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Florence Nightingale

Gilbert Sinoué, né Kassab, au Caire, tira son pseudonyme de Sinouhé l'Égyptien, roman historique publié par le Finlandais Mika Waltari en 1945. Kassab-Sinoué naquit en 1947 et se consacra aux romans historiques lui aussi, qu'il écrivit en français, car notre enseignement florissait en Égypte en ce temps-là. Il écrivit en particulier La Dame à la lampe, et non pas « la licorne », anno Domini 2008 chez Calmann-Lévy. Cette dame n'est autre que Florence Nightingale, ce qui signifie « Rossignol » en français. Ajoutez à cela une bonne dose de guerre de Crimée entre Russes, Turcs et anglo-français, et vous aurez un aperçu particulièrement cosmopolite. Pourquoi ? Parce que la souffrance est universelle et met à bas toutes les frontières.

D'autre part, la médecine, le dévouement des infirmières en marge des champs de bataille ignore également les frontières et s'efforce de remédier à la folie guerrière, qui touche elle aussi toutes les nations. La dame à la lampe, c'est cette apparition divine d'une soignante de haute humanité, qui vient la nuit se pencher sur les malades et les blessés, prenant sur son temps de sommeil pour veiller sur les alités. Florence Nightingale « Rossignol » exerçait ainsi, comme l'oiseau chanteur, ses talents thérapeutiques au cœur de la nuit. Désormais l'infirmière, variante de la mère, appartient à la panoplie des figures féminines, soignant aussi bien les femmes que les hommes, inspirée par le souffle des bonnes sœurs qui en ce temps-là constituait le corps médical féminin.

Or la famille des Lords londoniens s'opposait à cette vocation irrépressible : une femme était faite pour se marier, tenir salon, faire des enfants et de la broderie. Il y avait deux filles dans cette famille, Parthenope, l'aînée, et Florence. Tout le monde tombait malade à qui mieux mieux, surtout la grande sœur qui se farcissait de crises d'hystérie, par tripotage insuffisant ou excessif de certains organes particulièrement sensibles, et qu'on n'hésitait pas à couper au bistouri, comme actuellement au Kénya. Et chaque membre de la famille d'y aller de sa petite obstruction culpabilisatrice : que surtout aucun voisin n'apprenne que la fille d'une noble famille veut embrasser cette carrière où l'on vide les pots de chambre en manipulant des linges pleins de pus.

Les péripéties de la vie florentine (Nightingale) sont innombrables, elle va ici et là, avec ou sans sa sœur, effectue des stages dans des hôpitaux sans hygiène pourvus d'un personnel de femmes assurément très pieuses, mais incompétentes et fort peu efficaces. Les amitiés entre femmes pullulent, on y cède, puis on s'en repent, tous les jours entre ses draps roses à la même heure, en se chialant dessus à force de remords. Nous sommes en pleine ère victorienne, où la reine s'envoie son palefrenier en prodiguant des injonctions de la morale la plus rigoureuse. Les hommes seront médecins bien stricts, ou pasteurs bien rigides. Ces derniers seront tentés par le catholicisme, ou le protestantisme non anglican, et la religion, la piété, ses exercices et ses scrupules insomniaques viendront ternir ou illuminer, selon le point de vue, la sérénité constructive de notre grande hypernerveuse. Mieux que cela, Florence Nightingale est une passionnée, les obstacles et les réalisations sont vécus dans l'exaltation. C'est elle qui fondera la première école d'infirmières, établira des règles d'hygiène élémentaire, se préoccupera du confort et du réconfort des patients.

Ajaccio, vers l'ouest dga.JPG

Les soins aux malades sont toujours en crise, toujours en évolution, encore maintenant. Il y toujours à faire contre des négligences lourdes de conséquences, des administrations ralentisseuses, des habitudes néfastes, notre existence en effet, à nous autres humains, s'apparente toujours au rocher de Sisyphe qui retombe sans cesse au bas de la pente. Mais, comme dirait notre grande clownesse Léa Salamé, voici le temps des bémols. Le roman de Gilbert Sinoué emprunte à la technique et à l'atmosphère des œuvres de Conan Doyle. Sinoué suppose qu'un enquêteur américain se livre à une recherche plusieurs années après la mort de Florence Nightingale (épuisée par le dévouement, les nuits blanches et les germes accumulés, ainsi que par d'innombrables et fortes émotions nerveuses et spirituelles, sans oublier les luttes féministes constantes, étonnez-vous après cela d'avoir comme on dit mauvais caractère, ou plutôt, d'avoir du caractère et de mourir prématurément).

L'enquêteur visite ceux qui l'ont connue, recueille et rassemble des renseignements, discute, parcourt les documents écrits, traque les secrets, et c'est un tourbillon de whiskies et de cigares, de trajets en chemins de fer, de dialogues informatifs, procédés indisposants et superflus pour un lecteur qui n'aime pas tellement le robot appelé Sherlock Holmes. Sinoué livre des conclusions biographiques soigneusement étayées, sous l'enveloppe d'un roman non pas policier mais d'investigation. Les informateurs livrent leurs pensées et réflexions dans l'ordre qu'ils veulent, et qui n'est pas nécessairement chronologique. Tel point est évoqué, puis telle circonstance, puis telle particularité, tels progrès, tels combats victorieux ou indécis, et nous devons sans cesse naviguer d'un bout l'autre d'une biographie éclatée.

Nous nous y retrouvons, la plupart du temps, car l'auteur possède une grande souplesse pédagogique, mais pas toujours autant que nous l'aurions voulu. Nous aborderons certains aspects de la guerre de Crimée, car où la femme répare, l'homme esquinte : le témoignage ici recueilli est celui d'un grand blessé, Gallois, de la guerre de Crimée, entraperçu à l'enterrement de l'héroïque Florence Nightingale. Notre Sherlock amércain le remercie d'avoir bien voulu le recevoir. Et le gentleman de Caernarfon lui répond :

«  - Aucune gratitude à avoir, monsieur. Il est probable que vous soyez déçu. Ce n'est pas tant pour évoquer l'œuvre de Miss Nightingale que j'ai accepté de vous voir. C'est pour vous transmettre un message, afin que vous le transmettiez à votre tour. Savez-vous qui sont les vrais vaincus de la guerre ? » Ne vous attendez à rien de bien neuf, chers auditeurs lecteurs : le message est toujours le même, et toujours aussi peu écouté, car les femmes réparent, les hommes cassent. Et les vaincus, « Ce sont les morts, monsieur. Uniquement les morts ! Vous me comprenez ?

« L'Américain ne put qu'acquiescer, tandis que le soldat ajoutait :

«  - Mais rassurez-vous. Nous parlerons aussi du Rossignol. » En avant pour les grandioses banalités des anciens combattants. Disons que ces banalités ne sont jamais banales.

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