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Le premier poète

Quand on vient à bout de tout ça (c'est ce Marthe Robert appelle "le contrat de lecture")ou si vous préférez, si l'on a adopté ce parti pris d'écriture, on découvre, comme il est dit dans les "prières d'insérer", mais nous ne ferons jamais ça ici, une "personnalité attachante", c'est-à-dire à mon sens râleuse, rebelle, dégoûtée de tout sauf de son nombril et s'en désolant, bref la personnalité d'un enfant du siècle, perdu dans les détritus du monde et de la vie, qui lit avidement tous les journaux intimes finissant dans les gras de poubelles, tous les ouvrages jetés par d'infidèles lecteurs, référence en passant à Bohumir Hrabal si j'ai bonne mémoire.

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Alors cette fois l'on comprend mieux, cet immense tas d'ordures est métaphorique, c'est le paysage que nous montrent la presse mal faite, la politique-fumier, le mal de vivre, le sens des entrailles et des objets. On ne vit pas dans un tas d'ordures sans avoir l'odorat particulièrement développé, comme un rat, ainsi que la vue, l'ouïe, le toucher. Le héros aime voir, toucher, regarder, recueillir une vieille qui meurt sans pouvoir l'honorer d'une dernière bandaison (il faut s'accrocher, profitez-en avant le grand déferlement de la censure toujours proche). Tout cela est déjà vu, mais sympathique, sympathique, mais déjà vu. Ces idées de décadence et de décomposition ne sont pas nouvelles, bien sûr elles reprennent du poil de la bête en cette glorieuse année où nous fêtons à la fois la libération d'Auschwitz, le bombardement de Dresde et de Hambourg, Hiroshima et Nagasaki, bon anniversaire à tous – mais quoi, "l'histoire est un boulet sanglant au pied de l'humanité" comme disait Hugo, ça a toujours été comme ça et nous lutterons toujours pour que ça s'arrête, revenons aux faits : la littérature.

Lionel Bourg exprime des idées fortes, valables à hurler, horriblement banales, qu'il faut toujours gueuler, dans une langue sensuelle, avec un plaisir de manier les mots et les objets les plus dégueulasses pour en faire des trésors, et cela est déjà plus personnel. Il emprunte un style déjà vu aussi, fait de volutes, à la mode, mode dépassée d'ailleurs, mais peut-être ne peut-il pas faire autrement, sûrement même, car sa sincérité ne fait aucun doute, il n'est pas mieux d'écrire dans un style tellement dépouillé qu'il équivaut à l'absence de style bonjour Annie Ernaut encore une amie que je me fais.

Mais il touche, il excelle dans ses évocations d'enfance, dans ses plages de repos, dans son lyrisme, ou très pur, ou très sale, il excelle partout, s'il ne savait pas tant qu'il excelle. Maintenant, si j'avais écrit ça, dans le style luxuriant, je serais fier de moi. Est-ce une œuvre de jeunesse ? Pas même sûr. Il y a toujours eu deux écoles en France et même en littérature. Fréquemment, un homme rassemble les deux en lui seul : le luxuriant Garcia Marquez de Cent Ans de solitude et le sec et dense Garcia Marquez de Chronique d'une mort annoncée. C'est le même homme. Peut-être que Lionel Bourg est capable aussi d'épurer son style, mais alors on l'accuserait de varier à tous vents, car en France on n'aime que ce qui va toujours dans la même direction. Et puis il aurait l'impression de se renier. Un livre donc à la fois passionnant et horripilant, parce que j'aurais voulu le faire à ma manière, le sujet m'a été chipé si je puis dire, et je suis un gros vilain jaloux.

Cela dit, il vaut le coup de se le procurer. Je vous lis un extrait, puis vous le commanderez : OK ? p. 47 (avec moi, c'est toujours la page 47) : "C'est une petite crique. Les blocs " déchiquetés tracent un cercle qu'ouvre l'océan. Là, une mince plage de galets et, derrière une "nouvelle barrière de schiste, le rivage sans fin d'un sable gris que personne ne paraît avoir foulé. "Aucune marque. Aucune empreinte. Tu comprends être le premier à imprimer ses pas sur cette "litière cendreuse rendue malléable par la pluie." Références, FIN

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