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Dévoiement

TROISIEME DEVOIEMENT Voici la présentation d'un gros homme, Abdel Ben Zaf. Une tête rouge, une bouche
constamment ouverte, comme un poisson sur la berge, et comme lui combien de temps à
vivre ? Perpétuellement essoufflé, vif et hors d'haleine. Pascal Maatz, le docteur, fit sa
connaissance à l'occasion d'une exposition de peintres : car le gros homme tient galerie, et
le docteur veut persuader sa maîtresse autrefois pute, Héléna Bost 9 rue H., à présenter ses
compositions au public. Naîtra entre ces deux hommes, le médecin bigot et le gros tenancier,
une brève mais intense complicité, un de ces dévouements inexcusables entre deux êtres
dissemblables, au nom de l'art.

Dans la maisonnette.JPG

Maatz lui parle donc ainsi : "Je veux que tu trouves belles, magnifiques, incomparables
, les sculptures de mon "habitude" (il le tutoie d'emblée, lui explique brièvement ce qu'il
entend par "habitude"). "Elle s'appelle Héléna Bost." Le gros patron, qui tient ce bar, où l'on
expose, commande à travers la salle un "Bourbon Quatre Roses" pour lui et son client. Sa
vitalité est épuisante - toujours haletant, toujours soufflant. Il boit peu vu son poids. Offre
des orangeades avec ou sans whisky. Se trouve présente, pute et sculptrice, Héléna, pour
son deuxième entretien. Il s'agit d'exposer ses sculptures. Elles sont laides. Pyramides,
cubes et sphères plus ou moins emboîtés, plus ou moins lissés. Le gros Ben Zaf se
montre enthousiaste !
Une fois terminées les orangeades et le bourbon, tout est bon, consommé, signé.
Héléna Bost a signé. La voilà tirée momentanément d'affaire, 2-74-03-05-61-0814.
Elle sculptait déjà entre deux passes. Le petit studio près du lit à « deux places l'un
dans l'autre » (elle avait de l'esprit) devenait minuscule. « Moi, je sculpte »
précise-t-elle. « Les autres sont installateurs. Ils se servent de masses et de cailloux.
Ce sont des étalagistes . » Héléna achète des cubes, les taille et les imbrique.
Parfois les soude. Les critiques sont assassines : "L'esthétique du panier à salade"
(Les Aventuriers). Parfois les critiques écrivent vraiment ce qu'ils pensent. Rien
à dire en fait sur les sculptures de Héléna Bost.
Pas de quoi se déchaîner. Ce qu'elle sculpte tient debout, se tient n'importe où,
ça va avec tout, noir, blanc, gris. Le docteur Maatz l'encourage à ne pas déprimer.
La médecine après tout devrait se tenir entre un laisser-faire naturaliste et le
minimum interventionniste. Pascal Maatz est contre l'acharnement thérapeutique.
Il porte sur lui un papier dans ce sens, dans son portefeuille : "Mourir dignement"
. Mais il veut bien donner son foie, sa rate et son c
œur (« ce qu'il en reste », dit-il)
à la Science. Jamais le pieux docteur n'est parvenue à faire sculpter à sa maîtresse
une Maternité, ni même une Pietà, en glaise (« ou italienne », ajoute-t-il) quoique
certains disposent dans le creux d'un bois flotté une simple sphère portant un crâne
bien rasé de nourrisson : "La Vierge", déclament-ils, "et son Enfant"
(ou
le yin et le yang)
- Maatz ne dit rien de trop franc sur les sphères ou les
pyramides (le style saint-sulpicien, du moins, peut se targuer de son antériorité :
le docteur Maatz prie toujours devant sa Vierge bleue ; pas devant des cubes).
L'amant de l'apprentie sculptrice est bon enfant.

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