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Geisha, de Golden

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    Geisha est une fiction. Elle fut écrite en 1997, devint un best-seller, fut traduite en allemand, lue par un Français, transposée au cinéma. Ces filtres préalables doivent être connus. C'est la première fois que je peux lire de l'allemand à peu près couramment, sans regarder le dictionnaire plus d'une fois par double page. Il est même arrivé que les mots ne résonnent pas dans ma tête, ce qui augmente la rapidité. Une fillette de 10 ans etc. Elle arrive à Kyoto, séparée de sa soeur et de son père veuf. Le principal souci des femmes de cette école urbaine semble d'humilier le plus possible cette fillette, en lui rappelant qu'elle vient d'un village e pêcheurs et qu'elle pue le poisson.
    Elle se fait même traiter d'ordure. Plus tard à son tour, à la suite d'une longue discipline;, elle deviendra semblable à l'une de ces bourrelles qu'elle admire. Il est inimaginable que des femmes entre elles se soumettent à toute sorte de traitemements humiliants et dégradants. Inimaginable également aux yeux d'un balourd masculin que de tels pensionnats ne dégénèrent pas en un gigantesque lupanar de gouines. Mais justement, il n'en est pas question du tout. Encore devons-nous bien nous souvenir que le sexe n'est pas la seule prostitution imposée aux geishas : elles sont "de luxe", cultivées, raffinées, les seigneurs de la finance doivent baiser avec des femmes de haut rang.
    Elles seront reines et soumises, les hommes seront  à leurs pieds, mais à la suite de tout un rite de siège, elles devront céder comme ceci, puis comme cela. Leur instrument de domination sera leur charme et leur sexe. Elles accompliront le sommet de la condition, de la destinée féminine, qui n'est pas simplement destinés à faire pleurer les féministes revendicatrices. L'héroïne a dix ans. Elle s'exe-prime à la première personne, ce qui est une convention : comment des scènes de l'enfance, racontée par une désormais quinquagénaire, pourrait-elle faire l'objet de souvenirs si précis ? couleur des habits, expressions du visage, moindres incidents...
    Tour sortira donc de l'imagination et de la documentation d'Arthur Golden, américain. La jeune héroïne est accompagnée par "Tronche de courge", plus âgée de six mois. Cette dernière escalade une "Leiste" en allemand, ce qui doit être une armoire, une espèce de casier à chaussures, que les élèves doivent laisser là avant les cours et récupérer ensuite. Les petites dernières doivent placer leurs chaussures tout au sommet, à l'emplacement le plus malcommode. Puis Tronche de Courge tire une plaquette d'une petite boite, avec son nom dessus, qu'elle suspend au premier crochet libre. Comme une ouvrière qui pointe.
    C'est une sorte de jeton de présence qu'elle accroche là. Nul doute que tout ne soit minutieusement, militairement, maniaquement organisé. "Juste après, nous sommes allés dans d'autres salles de classe, où nous nous sommes inscrites de le même manière à d'autres  heures d'enseignement pour Tronche de Courge", ou moins péjorativement "Petite tête de Courge" ; "Petiit Potiron" conviendra bien mieux. La narration ne nous épargnera pas les particularités grotesques des  professoresses, non plus que les vexations qu'elles infligeront. Ne doutons pas que les amies dévouées et les petites pestes cafteuses croiseront aussi notre chemin : une variante de l'internat de Lowood, où souffrit Jane Eyre.
    Mais le Japon nous titillera. Les matières y sont tout à fait différentes : shamisen (vérifions : "luth à long manche"), danse, cérémonie du thé, ainsi qu'une mélopée "que nous appelions nagauta". Si "naga" signifie "peuplier", j'aurai gagné. Vérifions : "chant long", ce qui nous apprendra à jouer les connaisseurs. C'est à l'aide du  nagauta et du shamisen que l'on accompagne le kanuki et la danse classique. Ces jeunes filles seront ainsi tirées du poisson  vers le grand art, après un bizutage de servantes. "Petit Potiron avait si peur d'être la dernière dans toutes ces matières, que pour le petit-déjeuner, au sortir de l'école; elle resserra sa ceinture" : des cours avant le petit-déjeuner ?
    ...Que font donc les parents d'élèves ? Facile : tous les ponts sont coupés avec eux. On va d'abord en cours, puis on rentre à l'okiya, qui est en sorte la pension de jeune filles...     
09 06
    Nous n'avons plus rien à perdre, nous non plus : cette jeune fille, Chi-yo, 10 ans, fait une rencontre. C'est toujours ainsi dans les romans, dans les vies, du moins les biographies. Les nôtres n'ont été que néfastes, ou insuffisantes. Mais celle-ci, d'un homme extrêmement distingué, laisse présager du meilleur. Il offre une glace à l'enfant, elle rêve à lui, et d'un coup, l'impossibilité de devenir geisha se transforme en ce glorieux avenir : être une geisha. C'est le plus haut grade auquel une femme puisse parvenir, et au lieu de le redouter, comme ferait n'importe laquelle de nos connes, la très jeune fille y aspire comme à sa plus belle réalisation : en ce temps-là en effet, les femmes avaient du charme, et n'étaient pas uniquement "un copain avec des nichons".
    L'auteur américain donc, de sexe masculin, relate avec une précision totalement invraisemblable ce qu'il advint de son héroïne ; jamais pour notre part nous n'aurions été nous souvenir des motifs d'un kimono, ni des expressions exactes d'un visage ou d'un langage. Trop préoccupés peut-être par le souci de notre apparence intérieure : est-ce que je ressens bien, est-ce que je pense bien, ce qu'il faut penser ou ressentir pour ne pas encourir les foudres de mon putain d'adulte d'interlocuteur ? Ce qui laisse peu d'attention pour la couleur d'un ruban ou d'un ciel de Kyoto. Il est vrai que Chi-yo, dix ans, a quelque raison de redouter cette entrevue avec l'épouse, apparemment, de ce directeur pourvoyeur de glace à la cerise : elle lui a fait rapporter un kimono taché à l'encre, et l'encre du Japon reste indélébile.
    Poursuivons donc notre lecture à la façon d'une caméra embarquée sur la tête d'un aigle, comme si, en vérité, nous étions cet aigle ou cet enfant. A vrai dire, rien ne nous est épargné : l'auteur explique tout, au cas où nous n'aurions pas bien compris. "Je trouvai le bol du plus beau remarquable, mais il avait été offert à Mameha par rien de moins que Yoshida Sakuhei, le grand-maître de la céramique de style toguro, qui
après la Seconde Guerre mondiale fut célébré comme un monument national vivant". Pardonnez ces inélégances : je suis pressé.

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