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Diderot de retour de Russie

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En ce jour qui serait plus tard l'anniversaire d'Austerlitz, nous rejoignons l'aimable mais si tièdement aimé Diderot, de retour de sa catherinade de Russie, en fin de parcours épistolaire avec celle qu'il n'appelle plus guère désormais que « Melle de Volland ». Elle s'est lassée de cette correspondance, esclave qu'elle s'était faite de sa mère et de sa sœur la saphique. Nous savons tout cela désormais, et Diderot, qui n'a plus que 10 ans à vivre (lequel d'entre nous peut en dire autant) se repose, après un voyage de retour où sa calèche a failli sombrer dans les eaux de la Néva. J’ai vu Euler, nous dit-il, le bon et respectable Euler, plusieurs fois : c’est l’auteur des livres dont votre neveu a besoin. Nous n'avons fait que lire, sans trop nous informer.

Consul et proconsuls dga.JPGLes personnages, célèbres ou obscurs, se sont succédé dans une vie pleine de mouvement et de bonne bouffe, « la douceur de vivre » selon Taille-Rang, car telle est la bonne prononciation. Euler était un mathématicien suisse et croyant, qui devait mourir à Saint-Petersbourg un an avant Diderot, où tout le gratin de cour parlait un français parfait. Il était aussi membre de l'académie des sciences de Berlin. C'est à cela que sert l'encyclopédie informatique, si honnie par nos sorbonnicoles. Mais du neveu, point de nouvelles : Diderot s'adresse désormais à « Mesdames et bonnes amies », pour un usage public de la lettre. C'en est fini des tendres confidences, il rend compte de son existence, et n'a écrit que trois ou quatre fois de St-Petersbourg.

Il est vrai que ses lettres ne devaient pas échapper à la censure tsariste. « Ne vous attendez », disait-il « qu'à des générosités ». Cependant ne mettons pas en doute sa sincérité lorsqu'il affirme être arrivé comme un esclave de pays libre dans un pays d'esclaves, où lui-même se sentit on ne peut plus libre. Sa Majesté le recevait librement chaque jour entre 3 et 5, parfois 6. Diderot n'a pas profité de sa position pour faire fortune, pour ne pas attirer les foudres d'une cour de jaloux. Il a demandé le paiement de son voyage de retour, ainsi qu'un accompagnement militaire, ce qui lui fut accordé. Plus tard, les rapports de Custine, canonnier pédé, jetèrent sur l'empire de Russie un regard bien plus dur et impitoyable.

Diderot n'a vu que le côté doré des choses. Il fut choyé, chouchouté, apprécié. Puis il revint en France pour travailler, sa grande passion. J’espère qu’il sera satisfait. Le neveu. Quel neveu ? Il eût fallu se documenter, savoir de qui parlait Diderot en sa correspondance, mais je ne fais jamais que tremper le bout de mes pennes dans les flots, tel un majestueux albatros… Euler fut un physicien extrêmement prolixe, et le livre de poche n'était pas dans les mœurs du temps. Mais Diderot, véritable carrefour, ne manquait jamais d'un vaste réseau de solidarités : La princesse de Galitzin en avait fait son affaire avant mon départ, et depuis mon arrivée, le prince Henri s’en est chargé. Du beau monde comme on voit. L'Encyclopédie, assurément, contribua aux connaissances universelles, préparant la Révolution ; mais Diderot n'en eut pas conscience, pas plus que nous n'en avons de l'an 2032, 2079 nouveau style.

Aussi maria-t-il sa fille avec un noble bien aisé, afin qu'elle ne manquât de rien, car l'amour s'enracine plus ferme dans la prospérité. Il vivait dans un réseau social et dans une activité vitale dont le retiré du monde que nous sommes peut à peine se rendre compte. Il délègue, il se justifie - Vous me direz : Pourquoi se reposer sur d’autres de ce qu’on peut faire soi-même ? C’est que l’édition d’un des volumes publiés à Pétersbourg est épuisée, et que l’édition de l’autre volume s’est faite à Berlin, où je n’ai pas voulu passer, quoique j’y fusse invité par le roi. Il fallait se déplacer soi-même.

Le corps était partie prenante. Les voitures versaient, les rivières gelaient bien ou gelaient mal. Seul un tout petit nombre d'érudits, appréciés par les dirigeants, s'offraient ou se refusaient, en toute liberté. C'était une époque où les souverains avaient de l'instruction, voire de la culture. Où jamais rester deux années pleines sans rien lire n'aurait été apprécié. Diderot est fatigué, Louis XV va mourir, car soixante- quatre ans, c'est déjà bien avancé. Ce n’est pas l’eau de la Néva qui m’a fait mal, c’est une double attaque d’inflammation d’entrailles en allant ; ce sont des coliques et un mal effroyable de poitrine causés par la rigueur du froid à Pétersbourg, pendant mon séjour ; c’est une chute dans un bac à Mittau, à mon retour, qui ont pensé me tuer ; mais la douleur de la chute et les autres accidents se sont dissipés ; et si votre santé était à peu près aussi bonne que la mienne, je serais fort content de vous. De nos jours nous risquons, mais si peu, les attentats.

En ce temps-là, tout voyage était périlleux. St-Pétersbourg La Haye (d'où parvient cette lettre) prenait plusieurs semaines, et les remuements de carrosses chahutaient les entrailles de Monsieur, qui nous épargne rarement l'état de ses digestions, selles incluses. La mort menaçait de toute part, et la santé faisait l'objet d'une attention justifiée, là où maintenant les mortels se la jouent obsession coquette. Une toux dégénérait vite, Descartes fut achevé par Stockholm, et Mitau, alias Jelgava, manqua Denis de peu. C'est en Courlande. Vous voyez la Lettonie, capitale Riga ? La COLLIGNON LECTURES

DIDEROT LETTRES A SOPHIE VOLLAND 62 11 07 //12 16 // 63 02 27// 12 02 22

 

 

 

grosse presqu'île qui dépasse, c'est la Courlande. Et la plaine plus à l'est, c'est la Livonie. Tout de même autre chose que d'écorcher le letton. Un drame en Livonie fut écrit par Jules Verne. Quelle joie de se vautrer dans l'érudition de surface, genre Jeu des mille euros. Mais selon l'époque, la Livonie engloba aussi la Courlande. Passionnant ! Ardievas ! «au revoir », en letton…

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