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Fausses brumes

Les voyages de monsieur Pernaud l'amenèrent un jour dans un autocar. Il se dirigeait, au cœur des Pyrénées, vers l'Espagne. Ils étaient là tous joyeux, entre collègues enseignants. Les saucissons valsaient au rythme des lacets. Mais la route étroite contraint l'autocar à se réfugier sur un bas-côté pas très rassurant, au bord d'une forte pente où l'herbe dissimule de traîtreux rochers. Nous n'étions pas arrivé. Il fallait remonter à bord, nous montions vers le col d'Envalira. C'est interminable, impressionnant. Dans l'allée de l'autocar, un employé nous distribue à tous un pistolet plat, tout à fait semblable à ceux de la Camorra, dans les films : « C'est, nous dit-il, le tout dernier modèle de la police secrète espagnole. » Pas si secrète que ça.

Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de cet engin ? Et les autres, donc ? Pourtant l'atmosphère bon enfant ne se dégrade pas. Nos sièges surélevés au-dessus des vastes soutes permettent un regard panoramique tout à fait satisfaisant. La climatisation est excellente, au point que Solange ma collègue se met à son aise sur son sège ; elle se tortille pour ôter son vêtement, prenant bien soin que tout le monde puisse apercevoir sa culotte ; ce qui n'est pas difficile, étant donné la succession de lacets ! Impossible pour l'autocar de ne pas mordre sur le bas-côté intérieur.

Les sarcophages verticaux.JPG

Nous passons la frontière au Pas-de-la-Case, et la route monte encore, jusqu'à 2409m ! et mon arme n'a pas été détectée ! Ni celle de personne. J'ai l'intuition que mon pistolet, lui seul, serait véritable : mes compagnons de route n'auraient reçu qu'une arme factice. Estc-e une ruse ? Laquelle ? Pourquoi ? Quel honneur ou quelle ignominie m'ont-ils été attribués malgré moi ? Je la tâte dans ma poche où elle s'insinue, plate et glacée comme une vipère. La Gomorra, une fois de plus. L'arme se déclenchera contre ma cuisse, à l'improviste, m'éraflant la fémorale sur toute la longueur : deux minutes pour se vider, selon les toreros – combien de coups ?

La première balle tirée, la seconde se déclenche-t-elle aussitôt, sans la moindre sécurité ? quel réflexe à mettre en œuvre au quart de seconde pour éviter ce coup double ? on apprend nécessairement cela pour sa qualification, mais quel entraînement ai-je suivi ? aucun. Ce réflexe évident, vital, ne m'a pas été appris. Si je n'ai pas été détecté, contrôlé, appréhendé, ce ne peut être que par complicité. Complicité de qui ? de la Guardia Civil avec moi, ou contre moi ? - le métal reste froid sur ma cuisse. Il aiguise mon danger. Il m'enjoint de m'exercer, ne fût-ce qu'une fois, pour ma stricte sauvegarde.

Il ne faut pas que les autres, ceux qui ont reçu les pistolets factices, les petits souvenirs de frontière, s'aperçoivent de la plus petite erreur, du moindre mouvement insolite de ma part. L'idéal serait qu'ils s'en rendent compte, mais détournent le regard, pour ne pas montrer leur crainte et leur soudain respect. Je tire doucement vers le haut, tout glissant, le métal froid, plaque le canon à l'horizontale et le lève un peu, les passagers sont ou feignent d'être captivés par le vaste horizon, et le coup part, précoce, silencieux, juste un grain de cachou Lajaunie ! Belle efficacité !

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