sortons de temps en temps dégueuler la guimauve. The Cricket on the Hearth, "sur le coeur" donc, a fait l'objet d'une consultation sur internet, que les vieilles barbes honnissent, mais qui nous dispensent de courir les bibliothèques à longueur de journées, car la vie est courte, et la cervelle aussi.

Le site Feedbooks nous présente ainsi la nouvelle : Le vieux Caleb est un pauvre fabricant de jouets. Mais il fait croire à sa fille aveugle qu'elle vit dans le luxe, unique moyen pour lui, de témoigner son amour au seul être cher qu'il a au monde et de lui apporter un peu de joie (conte émouvant, tant pour les enfants que pour les grands), fin de citation. Il n'empêche : nous avons glissé dans les dégoulinades les plus abjectement répugnantes, et s'il est bon de retrouver son âme d'enfant, il est encore meilleur de s'ôter les langes pour se savonner le cul à outrance. Comme disait Pierre Da, "Je ne bois jamais à outrance, je ne sais d'ailleurs absolument pas où ça se trouve".

Voici, avec les onomatopées non traduites, un match auditif entre le grillon et la bouilloire. Cela rappelle Sterne, en passant par Henry James, Trois hommes dans un bateau de Jérôme K. Jérôme, et même Louis Desforêts que certains esprits tourmentés de goche (sans accent cire-ton-sexe) essaient en vain de nous faire passer pour une grand écrivain : vous savez, le coup des parenthèses dans les parenthèse, agrémentées de tortillements et de digressions qui font perdre tout à fait le fil de la pensée qui n'est en fait qu'un filet de glaire tant le propos est mince, mais c'est assez savonné la planche, jugez par vous-même :

"Quand elle se fut assise de nouveau, le grillon et la bouilloire continuèrent avec furie leur concert.

"On aurait dit plutôt une course. Chirp, chirp, chirp. Le grillon tient la tête. Hum, hum, m-m. La bouilloire le rattrape. Chirp ! Chirp ! Chirp ! Le grillon atteint l'angle. Hum, hum, hum, m-m. La bouilloire le serre de près. Chirp, chirp, chirp ! Le grillon, plus frais que jamais. Hum, hum, hum, m-m ! La bouilloire se lasse. Chirp, chirp, chirp ! Le grillon fait un effort. Hum, hum, hum, m-m ! La bouilloire n'abandonne pas. Jusqu'à ce que, dans la confusion du match finissant, pour savoir si le grillon chantait ou si la bouilloire grésillonnait ou si c'était le contraire, il eût fallu une tête plus claire que la vôtre et la mienne. Mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'à ce moment, par un pouvoir connu d'eux seuls, le grillon et la bouilloire lancèrent leurs deux refrains sur le rayon de bougie qui, par la fenêtre, atteignait le sentier. Et ce refrain et ce rayon tombant sur quelqu'un qui approchait de la maison lui crièrent éloquemment : "Sois le bienvenu camarade, sois le bienvenu !"

Ce but atteint, la bouilloire, à bout de souffle, déborda et fut ôtée du feu." "Elle", c'est la minuscule Mr. Peerybingle. Peut-être le texte est-il au second degré, comme ces publicités que l'on entend parfois sur je ne sais quels produits laitiers qui se font la course. Nous nous permettrons de préférer l'admirable obscénité de Laurent Gerra imitant Léon Zitrone dans un mariage princier britannique de haute volée ("Le cortège s'ébranle, moi aussi, à vous Cognacq-Jay"), et nous serions assurément plus perméable à cet humour (et encore) si ce faible extrait n'avait pas été précédé lui-même de trois grosses pages déjà sur le même sujet. Affrontons à présent le retour du mâle, mille câlins et considérations sur le beau temps bien froid et la glace de ce putain de fucking bastard Christmas de merde : "Mrs. Peerybingle courut vers la porte, tandis qu'on entendait un bruit de roues, le pas d'un cheval, les jappements d'un chien et qu'un bébé faisait son apparition.

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